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Baptiste Serin : « Je me sens plus légitime »

Par Nicolas Zanardi
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    Baptiste Serin : « Je me sens plus légitime »
Publié le Mis à jour
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Il y a un an, Baptiste Serin, l’enfant prodige de l’UBB effectuait en Argentine des premiers pas remarqués dans le grand bain bleu. Un an plus tard, il estime avoir vécu « quatre saisons en une seule » du point de vue de l’expérience, et enrichi le travail de fond sur son mental.

Voilà un an, vous débarquiez sur la pointe des pieds en équipe de France pour une tournée en Argentine privée de demi-finalistes. Depuis, vous avez enchaîné une saison en club, mais aussi les tests de novembre, le Tournoi… Quel bilan tirez-vous de ces douze derniers mois ?

De prime abord, il serait plutôt positif. Parce que si je suis encore avec les Bleus, c’est que j’ai prouvé au staff que je pouvais y rester… Mais je ne m’endors pas pour autant : s’il y a eu du bon, il y a également eu des choses négatives qu’il me faut encore régler. Cela passe par de l’apprentissage, de la prise d’expérience, par l’écoute des conseils des coachs, par le fait d’enchaîner les matchs… Ce qui est certain, c’est que durant cette année, avec l’enchaînement des matchs, j’ai pris l’expérience de trois ou quatre saisons en une seule. Tout est allé si vite…

Qu’est-ce qui a changé en un an ? Votre propre regard, celui de vos amis, de l’extérieur ?

Le regard que je pose sur moi n’a pas changé. Celui de mes proches et de mes amis non plus, je pense. Ensuite, vis-à-vis de l’extérieur, j’ai pris conscience que je n’étais plus le jeunot à qui l’on pardonne tout. Je suis considéré comme un joueur de l’équipe de France, qui a moins le droit à l’erreur que les autres.

On imagine que vous l’avez particulièrement touché du doigt lors de cette défaite à domicile de l’UBB contre Pau, et des sifflets de votre propre public qui ont accompagné votre sortie…

Ça m’a blessé, ça m’a vexé, bien sûr. Mais, au moins, cela m’a fait toucher du doigt que rien n’est acquis. Si contre Pau notre défaite avait été profondément collective, j’avais été particulièrement responsable en raison de mes échecs dans les tirs au but. Et prouvé qu’il fallait continuer à travailler.

Vous parliez tout à l’heure de positif et de négatif. En quoi estimez-vous avoir progressé ?

Dans le positif, je trouve que je suis un peu plus propre dans ce que je fais. J’arrive à prendre plus de recul sur les temps forts et les temps faibles de l’équipe, même si le Tournoi m’a montré qu’il y avait encore du boulot de ce côté-là. C’est peut-être normal à 21, 22 ans d’avoir encore du travail, mais je me suis aussi amélioré du point de vue mental, où je parviens à rester plus calme malgré la tension. Et techniquement, j’arrive à être un peu plus propre, même si j’ai conscience d’avoir encore trop de déchet lorsque je rentre dans ma zone de fatigue.

Ces progrès semblent se matérialiser par une assurance nouvelle, à vous observer durant les entraînements…

(Il coupe) Il faut que j’assume mon rôle auprès de tout le monde et, pour cela, j’avais besoin de me sentir en confiance. J’ai besoin de sentir que je fais bien les choses pour accepter que les autres puissent avoir confiance en moi. Aujourd’hui, après un an en équipe de France et l’accumulation de quelques capes, je me sens plus légitime. J’ai encore beaucoup à travailler, comme je vous l’ai dit mais, désormais, il m’est plus facile de dire ce que je pense, que ce soit en match ou en semaine, avec le staff ou avec mes partenaires. Je n’hésite plus à débattre.

À titre personnel, vous travaillez avec un préparateur mental, démarche encore assez taboue dans le rugby français. En quoi cela vous apporte-t-il ?

Pour moi, c’est une chose qui est obligatoire dans l’approche du haut niveau, à laquelle on ne fait pas assez attention en France. Je ne dis pas que cela est nécessaire pour tout le monde, car tous les joueurs sont différents. Mais j’en ai ressenti le besoin à un moment, lorsque j’avais 15 ans et que j’avais quitté mon village de Parentis pour rejoindre le pôle espoirs de Talence. Cela m’a apporté des bienfaits et continue de le faire. Alors, pourquoi arrêter ?

Avez-vous toujours travaillé avec la même personne ?

Non. À Talence, c’est Vincent Manta (le directeur du pôle espoirs, N.D.L.R.) qui m’avait présenté Christian Ramos. Aujourd’hui, je travaille à Bordeaux avec Gershon Pinon, tout comme mes coéquipiers de l’UBB Darly Domvo, Marco Tauleigne, Clément Maynadier ou Jefferson Poirot. Je collabore avec lui lorsque j’en ressens le besoin, en moyenne toutes les deux, trois semaines. Généralement je vais le voir, sinon je l’appelle, comme ce sera sûrement le cas pendant la tournée. Ce n’est pas quelqu’un qui a pratiqué le rugby, mais qui s’intéresse à tous les sports et qui a, surtout, une bonne analyse de nos comportements, sait nous décortiquer. Par exemple, si je perds mon calme, c’est qu’il y a un autre problème derrière. Une fois que ce problème est identifié, le travail du préparateur mental consiste à nous donner des billes pour en faire abstraction et rester calme dans le feu de l’action. C’est d’autant plus nécessaire que lorsqu’on joue 9 ou 10, il faut savoir prendre les bonnes décisions sous pression.

Vous disiez de travailler pour garder votre calme. Qu’est-ce qui peut vous inciter à le perdre ?

Ce qui peut m’agacer, c’est lorsque mon équipe ne trouve pas de solution. Lorsque l’on se retrouve dans un match où rien ne va, ou tout ce que tu vas essayer va rater. Je travaille là-dessus, pour parvenir à rester calme et trouver la bonne solution même lorsque le problème semble insoluble.

Vous avez probablement vos petits secrets. Mais par exemple, quelles sont les clés pour ne pas perdre le fil de son match après une erreur ?

Si tu fais une mauvaise passe, l’idée, c’est de switcher le plus vite possible. Les passes, tu sais les faire, le problème n’est pas technique. Alors, tu « nextes », tu passes directement à autre chose. On appelle cela l’effet de corbeille. Pour que cela marche, il faut se reconcentrer sur autre chose. Je ne veux pas divulguer tous mes petits trucs personnels, mais cela peut être n’importe quoi. Un mot-clé, par exemple, une couleur, une figure qu’on essaie de se représenter mentalement. Tout est bon tant que l’on parvient à passer à autre chose.

Et vous parvenez à vous remobiliser de la sorte, même dans l’intensité d’un test-match ?

Oui. Aujourd’hui, ce fonctionnement est entré dans ma logique. Si bien que, quel que soit le contexte du match, j’arrive à utiliser ce processus.

Il y a là des similitudes avec le rôle du buteur…

Oui, il y a des similitudes même si ce n’est pas tout à fait la même chose… Le but, c’est une routine, que tu te répètes. Des fois, tu rates, parce que tu t’es manqué sur un enchaînement de détails. Le point commun, c’est qu’après un échec il faut tout de suite switcher. C’est la même logique : quand tu butes, c’est que tu sais taper. Il ne faut pas tout remettre en cause, juste se donner les moyens de passer à autre chose.

En plus d’un préparateur mental, vous vous êtes également entouré de Dimitri Yachvili…

Il m’aide dans mon rôle de buteur, essentiellement. Après, il peut aussi m’apporter sa vision des choses en tant qu’ancien demi de mêlée, lorsqu’il regarde certains de mes matchs. Mais je suis aussi en contact avec Heini Adams, quelqu’un sur qui je m’appuie énormément. D’abord parce qu’il est toujours au club à Bordeaux, mais surtout parce que je l’ai toujours davantage considéré comme mon mentor ou mon père spirituel que comme un concurrent. Heini, c’est quelqu’un qui m’a appris à voir le bon côté du rugby. J’espère d’ailleurs le croiser cet été, comme il fait partie de la tournée des Barbarians français.

Tout à l’heure, vous disiez avoir progressé dans la lecture des temps forts et des temps faibles. Le fait d’avoir évolué à l’ouverture en fin de saison avec l’UBB y a-t-il contribué ?

Cela y a participé, c’est sûr. Quand tu évolues à l’ouverture, tu vois comment le 9 fonctionne et tu comprends encore mieux dans quelles conditions tu veux tel ou tel ballon. Certes, je suis ouvreur de formation, mais repasser par ce poste s’est avéré enrichissant dans mon bagage, car il m’a permis de toucher du doigt certaines choses. De comprendre encore mieux quand il est préférable de travailler les avants, ou d’éjecter rapidement.

Avec l’absence de Camille Lopez, vous pourriez être contraint de dépanner à nouveau à l’ouverture, avec le XV de France cette fois. Vous considérez-vous comme polyvalent ?

Le staff de l’UBB a un peu été contraint de demander d’assurer un intérim, entre les blessures et les méformes de certains. J’ai accepté pour le bien de l’équipe, mais je ne me considère pas vraiment comme polyvalent. Plutôt comme un demi de mêlée capable de dépanner à l’ouverture, s’il y a une vingtaine de blessés (rires). Non, j’exagère, mais je me considère vraiment comme un ouvreur de dépannage. Je suis beaucoup plus à l’aise à la mêlée, le poste où j’ai acquis le plus d’expérience.

Quelle serait une tournée réussie pour le XV de France en Afrique du Sud, à vos yeux ?

Les Springboks sont une bête blessée qui va bien finir par se refaire une santé, et j’espère que ce ne sera pas contre nous. Ce sera très solide, mais nous avons nos ambitions. Je n’étais pas en équipe de France avant, mais je ressens dans la génération actuelle une vraie volonté de gagner. Je me souviens de ce premier test en Argentine l’été dernier, que nous avions perdu de peu en effectuant une bonne partie. Tout le monde en était ressorti terriblement frustré, et nous nous étions promis de remporter le deuxième. J’espère que nous connaîtrons cet été une physionomie de tournée similaire. Comme je ne veux pas paraître arrogant, je vous répondrai que l’objectif consistera à remporter le plus de victoires possible. Depuis le pays de Galles et cette sensation unique en fin de match, on sent que les choses peuvent enfin tourner en notre faveur. Quand tu vois l’abnégation que cette équipe avait mise pour remporter ce match, tu te dis qu’elle est capable de grandes choses.

par Nicolas Zanardi, à Johannesburg

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