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Camille Chat : Au nom du père

Par Nicolas Zanardi
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    Camille Chat : Au nom du père
Publié le Mis à jour
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Samedi, Camille Chat a honoré sa neuvième sélection mais toujours pas sa première cape en Bleus malgré l’absence du titulaire habituel Guilhem Guirado. Cela n’a toutefois pas désespéré celui qui, derrière son impressionnante musculature, camoufle une histoire personnelle des plus riches, sur laquelle il se fait habituellement assez discret dans les médias.

« Applique, Chaton, applique ! Bien, Chaton ! » Nul besoin, vous l’aurez compris d’être grand clerc pour deviner à qui peuvent s’adresser ce genre d’encouragements reconnaissables entre mille, notamment lors des séances supplémentaires de touche. Plutôt mignon, d’ailleurs, tant on aurait pu imaginer bien pire dans le cénacle parfois un brin lourdingue d’une équipe de rugby, fut-elle le XV de France. « C’est vrai que j’ai toujours été chambré avec ça, se marre l’intéressé,à savoir évidemment le talonneur du Racing 92 Camille Chat. Mais honnêtement, comme cela n’a jamais été trop méchant, je ne l’ai jamais mal pris, bien au contraire. Parce que je suis fier de mon nom, et de ce qu’il représente à mes yeux. »

Cette fierté ? N’allez pas croire qu’il s’agit d’une expression jetée en l’air, sans plus de réflexion. Car lorsque Camille Chat, garçon de peu de mots, commence à fendre la glace, ce n’est pas pour évoquer les blagues potaches et autre calembours balancés par ses camarades sur les hautes plaines du Gauteng. Mais bien pour évoquer son patronyme, dans le sens le plus rigoureux du terme. Le sien, et surtout celui de Fabrice. Son père, contrôleur-qualité de profession, handicapé physique depuis l’âge de 17 ans et un cruel accident de moto. Une force et un moteur d’inspiration sur lequel Camille appose pourtant le sceau du secret, même auprès de certains de ses coéquipiers. « Après son accident, mon père a eu la colonne gravement touchée… Il peut marcher difficilement, avec une canne, mais passe la plupart de son temps sur fauteuil roulant. Je l’ai toujours connu comme ça. Mais je n’en parle pas beaucoup, car je ne vois pas ce que cela peut apporter aux autres de leur raconter que mon père est handicapé. » Cela s’appelle de la pudeur. Comprendront ceux qui pourront…

Quad et prises de tête

Il faudrait en effet être bien naïf pour croire, que ce genre de destin n’apporte rien. Et confère au contraire une force, un feu intérieur, devenu un des atouts du talonneur du XV de France, bien au-delà du rugby. « C’est quelqu’un de très important pour moi, dans ma vie. C’est difficile à dire mais c’est un peu mon héros, un pilier de ma vie, qui sera toujours là pour moi et pour qui je serai toujours là… Ce qui force l’admiration, c’est son caractère. Pour faire face à son handicap, il a développé une volonté exceptionnelle qui est forcément source d’exemple pour moi. Je me souviens d’un jour, quand j’étais petit, où nous étions en vacances. Il avait déjà beaucoup de mal à marcher sans sa canne et, comme nous allions traverser un pont assez long, j’avais parié avec lui de marcher sans aide de l’autre côté du pont. Il a mis du temps, mais il y est arrivé… Cette scène m’a énormément marqué. » Jusqu’à développer, avec le paternel, un rapport qui va bien au-delà du strict rapport filial. Œdipe mal résolu, assureront les psychologues de comptoir ? Qu’ils aillent au diable… Rien que le plaisir de partager ce qui semble du plus banal. « Récemment, nous avons acheté un quad tous les deux, s’amuse Chat Dès que je rentre à la maison, nous allons en faire un tour… Même si on se prend souvent la tête à propos de tout et de rien parce que l’on n’est pas toujours d’accord, je lui fais entièrement confiance. Il me conseille sur tout, de ma vie sportive à la vie privée. À la base, il n’est pas trop rugby, mais cela lui permet d’avoir toujours un avis pertinent, et à moi d’entendre un autre son de cloche. Au sujet des contrats, on discute en permanence. »

Choix de carrière

C’est d’ailleurs Fabrice Chat qui jouait le rôle d’intermédiaire de son fils auprès de ses clubs, avant que Camille ne se décide à prendre un agent voilà quelques semaines. Et plus encore, celui de son guide, sans qui l’actuel talonneur du XV de France n’aurait probablement jamais connu la carrière que l’on sait au rugby, démarrée au fin fond de l’Yonne, entre Toucy et Auxerre. « J’ai commencé par le foot. Je jouais défenseur, mais je n’avais aucun talent. Alors, comme j’étais un peu virulent, mon père a inscrit à la fois au rugby et au kickboxing. Il voulait que ses enfants soient capables de se défendre, peut-être également que je me défoule. » Afin d’expulser cette rage et ce feu intérieur, dont on laissera aux psychologues d’occasion le soin d’imaginer la cause… « Le fait est que j’adorais le kickboxing. J’avais fait quelques compétitions à un bon niveau (il a même été champion de France à l’âge de 11 ans) et, à un moment, il fallait faire un choix entre ça et le rugby. Si j’avais choisi seul, j’aurais continué dans le kickboxing. Mais c’est mon père qui a tranché et décidé que je ferais du rugby. Il a pris la décision à ma place. Notamment parce qu’il préférait pour moi l’ambiance du rugby à celle de la boxe… C’est ainsi que j’ai intégré le pôle espoirs de Dijon… »

Le début d’une aventure qui le conduisit au parcours classique des talents bruts : top 100, sélections de jeunes, intégration du pôle France à Marcoussis. Un autre moment charnière puisque c’est celui qui devait correspondre à un grand saut dans l’inconnu, le changement de club et de région, donc l’éloignement du cocon familial. Et encore un choix dans lequel papa Chat devait se montrer décisif. « Au moment de quitter Dijon, trois clubs m’intéressaient parmi ceux qui m’avaient contacté : le Racing, Agen et Grenoble. Si j’ai choisi le Racing, ce n’est pas seulement parce qu’ils étaient les seuls à me proposer un contrat espoirs. Mais surtout parce qu’il s’agissait du club le plus proche de chez moi, et le plus facile d’accès pour rentrer. Une heure et demie de trajet à peine… Cela a vraiment été l’argument décisif dans la négociation. Du coup, depuis quatre ans maintenant, dès que j’ai un moment, j’en profite pour sauter dans un train et rentrer voir ma famille. J’ai une grande sœur, Solène, que mes parents ont eu avant de se séparer. Mon père a refait sa vie de son côté et a eu un fils, Lilian. Ma mère également, qui a eu deux autres enfants, Gabin et Angèle. C’est mon plaisir, à chaque fois que je rentre, de passer du temps avec eux… »

Un mental forgé par l’exemple

Car oui, on l’oublierait, mais Camille Chat n’a jamais que 21 ans. Et qu’après neuf sélections glanées en tant que remplaçant depuis l’investiture de Guy Novès, celui-ci n’attend plus que l’occasion de se débarrasser de l’encombrante étiquette « d’impact-player » qui semble lui coller au dos aussi bien en club qu’en sélection. Mais si le fait d’avoir encore été cantonné au banc samedi malgré l’absence de Guilhem Guirado lui a forcément causé une petite déception, le Racingman n’en a rien laissé transparaître, laissant de côté ses états d’âme. « C’est dur d’exister derrière Guilhem, qui est le capitaine. J’en ai un petit peu parlé avec lui… Il m’a juste dit qu’il fallait passer par là, comme lui y était passé de longues saisons, et qu’il fallait saisir la moindre chance dès qu’elle se présentait. »

Pas de quoi se plaindre, en tout cas, lorsque d’autres pourraient à la longue sombrer dans l’aigreur. Le signe d’une mentalité exemplaire, forgée par un exemple auquel il brûle de faire honneur. « Mon père ne viendra pas en Afrique du Sud, trop compliqué… Mais il va regarder tous les matchs, c’est sûr. Et j’espère qu’il sera fier de moi. » Que Camille Chat se rassure. Si la manière ni le résultat n’ont été au rendez-vous samedi à Pretoria, nul doute que celui-ci saura trouver dans son histoire personnelle de quoi relativiser, et rapidement rebondir. Probablement le plus grand motif de fierté de Fabrice, là-haut, au fin fond de l’Yonne…

Par Nicolas Zanardi

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