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Le grand chelem qu’il ne joua jamais

Par Jérôme Prévot
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Publié le Mis à jour
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Guy Novès aurait dû faire partie du fameux Grand Chelem de 1977 mais une blessure l’empêcha de faire une entrée fracassante dans le concert international... Et Il relança indirectement la carrière de Jean-Luc Averous, à qui le toulousain venait juste de piquer la place.

On se souvient encore, du sympathique hommage de Roger Couderc juste avant le coup d’envoi du France-Galles 1977, premier match du Grand Chelem de Jacques Fouroux capitaine, le plus impressionnant de l’Histoire : « Nous sommes le 5 février, c’est l’anniversaire de Guy Novès, un jeune joueur qui aurait dû faire ses débuts aujourd’hui, mais qui a dû déclarer forfait. Nous avons une pensée pour lui. » Dans notre mémoire, ce Tournoi historique s’identifie à cette évocation d’un joueur qui ne l’a pas vécu. La carrière internationale de Guy Novès a donc commencé par un rendez-vous raté. Il aurait récompensé une trajectoire fulgurante, ajouté du piment à ce fameux Grand Chelem, gagné avec les quinze mêmes joueurs sans encaisser d’essai.

Ce 5 février, il aurait dû fêter ses 23 ans sur la pelouse, mais sa carrière équivalait à celle d’un junior de 17 ou 18 ans. « Je n’avais que neuf mois de rugby de haut niveau. Je venais de l’athlétisme et j’étais arrivé au Stade Toulousain en 1975 pour jouer en Nationale B. Puis, j’avais trouvé ma place en équipe première en début de saison 76-77... Je me souviens d’un match à Tulle, dans la boue : un 3-3, un grand match sans doute. » Boue ou pas boue, en quelques rencontres, il se révéla comme un OVNI, prêt à brûler toutes les étapes, un « phénomène ». Le mot est de Dominique Harize, l’autre ailier du Stade Toulousain, lui aussi sélectionné en équipe de France. Il était plus jeune que Novès, mais plus expérimenté (cinq capes). « Guy était au-dessus du lot sur le plan athlétique, il se baladait lors de nos séries de dix fois cent mètres ou de dix fois deux cents mètres. Il avait une vélocité extraordinaire et, en plus, il était hargneux, capable de répliquer tout de suite à un avant de Tulle qui lui mettait une manchette. Sinon, il était très fort pour obliger son adversaire à prendre l’extérieur et lui coller un caramel. »

La découverte des talents cachés de Fouroux

Et il y eut ce match du 30 janvier : « C’était en Challenge Du-Manoir contre Perpignan, je me suis fait une double entorse de la cheville, » Guy Novès finit pourtant le match en boitillant. À la une, le Midi-Olympique estima même la blessure « sans gravité ». « Je me souviens de la façon dont mes trois coéquipiers, Jean-Pierre Rives, Jean-Claude Skréla et Dominique Harize m’ont pris en main, moi le jeunot de la bande, pour tenter le tout pour le tout. Ils m’ont amené chez Jean Salut qui était kiné qui m’a prodigué deux fois deux heures de soins par jour. En serrant les dents, je suis monté à Rueil-Malmaison, pour découvrir tous ces joueurs que moi, le jeunot de la bande, je prenais pour des monstres, et ils m’ont accueilli à bras ouverts. »

De ses premiers contacts avec l’équipe de France, Guy Novès conserve une vision surréaliste : celle de ce capitaine capable de se transformer en un instant en comique troupier : « Jacques Fouroux était extraordinaire, un coursier était arrivé de Paris à moto avec des messages, et il avait réussi à lui faire mimer la montée des marches de l’Elysée : un sketch hilarant. » Le seul entraînement de la semaine n’eut en revanche rien d’amusant : « Notre préparation se résumait à un petit match contre le bataillon de Joinville. Sur une rotation, j’ai ressenti la douleur et j’ai compris que je ne pourrai pas jouer le samedi. En face de moi, on me promettait quand même Gerald Davies, ce qui se faisait de mieux à l’époque. » Voilà comment, Guy Novès fit un heureux, Jean-Luc Averous de La Voulte, qui venait de se faire piquer sa place après avoir joué tous les matchs de 1976. On imagine son amertume : « Je n’étais même pas remplaçant, on est venu me chercher en urgence. Je n’avais pas le même profil que Guy, c’est sûr. J’étais puissant, bon défenseur, mais les sélectionneurs voulaient des finisseurs, c’était la tendance du moment. Harize l’était aussi. Je l’étais moins, c’est vrai. Mais modestement, je me sentais davantage créateur. Avec mes 88 kg, j’intervenais dans la ligne, comme le faisait aussi Jean-François Gourdon et ses 92 kg. L’autre ailier fort du moment. » Depuis ce moment-là, une complicité s’est installée entre Novès et Averous, deux hommes aux destins complémentaires : « On en rigole quand on se croise, je dis à Guy que je l’ai privé d’un Grand Chelem. C’est vrai, j’ai fait deux trucs qui ne se reproduiront plus : un Grand Chelem à quinze joueurs et la première victoire du XV de France en Nouvelle-Zélande. En revanche, j’aurais bien aimé être champion de France comme Guy l’a été si souvent. Moi qui suis né à Béziers, je n’ai jamais brandi le bouclier. J’aurais pu aller à l’ASB, mais j’avais ouvert cette année-là mon cabinet d’assurances à La Voulte. »

Guy Novès vécut donc ce Grand Chelem sans blessé, ni remplacement depuis son canapé. Passé le moment du forfait, il assure qu’il a vécu les quatre matchs sans aucune jalousie : « L’analyse n’est plus la même avec le recul du temps, c’est sûr. À ce moment-là, j’avais atteint une cible sans vraiment l’avoir cherché et je n’avais peut-être pas pris la dimension de l’événement » confie le sélectionneur actuel des Bleus. « Le rugby n’était qu’une partie de ma vie qui était centrée sur mes études de prof de sport. Je touchais quelques primes modiques que nous dépensions tout de suite dans des sorties du dimanche soir. Je faisais du rugby pour m’éclater et je prenais ce qui se présentait. Mes parents et mes proches ont peut-être été plus déçus que moi. » Dominique Harize était un proche de Novès. Il l’avait accompagné pour choisir un smoking au « Club de l’homme », à Toulouse, là où travaillait la maman de Guy. C’était le club qui lui offrait. Il donne une version légèrement nuancée de ce forfait : « Je pense qu’au fond de lui, il aurait aimé que le sélectionneur Jean Piqué, dont il était proche, le rappelle. Mais je pense surtout qu’il aurait pu jouer ce match France-Galles et vivre le Grand Chelem. Tout est allé trop vite pour lui. Comme il venait de l’athlétisme, il était à l’écoute de son corps, de son horloge biologique. Il ne s’est pas senti à cent pour cent de ses capacités physiques. Il a déclaré forfait il a oublié de jouer sa carte personnelle. C’est un affectif profond, il n’a pas suffisamment pensé à lui. »

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