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Au centre de la cible

Par Marc Duzan
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Publié le
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Sonny Bill Williams est un joueur à part tel qu’en témoigne son parcours sportif. Sa vie, elle, est tout aussi singulière : ancrée autour de sa famille et de la religion. la semaine dernière,khoder Nasser, son agent/manager, nous a guidés jusqu’à la rencontre de sbw, un phénomène.

Tout a commencé dans les brumes d’une nuit polaire, à Wellington. Khoder Nasser squattait la terrasse du Fidel’s, un salon de thé de Cuba Street. A ses doigts, un cigare gros comme un barreau de chaise. «Asseyez-vous, mon ami ! », hurlait-il à notre approche. Barbe épaisse, gabardine noire et sourire carnassier : l’homme d’affaires n’avait pas vraiment changé depuis la dernière fois où l’on avait croisé sa route, dans un café d’Auckland, quatre ans plus tôt. Nasser, 46 ans, libanais d’origine, est un ancien étudiant en arts modernes. Personnage sulfureux, excentrique et fascinant, il prie Allah cinq fois par jour et dort souvent à même le sol afin d’éprouver sa foi. Khoder Nasser est, selon l’humeur, agent de joueur, mentor ou avocat d’affaires. Manager de l’ancien champion du monde des poids moyens Anthony Mundine, Nasser fait la pluie et le beau temps dans le monde de la boxe australienne. Son père est l’ancien président de la fédération des musulmans d’Australie, lui s’occupe des intérêts de Quade Cooper et Sonny Bill Williams. Comme souvent, l’Australo-Libanais est ce soir d’un commerce agréable. Il prend des nouvelles de Mourad Boudjellal, « son camarade de business ». Se marre au souvenir de « ce bon vieux Philippe » (Saint-André) qui « aurait pu mourir pour garder Sonny Bill à Toulon ». Il nous interroge ensuite sur le rugby français, « ce joyeux chaos où les gens ne semblent heureux que lorsqu’ils s’égorgent ». Au vrai, Khoder Nasser a des anecdotes sur la terre entière et les livre à sa façon, se foutant pas mal des canons du « off » ou des règles de bienséance. «Vous la connaissez celle-là ? En 2001, peu après que Mundine ait quitté le rugby à 13 pour démarrer une carrière de boxeur, Eddie Jones nous a reçus dans un hôtel de Sydney : ce jour-là, les yeux dans les yeux, il m’a assuré qu’Anthony serait le demi d’ouverture des Wallabies au Mondial 2003. Il n’en a évidemment rien été. Mais posez la question à Eddie, vous verrez bien! » L’an dernier, peu avant que Williams ne prolonge son contrat avec la fédération néo-zélandaise, Nasser a aussi reçu un coup de fil de Chris Masoe. Le numéro 8 du Racing venait aux nouvelles, comme on dit… Entre le club des Hauts-de-Seine et le trois-quarts centre des All Blacks, l’affaire ne s’est pourtant pas conclue. « On n’a rien contre le Racing », jure l’agent sportif, tout en nous rappelant qu’en 2011, au soir de la finale de Super Rugby entre les Crusaders et les Reds, les supposées mesures de rétorsion de Dan Carter envers SBW avaient quelque peu surpris les défenseurs de Williams : ce 9 juillet, l’ouvreur du Racing avait donc touché le ballon à 19 reprises dans les 22 mètres australiens. « Et vous savez combien de ballons avait-il donné à Sonny? » Non. « Zéro ! » Il ponctue la fable d’un clin d’œil, marque une pause, redevient impérieux et passe à autre chose : « Ah, la France… C’est un grand pays qui a beaucoup souffert ces derniers temps. J’aurais bien aimé attraper de mes mains les assassins de 2015 (l’attaque du Bataclan) pour leur demander des comptes : comment, bande d’imbéciles, pouvez-vous prêter au Coran de tels préceptes ? Qu’y a-t-il dans vos têtes sinon de la haine et du vent ? » Furax, Nasser se lève à présent et quitte la terrasse du Fidel’s, nous invitant d’autorité à le suivre. Depuis près d’une heure, Sonny Bill Williams attend en effet son « frère d’une autre mère » dans le hall d’un palace de Wellington. A l’Intercontinental de Grey Street, les deux hommes tombent aussitôt dans les bras l’un de l’autre puis, lorsqu’il nous aperçoit, Sonny se fend d’un sourire timide, prend rapidement des nouvelles de la Rade (« J’ai vu la finale du RCT : mon pote Ma’a a été gigantesque ! ») et nous invite alors à rejoindre le quatrième étage de la résidence des All Blacks. Là-haut, la chambre 405 a spécialement été réservée par Nasser pour que son champion puisse jouir d’une certaine intimité, au moment de la prière matinale ou pour de simples sessions de stretching.

Le premier All Black expulsé depuis 1967 !

Foudroyé samedi soir par le carton rouge de Jérôme Garcès et auteur d’un plaquage qui aurait pu trancher la tête d’Anthony Watson, la star des Blues est devenue à Wellington le premier All Black à être expulsé d’un test-match depuis cinquante ans. Depuis le grand Colin Meads en 1967, en réalité. Souvent décrié dans le pays où il vit le jour, SBW traînera probablement l’affaire Watson jusqu’aux prochains Four-Nations, alimentant les chroniques, rassemblant ses fans autour de sa légende, confortant ses ennemis et squattant finalement toutes les conversations d’un micro-pays épris de rugby. Peu avant de quitter la tournée des Lions la tête basse et par la porte du fond, Sonny Bill avait pourtant illuminé le premier test, poussant les Lions à bâtir leur plan de jeu en fonction de son seul cubage : à Auckland, Gatland avait ainsi titularisé le rustique Ben Te’o dans le but de stopper la bête ; à Wellington, en optant au milieu du terrain pour deux numéros 10 (Farrell et Sexton), « Gats » avait cette fois-ci choisi de la contourner. Où qu’il se trouve, Williams est irrémédiablement le centre de toutes les attentions, l’homme autour duquel tous les coachs du monde ont un jour ou l’autre bâti un plan… Alors, l’ancien Toulonnais était en plein ramadan lorsqu’il rossa les Lions avec les Blues (22-16) avant de remettre le couvert trois semaines plus tard, à l’Eden Park (30-15). « Le jeûne ne m’affaiblit pas, confie-t-il. Avec le temps, j’ai même appris à m’organiser ». Le matin, Sonny et son épouse Alana se réveillent donc à 5 heures précises, avalent un bol de flocons d’avoine et quelques œufs. Williams boit ensuite un litre et demi d’eau pleine d’électrolytes (« ça permet de fixer le liquide dans le corps toute une journée »), beurre quelques tartines puis, une fois Imaan (2 ans) et Aisha (six mois) réveillées, file alors s’entraîner. « Je pense toujours aux petites, quand je suis sur le terrain. Le rugby est ce que j’ai toujours connu et, même si elles ne comprennent encore pas tout, j’essaie de leur montrer par mes actions que tout ce que je fais, je le fais pour elles. Quand je plaque, je cours ou je passe, quand j’accepte de prendre des coups, c’est uniquement pour Aisha et Imaan ». Il marque une pause, observe rapidement une photo sur l’écran de téléphone et sourit : « ce sont elles qui m’intéressent, désormais. Je ne veux plus m’asseoir à une table et m’inquiéter de ce que va faire Donald Trump. Si tu t’angoisses pour des choses contre lesquelles tu ne peux rien, tu pleureras toute ta vie… » Vainqueur de la NRL à deux reprises, double champion du monde à 15, victorieux des deux adversaires qu’il eut à combattre sur un ring (Garry Gurr et Ryan Hogan), Williams rêvait de devenir champion olympique de rugby à 7, l’été dernier. « Et je me suis blessé au tendon d’Achille, en début de tournoi. J’ai donc échoué. Mais je n’en garde aucune amertume. Cette décision était entre les mains de Dieu ». De Rio, Williams garde néanmoins en mémoire cette soirée inoubliable passée avec Usain Bolt, le roi du sprint : « Nous avons discuté une heure au village olympique. Je connaissais le champion, j’ai découvert un être incroyable. L’homme le plus rapide de tous les temps est féru d’histoire et de politique. Il est fascinant. Devant lui, je me sentais vraiment comme un enfant ».

Objecteur de conscience

C’est en 2008, dans le Var, que Sonny Bill Williams s’est donc converti à l’Islam. Il raconte : « A Toulon, je me suis lié d’amitié avec une famille tunisienne. En France, je vivais dans une grande et belle maison. Mais je me sentais seul, mal dans ma peau. Eux n’avaient rien et étaient heureux. Ils vivaient à six dans un deux-pièces. Pourtant, ils me donnaient tout sans ne jamais rien demander en retour. Ils n’avaient rien et étaient heureux. Si heureux. J’ai essayé de comprendre… » Toujours en rapports étroits avec ceux qui lui avaient alors ouvert leur porte, le roi du off load se décrit aujourd’hui comme « un fier musulman », maîtrise quelques bribes d’arabe classique et se métamorphose même en objecteur de conscience, lorsque le rugby pro se cherche de nouveaux hommes-sandwichs. A l’évocation du souvenir, il se marre : « Tout ça a fait un tel buzz ! Ce n’est pas du tout ce que je recherchais, vraiment ! » En avril dernier, alors qu’il venait à bout d’une blessure au tendon d’Achille l’ayant tenu éloigné des terrains dix mois durant, Sonny Bill décidait de placer un morceau de sparadrap sur le logo de BNZ (Bank of New Zealand), l’un des sponsors maillot des Blues : « Il y avait très longtemps que je rêvais de faire ça. C’est mon droit, vous savez : il est inscrit dans mon contrat avec la NZRU que je suis libre de m’opposer au fait que mon image soit associée à une banque ou une marque d’alcool. Je ne bois plus depuis plus de dix ans. Et je ne crois pas aux bienfaits de la spéculation. Avec le temps, je suis devenu quelqu’un de très simple ». À ce point ? « Chez moi, il n’y a rien sur les murs : ni médailles, ni maillots, ni trophées. Le prophète dit que lorsque tu contemples trop tes murs, les anges ne s’y arrêtent plus ». Sonny Bill Williams aura 34 ans lorsque son contrat avec la fédération néo-zélandaise prendra fin. Nasser étant persuadé que l’eldorado du transfert se trouve désormais en Angleterre, il est plus que probable que son bien-aimé se paye alors un dernier shoot d’adrénaline outre Manche. « J’ai entre les mains les offres de deux clubs londoniens, conclut l’agent. Et cette fois, je vous jure que les Français ne pourront rivaliser ». Inch’allah…

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