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Castres, la rançon de la sueur

Par Simon Valzer
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    Castres, la rançon de la sueur
Publié le Mis à jour
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Plutôt que de vous raconter la préparation physique d’un club de top 14, Midi olympique a décidé de la tester pour vous. Notre journaliste a donc pénétré plusieurs jours dans l’intimité du Castres olympique, qui a repris l’entraînement depuis trois semaines. entre efforts intenses, rires, litres de sueur et blagues potaches, on vous emmène dans les coulisses d’un voyage au bout de la souffrance.

Il est 7h30 quand j’arrive lundi matin sur le parking déjà bien garni du centre d’entraînement du CO. La nature tarnaise est parfaitement calme, et le fin brouillard qui enrobe la plaine du Lévezou empêche les premiers rayons de soleil de percer. La sérénité des lieux tranche franchement avec la puissante musique de rap U.S qui s’échappe des fenêtres la salle de musculation. Mais bon sang, qu’est-ce je fous là ? Qu’est-ce qui m’a pris de proposer ce sujet ? Ma mission est simple: vivre et raconter de l’intérieur la préparation physique d’un club de Top 14, en l’occurence le CO. Je regarde ma montre, je suis déjà en retard d’une minute. «Sois à l’heure, on aime pas les retardaires», m’avait-on prévenu. Les jours précédents, le staff s’était fait un malin plaisir à me promettre l’enfer. Vendredi, le boss du Castres Olympique Christophe Urios m’envoyait ce mail lapidaire : «Voilà ton programme. Ta venue se précise. D’ici là, REPOSE TOI.» Merci du conseil patron. Samedi, les préparateurs physiques en avaient rajouté une couche au téléphone: «On va bien s’occuper de toi, compte sur nous !» C’est trop gentil les mecs. Impossible de reculer.

 

Nouvel olympien

Dès que je pénètre dans les lieux, je tombe sur une foule de messages placardés aux murs et destinés à placer les joueurs dans les dispositions mentales propices à l’entraînement. En entrant dans les vestiaires, une grande affiche du fameux Abbé Pistre me dit : « Il vaut toujours mieux donner que recevoir ». Au-dessus de l’entrée de la salle de musculation, c’est au tour d’André Agassi de jouer les coachs mentaux : « Ceux qui ne s’entraînent pas ne méritent pas de gagner. » Le décor est posé. On m’indique mon casier, sur lequel figure ma photo avec la formule « Nouvel olympien ». On y est. Dans la salle, l’ailier Julien Caminati est le premier à pédaler tandis que Geoffey Palis prend connaissance de son programme. Sitôt arrivé, je me plie au rituel quotidien des Castrais : « l’état de forme ». Soit une pesée suivie de tests de mobilité et de souplesse dont les résultats sont immédiatement reportés par les joueurs sur un moniteur où ils remplissent un questionnaire sur leur état de fatigue, la qualité de leur sommeil ou la présence d’éventuelles douleurs. Le système est relié aux ordinateurs du staff : « Les résultats sont stockés pour que l’on puisse les consulter sur le court et le moyen terme », m’explique Julien Rebeyrol le spécialiste GPS du club, « de cette façon, cela nous permet de déceler des états de fatigue anormaux. »

Une fois le formulaire rempli, je suis pris en charge par Mourad Abed, le spécialiste de la réathlétisation. Je commence avec Geoffrey Palis par la musculation des membres supérieurs. Autour de moi, les avants du CO travaillent les jambes. Fentes, squats, presse… Les colosses suent à grosses gouttes sous les barres avant de passer sur une autre machine de torture, le fameux watt-bike : « Il est prévu que tu en fasses ? » me demande Daniel Kotze. « Heu… je crois oui ? » « Ah, très bien… Tu vas voir ! » glisse dans un sourire le Sud-africain. Aux alentours de 10 heures, le troisième ligne Alex Tulou enfourche le vélo infernal, et entame une série de trois tests pour mesurer sa puissance : un de six secondes, un de trente et un dernier de trois minutes, ce dernier étant le plus redouté. « J’en ai acheté un pour pouvoir travailler chez moi », sourit le Samoan qui dégouline de sueur après avoir développé plus de 2000 watts en puissance maximale sur un sprint. Malgré tout, le géant grimace : « Je fais mieux d’habitude… » Visiblement, les Olympiades disputées le week-end précédent avec le huitième régiment de parachutistes de Castres ont laissé des traces : « On a poussé des camions de onze tonnes », souffle le centre Thomas Combezou. La salle de muscu du CO possède aussi ses champions. Sans surprise, Tulou en fait partie, au même titre que le pilier Damien Tussac ou l’ailier Julien Caminati chez les trois-quarts. Mais ils sont déjà challengés par le jeune troisième ligne Baptiste Delaporte. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais à tout juste 20 ans, le capitaine des Espoirs présente des qualités athlétiques hors-norme. Un peu plus tard, c’est au tour des trois-quarts d’investir la salle. Là, le ton change. Les arrières sont plus chambreurs. Et rapidement, ils se défient. Rory Kockott, Sipa Taumoepeau et Robbie Ebersohn se tirent la bourre aux demi-squats et comparent leur score d’explosivité grâce à l’accéléromètre relié à la barre. Même en phase de présaison, la compétition n’est jamais loin. À 15 heures, Rory Kockott et Taylor Paris se plient au test de puissance sur le watt-bike, suivi par « un petit supplément. » Mourad Abed m’invite à me joindre à eux pour ce qui sera l’expérience la plus traumatisante de ce séjour...

 

Vu du ciel…

Le lendemain, rebelote. Rendez-vous est pris à 7 h 30. Comme la veille, la journée commence par de la musculation : « Nous privilégions le travail nerveux le matin, quand les joueurs sont frais », m’explique Vincent Giacobbi, le coordinateur de la préparation physique. Une heure plus tard, je retrouve sur le terrain le pilier roumain Mihai Lazar et le deuxième ligne Thibault Lassalle, qui sont en phase de réathlétisation sous la houlette de Mourad. Après un échauffement soigneux, nous nous élançons pour une série de douze courses de 120 mètres, avec un départ toutes les 50 secondes. Pour corser l’affaire, la distance n’est pas une ligne droite mais un aller et retour de 60 mètres, ce qui implique un arrêt et un redémarrage en plein milieu afin de développer l’explosivité. Le piège de cet exercice, c’est que la fatigue raccourcit forcément votre temps de récupération. Au début, je boucle la distance en 24-25 secondes. Au début, du moins. Après, on ne récupère plus et on termine au mental. Devant moi, les deux Castrais se tirent la bourre : malgré son poids (120 kilos) le pilier est plus vif sur les premiers appuis. «Accroche-le ! Ne le lâche pas !» hurle Mourad à Lassalle. Mais l’allonge du deuxième ligne lui permet de remporter la douzième et dernière course sur le Roumain. De l’autre côté du terrain, le reste des avants du CO se retrouve pour une séquence spécifique axée sur le jeu au près et les relances de ballons lents. Juste au-dessus de nous, un bourdonnement attire mon attention : il s’agit d’un drone piloté par Mathieu Axisa, l’analyste vidéo du CO : « C’est une nouveauté au club, je l’ai reçu vendredi dernier. Ce drone va nous permettre de fournir des images bien plus précises au staff qui pourra se concentrer sur le replacement des joueurs mais aussi sur les angles de courses », m’explique le vidéaste. Le drone, facilement transportable puisqu’il tient dans une petite valise sera complété d’une caméra fixe qui sera installée à une quinzaine de mètres de hauteur dans un coin du terrain : « La vue de trois-quarts permet de voir plus distinctement les intervalles entre les joueurs », ajoute Axisa. A l’utilisation, le résultat est bluffant : en dépit d’un léger vent, le drone reste stable et envoie des images très nettes. Seul inconvénient : l’autonomie des batteries, qui dépasse à peine la demi-heure. C’est ensuite au tour des trois-quarts de pénétrer sur la plaine du Lévezou. Là, j’assiste à une scène surréaliste : Joe El Abd, l’entraîneur des avants sort une raquette de tennis et Julien Caminati enfile un bandeau qui lui donne un look à la Bjorn Borg. Les deux hommes se seraient-ils trouvé une passion commune pour le tennis ? Non, le premier va simplement faire travailler sa coordination œil-main au second. Caminati lance des balles à son entraîneur, qui lui renvoie d’un côté ou de l’autre avec sa raquette. Le but est simple : saisir la balle avec une seule main et du bon côté. Pour compliquer l’affaire, on peut fermer un œil. El Abd fait bientôt face à six joueurs et renvoie les balles de façon aléatoire:« Ce n’est pas grand-chose, mais cela stimule bien les joueurs avant d’entrer dans un atelier technique », explique l’ancien flanker d’Oyonnax et de Toulon. à mon retour au vestiaire, je réalise que j’ai été bizuté. En mon absence, un petit malin a glissé une banane bien mûre dans mon sac et l’a écrasée… « On s’excuse pour celui qui a fait ça, Simon », me glisse avec une touchante sincérité le pilier Daniel Kotze. Plus tard dans la journée, ce sera au tour de Grégory Marquet d’être victime d’une autre blague potache, un classique du genre : celle du chewing-gum mâché planqué dans la chaussure. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’identité du (des) coupable(s) n’avait toujours pas été révélée. L’enquête suit son cours…

 

 « Du ludique qui pique ! »

Deux fois par semaine, les Castrais restent le midi au Lévezou pour partager un repas commun. Bientôt, ils partageront aussi deux petits-déjeuners hebdomadaires : « C’est une façon pour nous contrôler l’alimentation des joueurs. La nutrition est un point sur lequel nous voulons nous améliorer la saison prochaine », m’explique Frédéric Charrier, l’entraîneur des trois-quarts. Une fois le repas pris, les joueurs filent à la sieste. De mon côté, je m’effondre sur le canapé de la salle de vie du Lévezou. Avec des entraînements de cette intensité, la sieste devient vitale. Une demi-heure plus tard, je retrouve encore mon ange gardien Mourad pour un circuit training avec mes partenaires de galère Mihai Lazar et Geoffrey Palis. Quatre ateliers, trente secondes de travail, dix secondes de récupération, le tout à répéter plusieurs fois. Gainage dynamique, cordes, abdominaux, boxing, tout est bon pour amener le cœur à des rythmes atteints en match. En phase de réathlétisation, Lazar et Palis n’auront toutefois pas à subir « la grosse séance énergétique » qui fait grimacer une bonne partie de l’effectif à sa simple évocation depuis la veille : « C’est l’une des dernières séances énergétiques avant la coupure, car vendredi nous terminerons les Olympiades. Je pense qu’on va charger ! » sourit un brin inquiet le prometteur ailier Kylian Jaminet. Après une longue réunion sur le projet de jeu, les Castrais se retrouvent donc pour la dernière fois de la journée sur la plaine du centre d’entraînement.

Au programme, une courte mais intense répétition de leurs lancements de jeu, suivie de la fameuse séance. Une séquence appelée « conditioning game » (« jeu de conditionnement » en français) dans le jargon des prépas physiques, mais que les joueurs qualifient entre eux de « ludique qui pique ». En bref, le principe consiste en un toucher amélioré, avec l’obligation pour le défenseur qui touche de faire une pompe à chaque toucher. La vraie originalité vient du fait que chaque équipe a le droit à une passe vers l’avant pour servir un joueur monté en pointe, à la manière d’un attaquant de foot : « Cela oblige l’attaque et la défense à regarder partout, en permanence. C’est très bon pour la prise d’info et la possibilité de faire une passe vers l’avant crée des franchissements qui obligent à se replacer en permanence », explique le pilier Antoine Tichit. Répartis sur deux terrains où s’opposent deux équipes de dix, les Castrais courent rapidement comme des dératés. Perché en hauteur à côté de sa balise GPS, Julien Rebeyrol voit les fréquences cardiaques des joueurs s’envoler, et mesure en temps réel leur moindre déplacement. Relié par radio à Vincent Giacobbi et Grégory Marquet qui sont sur le terrain, il transmet les infos.

Sur la pelouse, les joueurs sont déjà écarlates mais ne sont pas encore au bout de leurs peines : pour corser le tout, le staff a ajouté à l’ensemble des exercices de lutte au sol. Les arrières Pierre Bérard et Kylian Jaminet ont le malheur de tomber en duel face au jeune pilier Gaëtan Clermont et au deuxième ligne Victor Moreaux, à qui ils rendent chacun une bonne vingtaine de kilos. Excédé par l’écart de poids, Bérard explose : « Donnez-m’en un autre, c’est un caillou lui ! » et provoque l’hilarité du staff. À l’issue de la séquence, les joueurs trouvent refuge à l’ombre et cherchent désespérément leur souffle. « C’est la meilleure préparation physique que j’ai jamais faite. Il y a des années en arrière, je me souviens que l’on courait parfois comme des c... pendant trois semaines sans jamais toucher le ballon. Là, les coachs ont trouvé un super moyen de travailler très dur tout en faisant que l’ensemble soit stimulant pour tout le monde », nous confie l’inoxydable capitaine Rodrigo Capo Ortega. Autant d’efforts qui ne sont que le prix que les Olympiens de Castres devront payer s’ils veulent se hisser au rang de dieux du Top 14.

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