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Dominique Harize : « Je ne parle jamais de rugby »

Par Jérôme Prévot
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    Dominique Harize : « Je ne parle jamais de rugby »
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Grand chelem 1977 : Nous terminons notre feuilleton sur le plus bel exploit du XV de France. Cette semaine, nous évoquons Dominique Harize, ailier brillant et discret qui ne vit pas dans le souvenir de ses exploits passés. 

On dit qu’il s’agit de l’essai le plus « moderne » de ce grand chelem. Le second du premier match, contre la grande équipe du pays de Galles (16-9) n’a pas grand-chose à envier aux actions contemporaines en termes d’engagement jusqu’au plongeon final d’un petit ailier aux cheveux bruns frisés : Dominique Harize. Disons-le tout de suite, nous l’avons toujours perçu comme le joueur le plus méconnu de cette campagne, celui sur lesquels les récits se sont le moins attardés… Peut-être parce qu’il arrêta très vite sa carrière internationale, juste après ce Tournoi en fait, le succès final de Dublin lui servit de jubilé. Il n’avait pourtant que 21 ans, mais déjà tout un parcours derrière lui. International à 19 ans, il avait dû subir un an de placard dans la foulée : « En 1975-1976, je n’avais plus le droit de jouer en équipe première. J’avais été sélectionné pour la tournée en Afrique du Sud sous les couleurs de Cahors puis j’avais signé au Stade toulousain quand je suis parti en fac de médecine. Mais la FFR m’a mis une licence rouge, que j’ai trouvée très injuste. J’avais une bonne raison de venir à Toulouse et le Stade, à l’époque, n’était pas un club qui donnait beaucoup d’oseille. Je me suis retrouvé à jouer en Nationale B et c’est là que j’ai connu Guy Novès, qui débutait le rugby. » La licence rouge faisait partie des pénitences courantes à l’époque, elles se voulaient le prix de la préservation de l’amateurisme. Un an et demi plus tard plus tard le duo Novès-Harize s’était taillé une petite réputation, forgée au fil de matchs vécus souvent dans la difficulté. Le Stade toulousain n’était pas vraiment une grosse écurie : « Au Stade, nous n’avions pas un pack monstrueux et c’était nous, les trois-quarts qui faisions la différence… en défense. Mon année de pénitence avait très difficile, je m’ennuyais à jouer sur des terrains pourris, face à des équipes loin du niveau de l’élite. Heureusement, un sélectionneur Fernand Cazenave m’avait gardé à l’œil. »

Dès sa sortie du purgatoire, il retrouva les Bleus qui recevaient l’Australie en tournée et sauva le premier test par deux ou trois plaquages décisifs. Sa mise au frigo ne l’avait pas trop engourdi. « Tout s’est joué à Clermont lors d’un match de sélection régionale face aux Wallabies. J’étais le seul trois-quarts qui ne jouait pas à l’ASM, on avait gagné et un journaliste m’assurait qu’il venait de parler à Elie Pebeyre et que Dubertrand serait pris chez les Bleus. Il a fallu que je rentre chez moi et que j’ouvre mon quotidien pour voir qu’il s’était trompé. Car, à l’époque, on apprenait les sélections par le journal (heureux temps de la puissance de la presse écrite). » Le tuyau du journaliste était crevé. Le destin venait d’offrir une saison magique au Toulousain. « Pour ce match au Parc des Princes, j’ai pensé à mon père, mort en 1972 alors que j’avais 16 ans. Il était médecin et il interrompait ses consultations pour voir les matchs du Tournoi. Mais je me suis dit aussi qu’il trouvait que je faisais trop de sport, j’étais aussi nageur. Pendant les hymnes, je me suis dit qu’il ne m’aurait jamais laissé partir jouer à Cahors avant mon bac et que j’aurais peut-être laissé passer ma chance. Ma mère, elle, accepta de m’amener aux entraînements à Cahors alors que j’étais lycéen à Saint-Céré. Elle m’attendait en allant manger chez mes grands-parents. »

 

21 ans et déjà une licence rouge

Nous avions raconté dans ces colonnes fin janvier que Dominique Harize aurait dû être le mentor de Novès pour ses débuts en équipe nationale, mais une blessure en décida autrement. Guy ne fêterait pas son anniversaire le jour du fameux France-Galles. Il laisserait la vedette à son copain, pour ce fameux essai notamment : « Oui, l’action est très moderne dans mon souvenir, elle rebondit d’un bout à l’autre du terrain. Et je crois que tout le monde a touché le ballon. » Dominique Harize, servi par Roland Bertranne, semblait si euphorique quand il plongea en coin devant Phil Bennett, impuissant. Sur les images, il ressemble à un petit lutin avec des faux airs de Michel Berger.À 10 ans, on ne pouvait que s’identifier à lui, un gamin facétieux protégé par les colosses du pack de fer.À notre grande surprise, il mesurait quand même 1, 82 pour 82 kg. Il était donc physique, d’où sa propension à mettre de vrais tampons.

« On a dit que nous pratiquions un jeu restrictif, mais je peux vous assurer que les ballons que nous touchions étaient propres et qu’à nous, les trois-quarts, Jacques Fouroux foutait une paix royale. » Dominique Harize a vécu tous les stigmates du rugby de son temps, les licences rouges, mais aussi les querelles sur la classe des trois-quarts centre français, débats interminables et cruels avec les Dauger, Boniface, Maso, Trillo comme figures tutélaires. « Tout ce qu’on disait sur Sangalli et Bertranne… Ils avaient soi-disant moins de talent et de technique que d’autres centres très admirés. Ça me faisait rigoler, j’avais aussi joué au centre et je savais contre qui j’allais souffrir quand je les rencontrais… ».

Victime de son jeune âge, Dominique Harize reconnaît qu’il n’a pas vraiment apprécié ces quatre moments extraordinaires à leur juste valeur. « J’ai le souvenir du dernier match en Irlande dans des conditions très difficiles. » Entre-temps, il avait brillé contre l’Écosse avec un nouvel essai et un wagon de bons ballons touchés. « Oui, mais je vais vous dire une chose, je n’étais pas satisfait de ce que j’avais produit durant ce Tournoi. » Dominique Harize ne veut pas se mentir quand il reparle de ce Tournoi : « J’avais trouvé normal de perdre ma place (au profit de Daniel Bustaffa.). Je faisais mes études de médecine et je me posais des questions sur mon avenir. »

 

Bien d’autres centres d’intérêt

Dominique Harize était un vrai joueur des années 70, le rugby, même international, n’était finalement qu’une distraction, un état d’esprit si difficile à comprendre par les joueurs actuels. « En 1980, nous avions fait la finale du championnat avec Toulouse contre Béziers. Quelques mois plus tard, Jacques Fouroux devenu sélectionneur m’a proposé de revenir, mais j’ai dit non. Je venais de me marier, j’avais autre chose en tête. » Mine de rien, l’ailier aurait pu vivre un deuxième Grand Chelem en 1981. « Mais choisir, c’est renoncer. » Il applique cette phrase à son départ du Stade Toulousain, ce qui lui fit manquer la grande renaissance des années Jean-Fabre. « Je ne me retrouvais pas avec les dirigeants et il paraît qu’ils ne s’y retrouvaient pas avec moi. Je suis parti faire une saison à Albi, une expérience que je n’aurais pas dû tenter. Puis j’ai joué pendant trois saisons à Brive. J’avais prévu d’arrêter le rugby à 30 ans.J’ai respecté la promesse que je m’étais faite. Nous jouions contre le Racing en Du-Manoir, et dès la fin du match, j’ai remisé mes crampons. »

Dominique Harize disparut assez vite des radars médiatiques. Il fit une carrière dans la banque, puis dans les placements financiers. Depuis 1994, il vit dans l’Hérault. À discuter avec lui, on le sent assez fier d’avoir vécu une seconde vie sans beaucoup de liens avec son parcours de rugbyman. « Je n’avais pas la fibre d’un entraîneur. Mais j’ai bien d’autres centres d’intérêt dans la vie. Tenez actuellement, j’apprends le saxophone. Mais je suis lié aux Barbarians, et je retrouve les Chelemards tous les ans pour un repas. Mais c’est exact, si on ne me sollicite pas, je ne parle jamais de rugby… ».

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