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Aux commandements du libre-arbitre

Par benoit_jeantet
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    Aux commandements du libre-arbitre
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Supposons, l’espace de quelques minutes, que ce grand écrivain ait finalement renoncé à sa vocation pour se consacrer pleinement au rugby...

Dans un monde idéal- tachons d’écrire des choses crédibles- un écrivain comme lui aurait finalement choisi de renoncer à ses études pour se consacrer au rugby.  Hypothèse farfelue ? Pas tant que ça, puisqu’on sait- lui-même l’a souvent dit- que l’idée lui a un temps traversé l’esprit. C’était dans ses jeunes années d’enfant de troupe. Années de combat permanent où la vie était aussi difficile qu’on imagine, les brimades quasi quotidiennes et qu’il y avait, en plus, toutes ces corvées avilissantes imposées par des sous-offs bas du front. Et puis le froid. Et puis la faim.  Dans ce monde idéal, il aurait d’abord beaucoup joué au rugby et puis, seulement, ensuite il aurait écrit. Jouer d’accord mais à quel poste ? Celui de demi de mêlée, pardi, puisque c’est donc à ce poste-là qu’il évoluait avant de se tourner vers un tout autre combat: celui de l’écriture. Allons bon, l’écriture, un combat ? Oui. Avec, pour dire rapidement les choses, cette histoire d’angoisse de la page blanche- car tout est là- vécue comme la frustration de l’attente, souvent interminable, de l’entrée en jeu.
Faillir renoncer à ses études pour se consacrer à ce sport, est une chose. Mais pourquoi ce sport, déjà, pour commencer ? Sans doute parce que c’est le genre de découverte, d’expérience déterminante qui lui a permis de franchir le seuil de ces années de caserne, ces années d’ennui et de grisaille. Sans doute. Et on est porté à croire que son expérience à lui- on est un écrivain universel ou on ne l’est pas- vaut aussi pour toute la jeunesse, par delà les générations, malheureuses ou moins. Ne vient-on pas au rugby toujours un peu par hasard, pour s’endurcir le cuir ou se nettoyer, au contraire, de toute cette violence tapie comme une bête en votre fors intérieur ? Et, finalement, si tous ces êtres disparates finissent par y trouver leur compte, c’est qu’ils comprennent peu à peu que sans ça, la plupart n’aurait pas su trop quoi faire de leurs souffrances. Tous les jeunes gens souffrent de cet ennui inexorable et profond qui fait le fond de la vie. Bossuet, qui même dans un monde idéal n’aurait pas pu embrasser la carrière de rugbyman- d’une : le rugby n’existait pas à son époque. De deux : et même, il aurait été tout à fait  incapable de l’inventer. Pas taillé pour l’aventure. Pas numéro neuf pour deux sous-, oui,  ça Bossuet l’a déjà dit.
 Dans ce monde idéal, alors le demi de mêlée qui aurait renoncé à sa vocation de grand écrivain - son visage  austère et ce regard d’épervier, perçant ce regard. L’air de dire : tout cela est fou, qu’est-ce que fais là ? –ce demi de mêlée s’avancerait alors dans la zone mixte- là une population sans cesse renouvelée s’agite dans un flux. Tout un stock de « bons clients », de gens de plume et de colosses plus ou moins taiseux auxquels il faudrait pourtant tirer les vers du nez- au milieu de ses avants. Et il nous livrerait ses impressions. Il nous expliquerait inlassablement pourquoi il joue. Et oui, au fait, pourquoi ?  Parce que faire ça, jouer au rugby, c’est d’abord chercher la vie autrement, mais encore la compléter, l’enrichir, et surtout, l’exalter. Ne plus se sentir à l’étroit dans son existence. Parce qu’on met du temps à être jeune et qu’après avoir joué, vieillir ne compte plus. Les émotions, l’affaire est entendue, ça ne vieillit jamais…
Il poursuivrait à peu près comme suit. Ouvrons les guillemets. « Supposons que les gens arrêtent soudain de penser que le rugby n’est, au bas mot,  rien d’autre- rien de plus qu’un sport de destruction.  Supposons qu’il l’appréhende pour ce qu’il est, a toujours été, une guerre pacifique, un combat dont le but n’est autre que de gagner la paix. » On lui demanderait- on fait le métier ou on ne le fait pas- de quel combat il s’agit au fond ? De quelle paix ? Et la réponse jaillirait, limpide. « D’un combat intime. D’une paix intérieure. »
« Pour faire ça, jouer au rugby, ajouterait-il,  il faudrait élargir toujours d’avantage le regard. Répondre aux commandements du libre arbitre. Tous ces matchs ne sont, à bien y regarder, que les fragments d’un même combat. Une lutte où il faut sans cesse apprendre à se détacher de vous-mêmes pour mieux se porter au soutien de l’autre, de tous ces autres sans lesquels notre histoire ne peut s’écrire qu’en pointillé- les pointillés sont mélancoliques. Méfiance-, qu’incomplète. Cette part d’altérité, c’est l’essence de ce sport où l’égo s’altère sans quoi on se retrouve assez vite isolé, à l’écart, sans quoi on se coupe de tout. » Et il conclurait par ces mots. « Jouer au rugby, c’est encore une manière de se soucier des autres tout en se préoccupant un peu de soi. » Et peut-être que ce monde idéal finirait bel et bien par exister.

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