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L’enfance de l’art

Par Jacques Verdier
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Publié le Mis à jour
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Une passée de soleil sur un ciel d’encre. C’est un peu ça, à y bien réfléchir, l’avènement de cette jeunesse nouvelle dans l’univers d’un jeu sous haute tension. On voudrait que le phénomène croisse, s’amplifie, jusqu’à redevenir majoritaire.

Parce que tout le monde, bien sûr, aurait à y gagner : l’équipe de France bien évidemment, la formation française, les jeunes joueurs, les supporters même, plus enclins à s’identifier à ses enfants qu’à des recrues étrangères de deuxième rang, sinon les partenaires dont les goûts évoluent et qui commencent à se lasser d’un monde prétendument fraternel, intelligent, mousquetaire, mais finalement en passe de devenir pire que ceux qu’hier encore il pourfendait. Regardons-y d’ailleurs à deux fois. De quoi parle-t-on ? Du bonheur de voir de jeunes joueurs français s’exprimer enfin dans notre championnat, devenu, comme me le suggère, un rien sarcastique, mon ami Serge Girard, « le championnat des étrangers de France. » Est-ce assez délirant ? Le seul fait de s’en réjouir, suffit à démontrer en creux l’absurdité donnée à l’évolution de ce jeu depuis quinze ans. 

En proie à une logique cinglée, notre sport s’est laissé emporter par ce courant de la mode qui voulait que sans une multitude de joueurs étrangers, aucune perspective sérieuse ne puisse se faire jour. Et le phénomène ne tarda pas à gagner toutes les couches de notre rugby, du Top 14 à la Fédérale 2. Échange trois jeunes français plein d’avenir contre un Georgien bien sous tous rapports et un Fidjien véloce. Intermédiaires souhaités. De là, tout le salamalec que l’on sait : agents retors (ils ne le sont pas tous), partenaires satisfaits (en est-on sûr ?), contrats délirants et désertion lente de notre jeunesse au profit d’autres sports plus accueillants. On en est là, aujourd’hui, à constater la démarche proprement suicidaire d’un sport qui tire depuis toujours sa substantifique moelle de valeurs fermes (la famille, l’empathie, la générosité) et qui, au nom d’un principe insigne, de lignes de partage totalement embrouillées, cultive désormais les contraires avec un masochisme sidérant. Peut-on en sortir ? Ce serait la grandeur de nos dirigeants de ne plus capituler devant les prétendues fatalités destructrices qui accablent notre sport. Certaines équipes commencent à en prendre conscience. Mais c’est largement insuffisant.

Essayez de composer la formation type de chaque club et vous serez édifiés. Quand on compte cinq Français dans le lot, c’est Byzance ! Or, n’étaient les quelques stars indispensables à la promotion et à la qualité de notre sport, combien de seconds couteaux ? Combien de joueurs « moyennas », comme dit l’ami Moscato, qui profitent du système et font barrage à cette jeunesse qui, lassée, écœurée, trop vite abandonnée, tire un trait, à vingt-trois ans, sur toute ambition et se détourne du rugby ? Mesure-t-on a contrario la joie qui nous étreint tous devant l’avènement d’un jeune joueur prometteur — qui Penaud, Serin, Dupont, Lacroix, entre autres formidables exemples ? Il y a là, soudain, dans les travées des stades et devant les postes de télévision, comme une gaieté dansante, un charme nouveau, une ironie décapante et des airs de techno qui flottent dans l’air. L’enfance de l’art.

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