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Le poids d’un bouclier

Par Jérôme Prévot
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Il y a cinquante ans, Montauban remportait son seul titre à Bordeaux, aux dépens de Bègles. L’événement fait encore causer dans la cité d’Ingres.  

« Je ne le croyais pas si lourd ! » Louis Blanc a-t-il prononcé cette fameuse phrase en recevant le Bouclier de Brennus ? Cinquante ans après, le capitaine de l’USM le confirme : « J’étais en sueur, alors avec le vernis, le bouclier m’a glissé dans les doigts. Il y avait Georges Pastre, le grand reporter de Midi-Olympique, dans les parages, il a extrapolé, la phrase est restée dans les annales. Comme si je n’avais plus la force de le porter. » Le pilier droit montalbanais n’était pas à bout de forces, il avait 34 ans, mais il jouait là son dernier match. C’était un très rude client en mêlée fermée, mais sa carrière n’avait été parsemée que d’honneurs paradoxaux : 22 sélections… sans entrer en jeu (il n’y avait pas de remplacement en cours de match) puis une grave blessure, nerf sciatique rompu, qui mit sa carrière en péril à 27 ans. Elle lui laisserait une légère claudication. On imagine la frustration. Pour cette figure de proue fouettée par les embruns, ce bouclier brandi avec peine fut une façon de quitter le devant de la scène sur un triomphe totalement inattendu, parce que cette finale Montauban-Bègles, c’était vraiment un duel d’outsiders, le septième contre le treizième de la phase régulière. Au tapis, les Agen, Dax, Brive, Narbonne…

 

La deuxième ligne la plus jeune de l’histoire

Et Montauban, c’était l’outsider parmi les outsiders puisque la finale se déroulait au Parc Lescure, quasiment chez l’adversaire sous le regard de Jacques Chaban-Delmas et du « seigneur » André Moga, devenu depuis peu un homme fort de la Fédé. Alors, cette victoire 11 à 3, riche de quatre essais et de seulement deux points de coups de pied, elle a marqué la cité pour toujours : « On m’en parle encore quand je fais mes courses, » poursuit l’ancien pilier. Le deuxième-ligne Gérard David va plus loin : « J’ai quitté Montauban en 1975et je suis revenu y vivre voici sept ou huit ans. Et il ne se passe pas une journée sans qu’on me reconnaisse qu’on me parle du sacre. » Pour un joueur qui n’a jamais été international, c’est quand même impressionnant. Avec Gaston Carrié, Gérard David formait la plus jeune deuxième ligne championne de France de l’Histoire, 21 ans et 20ans. « Fin 1966, à Sapiac, nous avions battu Narbonne qui faisait partie des favoris. Ce match fut pour nous un déclic. C’est ce jour-là que tout a commencé. » Cette équipe était clairement coupée en deux. Dix jeunes, tous âgés de moins de 23 ans, encadrés par cinq vieux : Blanc, Cabanier, Marquesuzaa, Maurières et Sirac. On peut regarder ce titre avec une vision passéiste, quatre-vingts pour cent des joueurs venaient du Tarn et Garonne, ils n’avaient qu’un entraînement collectif par semaine. Ils n’avaient même pas dormi à Bordeaux la veille de la finale puisqu’ils étaient partis le matin même dans une « micheline ». Le samedi, ils avaient joué à la pétanque.

Mais on peut aussi y voir le succès d’une vraie politique, soigneusement pensée par une poignée de dirigeants : André Garrigues, marchand de cochons, Jean Impérial, chef d’une entreprise de carrelage et de moquette et Maurice Eychenne, propriétaire d’un magasin de caoutchouc. Trois notables ambitieux portés par la vague des trente glorieuses qui avaient décidé que leur club et leur ville méritaient mieux qu’un statut de bon club formateur. La préfecture du Tarn-et-Garonne a toujours souffert et souffre encore de ne pas avoir un club à la mesure de la passion du rugby qui l’anime.

« Ils sentaient que des jeunes talents émergeaient comme Londios, Piazza ou Cardebat et qu’il fallait les encadrer, » explique le numéro 8 Francis Bourgade. Les trois « boss » avaient donc fait venir cinq ou six pointures, dont Henri Romero parti entre-temps à Nice remplacé par Bourgade international juniors, alors à l’ASPTT Paris : « J’avais réussi le concours, je voulais jouer au Racing, mais les gars des PTT me disaient que si je ne jouais pas pour eux, ils se débrouilleraient pour me faire travailler le dimanche. Quand Montauban m’a contacté, j’ai pu démissionner pour entrer au Crédit Agricole. »

La perle de leur recrutement s’appelait Arnaud Marquesuzaa 33 ans, héros de la tournée de 1958, champion avec le Racing et Lourdes. Il était capable de jouer aussi bien en troisième ligne qu’au poste de trois-quarts centre. Ce titre lui permettrait d’entrer dans le club très fermé des joueurs sacrés avec trois clubs*. « Nous avions deux « patrons », Loulou Blanc et lui. Arnaud nous a beaucoup apporté dans le jeu pur, il nous expliquait beaucoup de choses, il nous a fait progresser. Et quand les bons ballons sortaient, il se plaçait parmi les trois quarts… », poursuit Gérard David.

 

Bourgade mieux que Spanghero

Le rugby de l’époque avait plus de fraîcheur que celui de maintenant, mais ce n’était pas le monde des bisounours pour autant. Les joueurs avaient des primes de match et les grands noms bénéficiaient de contrats officieux. Et puis, la ferveur locale pour le ballon ovale avait de quoi assurer l’ordinaire : « L’hôpital, la Mutualité Sociale Agricole et le Crédit Agricole fournissaient beaucoup d’emplois… » explique Gérard David qui avait travaillé dans le fameux magasin de caoutchouc de Maurice Eychenne, Loulou Blanc, lui, était plombier-chauffagiste à l’hôpital.

Cette finale 1967 fut un vrai moment d’euphorie. « Peut-être notre match le moins dur des phases finales, » selon Louis Blanc. Les images montrent trois essais plutôt limpides. Bègles était une équipe joueuse, sans rudesse excessive. Certains ont même reproché à ce match d’avoir manqué d’engagement. Les Montalbanais évoquent en revanche « de deux grosses embuscades » en quart contre Brive (3-0) et surtout en demie contre Graulhet (9-6), le club de Marcel Batigne, nouveau président de la FFR après la révolution de 1966 : un rendez-vous très très musclé ; « J’y ai laissé quatre dents » poursuit Francis Bourgade. Ce numéro 8 talentueux et buteur a toujours vécu ce titre comme une compensation aux injustices d’une carrière : « J’ai toujours été grillé par Walter Spanghéro pour l’équipe de France. Quand je le lui rappelle, il me dit : oui, mais toi tu as goûté à quelque chose qui m’a toujours été refusé : le plaisir de brandir le Brennus. » C’est vrai que la remise du bouclier donna lieu à une sacrée foire d’empoigne avec un Roger Couderc au bord de l’asphyxie : « Je vais mourir », hurla-t-il au micro coincé par la foule agglutinée au pied d’un Loulou Blanc qui contrôlait désormais le bouclier d’une main ferme. Le retour dès le dimanche soir tourna au bain de foule. « Du parvis de la gare au café de l’Industrie, c’était noir de monde. » Porté par l’euphorie, les Montalbanais se seraient bien vus réussir un doublé. Mais l’USM n’était pas une écurie assez prestigieuse pour faire partie du Du Manoir, ils durent de contenter du Challenge de l’Espérance et d’un nouveau succès contre l’équipe du président Batigne : 9-8. Décidément, aucune force ne pouvait résister cette année-là, aux petits hommes verts, revêtus de blanc pour le jour J.

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