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Il venait d’avoir 18 ans

Par Jérôme Prévot
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    Il venait d’avoir 18 ans
Publié le Mis à jour
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Il y a trente ans, Toulon retrouvait le bouclier de Brennus après cinquante-six ans de disette. L’essai décisif de la finale fut inscrit par un quasi-débutant, David Jaubert. Récit.

Pour ceux qui aiment vraiment les oppositions de caractères et d’image, franchement, il n’y eut pas mieux que cette finale 1987 entre Toulon et le Racing, le soir du décès de Dalida. À l’époque, on parlait déjà de l’émergence des grandes villes, mais les équipes reflétaient encore les particularismes locaux, elles avaient des accents et des manières qui ne se ressemblaient pas. Onze des dix-sept Toulonnais qui ont joué venaient de Provence-Côte d’Azur ; même proportion pour les Racingmen. La majorité d’entre eux avaient été formés en Ile-de-France et l’accent de titi parisien d’Éric Blanc était à lui seul un délice. Et puis, on vantait la rudesse des avants du RCT autour des Manu Diaz, Bernard Herrero, Éric Champ et Marc Pujolle. Ceci dit, au-delà des clichés, ce RCT-là, pratiquait un jeu plus complet, et plus structuré que ses devanciers. En face, on célébrait le rugby aéré, voire anarchique des dandys du Racing. Ses trois-quarts se donnaient un style qui tranchait totalement avec les us de l’époque, des facéties et des déguisements en tous genres, le genre de trucs qui pouvaient en agacer certains… Pour l’occasion, ils portaient un… nœud papillon rose.

 

Corsaires contre minets

Avec leur détachement de minets des beaux quartiers les Racingmen donnaient l’impression de se retrouver là presque par amusement. Les corsaires toulonnais avaient manqué de peu le coche en 1985, cette saison-là, ils avaient dominé toute la compétition avec tout ce qu’on imagine comme pression sur leurs épaules. Alors, cette victoire, les Varois la désiraient sans doute un peu plus, et leur destin la leur a accordée : 15 à 12.

Il y a donc bien des manières de se souvenir de ce match. Mais elle fut marquée par le destin formidable d’un joueur, David Jaubert.

Justement, il aurait bien mérité que la regrettée Dalida chante pour lui son nostalgique refrain : « Il venait d’avoir 18 ans », si elle n’avait pas cédé au même moment aux assauts de la déprime. David Jaubert était entré en cours de jeu à la 39e minute à la place de Pascal Jehl. À l’époque, c’était déjà un événement car les remplacements n’étaient pas systématiques et c’est lui, cet inconnu qui préparait un BEP d’électromécanicien qui allait marquer l’essai décisif au milieu de tous ces grognards qui feraillaient depuis des mois. Trente ans après, la voix est toujours aussi juvénile au téléphone : « Oui, cet essai on m’en parle souvent. Non, je ne serai pas à la finale car avec les anciens du RCT nous organisons une randonnée en Corse. Je viens d’ailleurs juste d’arriver à Ajaccio. Mais je vous rassure, nous allons regarder le match. »

 

Troisième match seulement

Certains vieux Toulonnais attendaient ce titre depuis cinquante-sixans, Marcel Baillette, le capitaine du titre de 1931 venait de mourir trois jours plus tôt à 82ans. Pour brandir ce Bouclier, David Jaubert n’a eu besoin que de trois matchs. « Daniel Herrero m’avait fait jouer les deux dernières rencontres de la saison régulière et j’avais marqué cinq essais contre Pau et contre Nîmes. » Cet essai, évidemment, il le connaît par cœur, la croisée de Cauvy pour Bianchi soutenu par Trémouille pour une fixation et enfin ce renversement parfait de Gallion dans le fermé pour Carbonnel qui va à la corne et enfin… lui, David Jaubert. Quinze mètres de course malgré Genet et Guillard. Voilà comment un gamin a offert le Bouclier à des vieux briscards qu’il ne connaissait presque pas : « Oui, dans ce groupe, je ne connaissais personne. Je venais de La Seyne-sur-Mer et j’étais arrivé en début de saison en tant que Junior première année. Mais quand je suis entré en jeu, Jérôme Gallion a su tout de suite me mettre en confiance. Les avants m’ont fait un clin d’œil quand je suis passé à côté d’eux. »

On imagine le déluge de sollicitations qui se sont abattues sur lui dans les heures qui ont suivi et sa sidération quand l’essaim de journalistes lui a fondu dessus. Le Midi Olympique lui décerna illico l’Oscar de la semaine. Au milieu des effusions il raconta son histoire, ses premières années à La Seyne-sur-Mer sous la houlette de Julien Sana et cette journée inoubliable : « L’après-midi, j’ai sommeillé un peu et j’ai rêvé que je marquais. Mais je suis rentré dans un état second, comme si on m’avait donné un coup sur la tête. Et seul comptait pour moi la fixation sur les tâches défensives, je ne voulais pas que l’équipe perde à cause d’une erreur de ma part en défense. »

On lui posa aussi des questions sur sa famille : « Mon père est monté à Paris avec mon frère. Mais pas ma mère. Elle a trop peur quand je joue. Tiens quand elle m’a vu entrer, je suis sûr qu’elle a éteint la télé ! » Dans la folie des vestiaires toulonnais, on se souvient de son père, Alain élu local, déclarant tout sourire : « Je rame depuis des années en politique et toi, tu débarques et tu gagnes le bouclier… »

Comme la majorité de ces Toulonnais-là, David Jaubert était un pur produit du Var, mais il ne venait pas d’une lignée de rugbymen patentés : « Mon père a dû jouer un quart d’heure. Et mon frère est danseur et chorégraphe… Mais je vais vous dire, ce soir-là, je n’ai pas réalisé tout ce qui se passait, j’étais si jeune, c’était arrivé si vite. En fait, j’ai vécu plus intensément le titre de 1992, car je savais ce que ça représentait et puis, cette année-là, cinq ans plus tard, nous étions passés par des barrages (contre Aurillac, N.D.L.R.) avant de vivre la plus longue des phases finales avec cette remontée fantastique en quart de finale contre Tarbes. »

Le plus fort c’est qu’en 1992, à 23 ans, David Jaubert faisait déjà figure de « papa » dans une vraie équipe de « minots » tombés du ciel pour sauver le club : Delaigue, Teisseire, Orsoni, Périé, de Rougemont. Dans la mémoire des supporters, ils lui volent forcément la vedette. Son talent était toujours là, mais l’éclat de sa jeunesse était passé. 

 

par Jérôme Prévot

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