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Christian Prudhomme : Rugby et cyclisme, même combat

Par midi olympique
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    Christian Prudhomme : Rugby et cyclisme, même combat
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Cette semaine, Jacques Verdier est parti à la rencontre du patron du Tour de France, Christian Prudhomme. Dans cet entretien exclusif, le boss du Tour, ancien journaliste et grand amateur de rugby, se livre au jeu des questions-réponses en établissant certains liens entre le cyclisme et le rugby.

D’où vous vient la passion du cyclisme ?

De l’enfance. De mon père qui était handicapé et qui notait, sur des cahiers, les exploits des sportifs, dont ceux des coureurs du Tour. On écoutait le Tour, on écoutait Roger Couderc en regardant les matchs de rugby, on écoutait même Luc Varennes, sur la télé Belge pour les grandes classiques cyclistes. C’est grâce à mon père, à cette passion qu’il vouait aux sports, que j’ai rêvé de devenir journaliste. Le journalisme que j’ai assouvi plus tard à Europe 1 comme à France Télévisions était une vraie passion d’enfance. Et je dois dire que si j’ai longtemps rêvé de commenter le Tour, je n’ai jamais songé à le diriger un jour… Le journalisme était une mission, sûrement pas un métier.

 

Le journalisme télévisé mais aussi écrit a largement contribué à la mythologie du Tour.

Bien sûr et c’est d’ailleurs la grande force du Tour d’avoir toujours su être en phase avec son époque. Il fut créé par la presse écrite, magnifié par la radio puis par la télévision, comme il s’inscrit aujourd’hui résolument dans la vie des réseaux sociaux. Les jeunes savent tout, tout de suite, avec ce deuxième écran, qui participe à son tour d’un lien social absolument extraordinaire. Le Tour, c’est 3 500 kilomètres de sourires et d’émotion. Il n’y a pas d’équivalent au monde. C’est le plus grand spectacle populaire gratuit.

 

Comment expliquer l’attachement du peuple pour le Tour ?

Il y a plusieurs raisons. L’héroïsme y entre pour une grande part. La récurrence de l’épisode estival aussi.

 

C’est notre messe annuelle…

Exactement. Mais je crois aussi beaucoup à la simplicité des coureurs qui me renvoie d’ailleurs assez directement à celle des joueurs de rugby. Les cyclistes comme les rugbymen sont accessibles. On n’approche pas Federer comme on approche un coureur. Les gens sont sensibles à cette proximité.

 

Quelles passerelles justement peut-on établir entre les deux sports ?

Ce sont mes sports préférés. J’ai une grande passion pour le rugby que j’ai toujours suivi à travers ces grands matchs. Je me souviens de tout, de Paul Biémouret et de ses bras de fer, d’Alain Estève, le grand deuxième ligne de Béziers, de Jean-François Gourdon que je retrouve souvent, de Jean-François Imbernon et de Michel Palmié, la fameuse deuxième ligne du grand chelem de 1977. J’ai des souvenirs de lecture de feu le Miroir du rugby… Je me souviens très bien de la finale de 1971, entre le Béziers de Barrière et le Toulon d’André Herrero. C’était le jour de ma Confirmation. J’ai été fort opportunément malade, ce dimanche-là, pour suivre la finale bordelaise… Je revois la « Carwyn » jouée par Jean-Pierre Romeu (il se lève alors du siège de son bureau, feinte la passe, tient un ballon imaginaire dans le creux de sa main comme le faisait Romeu justement, allonge la passe…) ; Vaquerin blessé au genou et tenu de rester sur le stade lors de la finale de 1975. L’enfance toujours. Les champions de notre enfance sont les champions de notre vie.

 

Mais est-il possible de trouver des ressemblances entre ces deux sports ?

La terre ! Ce sont des sports de la terre. Ce sont des sports de racines. De l’humilité, du partage, de la convivialité. On y est chez soi. Entre soi. Je raconte toujours cette très belle répartie d’un enfant, Augustin, qui disait à son père : « Le plus beau Tour, c’est celui qui passe chez moi ! » Tout est dit, il me semble.

 

La starisation n’est pas la même non plus, eu égard à des sports comme le foot ou le tennis ?

C’est vrai, l’humilité est le maître mot des cyclistes et des rugbymen. Je me rappelle de ce jour où j’avais invité Bernard Hinault dans la voiture officielle de la direction du Tour. Au micro, j’avais tenu à saluer les mérites de Bernard qui avait donné son sang pour ce sport. Et là, d’un seul coup, Bernard était tombé en larmes. « C’est trop, me disait-il. » Il ne savait pas à quel point il nous avait donné du bonheur. Mais l’expression de l’humilité de cet immense sportif était là, parfaitement résumée.

 

Vous accueillez beaucoup de rugbymen lors des étapes du Tour.

Des dizaines et des dizaines. Je vais en oublier, qu’ils me pardonnent, mais les Dintrans, Garuet, Gachassin, Lapasset, Novès, Armary, Galthié, Betsen, Chabal, Bernat-Salles, sont des habitués du Tour. Je me souviens, à titre anecdotique d’avoir vu Chabal bluffé par un coup de tête magistral que s’étaient donnés deux coureurs lors d’une arrivée au sprint à Bourg-les-Valence. « À soixante à l’heure, s’exclamait-il, c’est proprement incroyable… » Je crois que les rugbymen sont sensibles à la force que dégagent les coureurs.

 

Le cyclisme a-t-il évolué aussi largement, aussi profondément, que le rugby sur ces dernières années ?

Bien sûr. Les champions d’autrefois se battaient contre la pente. Aujourd’hui, les développements sont tels, qu’ils lissent pour partie cet effort. D’où les pentes de plus en plus dures que l’on propose aux coureurs, comme celle du Mur de Peguère, en Ariège, chère à notre ami commun, Henri Nayrou…

 

Quid de la polémique liée au fait que le Tour puisse se courir à l’étranger ?

Jacques Goddet, qui fut à l’origine de la création du Tour de France, avait dit à Jean-Marie Leblanc, mon prédécesseur à la tête du Tour : « Le Tour de France est le prestige et le savoir-faire de la France partout où il passe. » Cette phrase m’est restée en mémoire pour ce qu’elle suppose de responsabilités mais aussi de bienfaits pour notre pays. Le Tour c’est un peu l’image de notre pays. Mais pour répondre plus précisément à votre question, rappelons quand même que la première fois que le Tour s’est couru en terre étrangère, ce fut en 1907, pour un départ à Metz qui était alors allemand. Henri Desgranges avait d’ailleurs déclaré de manière un rien provocatrice : « On est chez nous »… Le départ fut aussi donné à Amsterdam en 1954. En 2007, nous sommes partis de Londres, deux jours seulement après les sinistres attentats que l’on sait. Le « Times » avait titré à sa Une, en français dans le texte, « Vive le Tour ». Et cette célébration, dans un pays en deuil, avait donné lieu à une cérémonie d’ouverture incroyable de fraternité, au point que les coureurs s’étaient arrêtés pour applaudir le public. Mesure-t-on cela ? Alors oui, c’est l’honneur du Tour et l’honneur de la France d’accepter d’ouvrir ses frontières.

 

La problématique du dopage ombre-t-elle encore la course ?

Non. Le monde parfait n’existe pas, bien sûr, mais je vous assure que le cyclisme est redevenu un sport propre. Ce n’est plus le vilain petit canard. Il a fallu l’épisode Amstrong pour que les choses évoluent. Mais elles ont vraiment évolué, je vous l’assure. La preuve en est que l’on retrouve les champions du Tour de l’Avenir aux avant-postes, ce qui ne se produisait plus auparavant. Et puis il est temps de rompre le cou à cette idée reçue selon laquelle le cyclisme serait différent des autres sports. Qui peut jurer, aujourd’hui, que le dopage ne se trouve que chez nous ? Sérieusement ?

 

Qu’attendez-vous de l’aventure qui s’annonce ?

Je souhaite que le suspense soit au rendez-vous, comme il l’a été tout au long de ce début de saison, lors des différentes courses à étapes. Mais mon grand espoir c’est de voir de nouveau des Français jouer les premiers rôles. Jusqu’en 2014, je pensais la chose impossible. Or, aujourd’hui, même si Froome reste le grand favori, je crois aux chances de Thibault Pinot, de Romain Bardet. J’attends aussi beaucoup de la première arrivée à l’Isoard, le 20 juillet. Ce Tour s’annonce tactique et très, très disputé.

 

Propos recueillis par Jacques Verdier

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