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« J’étais usé »

Par midi olympique
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Publié le Mis à jour
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Immergé depuis quatre mois dans la culture celtique, le Gascon Régis Sonnes, entraîneur du club de rugby de Bandon et directeur sportif du collège de Bandon nous a parlé de sa vie actuelle en Irlande, mais aussi, pour la première fois, des raisons qui l’ont poussé à mettre un terme à sa collaboration de quatre années à l’UBB. Sincère et édifiant.

Comment se déroule votre existence en Irlande ?

Sur le plan familial, le plus important, cela se passe super bien. J’ai de bons retours de tout le monde. Les enfants sont heureux et au niveau de l’intégration, de l’école — la Grammar School de Bandon — c’est top en matière de pédagogie et méthodologie. Les enfants s’éclatent. On leur donne beaucoup de responsabilités et ils ont de nombreuses activités autour. Ils sont investis dans la vie du collège. C’est vraiment comme on pouvait l’imaginer à travers les documents et les enfants sont très épanouis. Ma fille est déjà trilingue avec l’espagnol, et mon fils suit la même voie.

Et sur un plan personnel ?

Je ne dirai pas que c’est simple tous les jours mais je prends énormément de plaisir. J’ai beaucoup de travail car je mène deux projets de front. Celui du collège en qualité de directeur sportif de l’établissement avec la charge particulière des moins de 18 ans. J’ai un environnement favorable pour le développement des jeunes et des équipes. Je travaille auprès des entraîneurs sur la formation et les stratégies communes, la communication et la coordination du projet de jeu, et je travaille en relation avec le collège pour les équipements. Ensuite je suis au club de Bandon (province du Munster, N.D.L.R.), entraîneur principal de l’équipe première avec, là aussi, un travail sur le développement général du club. Je travaille beaucoup mais cela ne me dérange pas. C’est deux équipes, deux managements, deux analyses de match, deux fois plus d’entraînements. Tout est multiplié par deux. Le début a été difficile quand il fallait basculer du soir au matin sur deux problématiques, mais pour ma formation c’est très riche. C’est une gymnastique intéressante.

Avez-vous découvert de vraies différences dans l’approche de la formation entre l’Irlande et la France ?

Pour l’instant, je n’ai pas top vu. Mon approche, c’est plutôt mon éducation d’un mouvement général à la toulousaine. L’intelligence collective et la faculté d’adaptation. Et chez les Britanniques, ce sont plutôt des exercices fermés, techniques, des répétitions de gestes. Pour l’instant, je ne suis pas trop confronté à ça parce que je ne sais pas ce que le club faisait avant, mais dans la découverte et dans les discussions, eux vers moi, il y a des moments où ils ne comprenaient pas ce que je voulais faire. Ils comprennent mieux maintenant où je veux aller mais au début c’était brouillon pour eux. L’ordre dans le désordre c’était plutôt un désordre. Dans l’approche stratégique, j’ai voulu diminuer sensiblement l’utilisation du jeu au pied pour trouver des solutions offensives à la main. Alors que, dans leur culture profonde, le pied est essentiel.

Vous avez donné quelques raisons de votre arrêt d’activité à l’UBB mais n’avez-vous pas caché la principale ? Un sujet qui serait tabou.

C’était un besoin absolu de me régénérer physiquement, mentalement. Cela ressemble un peu à la fameuse année à Toulouse où j’avais ressenti le besoin de faire un break. Et je suis parti faire un tour du monde. Je mets tellement d’engagement dans ce que je fais que je me refuse à être l’ombre de moi-même. Je ne sais pas si je suis bon mais, à mon niveau, je ne veux pas être mauvais. Je ne veux pas manquer d’enthousiasme car l’entraîneur doit être entraînant jusque dans ses prises de décisions. Physiquement j’avais besoin de recharger les batteries pour pouvoir repartir. Ce sujet est tabou parce que nous sommes des mâles et les mâles ne doivent pas montrer de faiblesses, et je suis gêné d’évoquer ce sujet parce que dans notre métier d’entraîneur, nous sommes en quelque sorte des privilégiés. Nos salaires sont confortables et nous devons penser à ceux qui travaillent dur, sous pression. Et c’est pour cela que c’est gênant pour moi d’en parler de cette manière. Cela ne doit pas susciter la moindre polémique ni le moindre malentendu. Le sujet est important parce qu’il faut s’en soucier vraiment. Il y a quatre ans, quand le syndicat était venu se présenter au club, j’avais déjà évoqué cette problématique. Des mesures ont été prises pour la protection des joueurs mais on ne se soucie pas des entraîneurs qu’on ne peut pas mettre au repos. Ils enchaînent, c’est permanent.

Tous les entraîneurs ne semblent pourtant pas soumis à la même pression…

Sûrement. Après c’est une question de priorité. Pour moi, le stress n’est pas le bon mot. Le stress c’est négatif. Il s’agit de la pression, de l’envie de réussir parce que nous sommes compétiteurs, et surtout, donner le meilleur de soi pour les joueurs et pour le club par rapport aux responsabilités qu’on t’a données et à la confiance qu’on t’a accordée. Ma pression, c’est y arriver, gagner et offrir le meilleur pour que tout le monde s’éclate et qu’on atteigne les objectifs. Et cela c’est toutes les semaines. Suivant comment tu abordes ta propre mission, ça peut être plus ou moins facile. Mon jour le plus long, c’était le dimanche avec l’analyse de la veille et la préparation de la semaine. Et ce jour-là, ce qui me posait problème c’est que j’avais pour priorité de protéger ma famille. Or tu te retrouves chez toi le dimanche, enfermé dans le bureau et les enfants et l’épouse sont là. À côté. C’était très pesant pour moi. Ce sentiment que la famille est là sans pouvoir en profiter. J’ai envie d’en parler parce que c’est important dans notre sphère mais je tiens à relativiser par rapport à des gens qui sont autrement dans la difficulté.

Comment se manifestait cette « souffrance » dont vous parlez ?

Parfois à la maison, j’étais présent physiquement mais absent mentalement. On passe à côté des moments familiaux et la famille s’en rend compte. Moi ça me gênait. Physiquement j’avais des soucis, de grosses crises de gouttes de plus en plus régulières, avec un régime hyper strict. J’avais un taux d’acide urique très élevé et en recherchant on s’est aperçu que je le créais. C’était une conséquence de la pression et du surmenage, j’avais ce ressenti d’une grosse fatigue. Quand nous avons arrêté la saison pour cinq semaines, j’ai vécu la première dans une sorte de dépression. Tout a lâché, j’étais sur les rotules. Je ne pouvais rien faire.

N’était-il pas possible d’en parler ?

En parler à qui ? J’en ai parlé à mon épouse qui ne comprenait pas toujours mon comportement à la maison et il est difficile d’en expliquer les raisons. Ce n’est pas que le job, c’est tout le contexte autour. J’ai subi de grosses pertes d’énergie. J’en ai parlé aux syndicats pour qu’ils s’intéressent à l’aspect psychologique. Sans parler de l’incertitude qui plane sur l’avenir d’un entraîneur.

Des mesures de prévention sont-elles possibles ?

Oui, il y en une, qu’il n’y ait pas de championnat de onze mois. Juste ça. Que le soir du 23 décembre il n’y ait pas un match et qu’on ne bataille pas pour jouer l’après-midi du 24. Après c’est un enchaînement. Pensons aux entraîneurs. Je travaille beaucoup en Irlande mais le soir je suis vraiment chez moi et les jours de repos sont de vrais jours de repos. Dans le milieu professionnel, on est jugé en permanence : pourquoi tu gagnes, pourquoi tu perds, et tu dois sans cesse contrôler ton image tous azimuts. Je ne vis pas ces lourdes contraintes en Irlande. Je reprends du plaisir.

Le retour dans le rugby français c’est pour quand ?

Je n’en sais rien. Ce qui est sûr c’est que j’ai deux ans de contrat avec une option supplémentaire et je compte bien aller au bout des deux ans. Je ne te cache pas que j’ai été appelé pour des projets intéressants mais je respecte mon engagement. Dans deux ans, on fera le point et la France… cela dépend. Il faut se protéger, s’épanouir, dans quels clubs ? Cela fait beaucoup de questionnements.

Propos recueillis par Gérard PIFFETEAU

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