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Goosen : "J’étais perdu, pris au piège"

Par Marc Duzan
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    Goosen : "J’étais perdu, pris au piège"
Publié le Mis à jour
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Johan Goosen, demi d’ouverture de Montpellier. En attendant que son épouse Aletia et ses deux enfants ne le rejoignent à Montpellier, il démarrera, ce lundi, la préparation physique concoctée par Vern Cotter dans l’Hérault. Pour Midi olympique, le mal aimé brise le silence. Et livre sa vérité de l’affaire Goosen…

Midi Olympique : Rappelons les faits : à l’automne 2016, vous revenez à l’entraînement après avoir disputé une série de tests avec les Boks. Que s’est-il passé ensuite ?

Johan Goosen : Je ne sais pas… C’est vieux, tout ça…

S’il vous plaît, que s’est-il passé ? 

J.G. : Pour être clair, je ne me sentais pas bien à Paris. Je suis sud-africain, j’ai besoin d’espace et, en banlieue parisienne, les immeubles sont si proches les uns des autres que j’avais l’impression d’étouffer.

A ce point ?

J.G. : Oui. J’avais la sensation désagréable de vivre dans une boîte. Le pire, c’est que mon fils était aussi très malheureux. Lui qui avait goûté à la ferme de Bloemfontein et aux grands espaces ne se faisait pas à cette vie. Il pleurait tout le temps. Et nous, on ne dormait plus.

Est-ce vraiment tout ?

J.G. : Oui ! Sincèrement, j’avais des relations très saines avec les joueurs. J’étais proche d’Antonie Claassen, Gerbrandt Grobler, Bernard Le Roux ou Joe Rokocoko. Au Plessis-Robinson, dès que je croisais Juan Imhoff, je lui courais après pour lui montrer les photos de ma ferme et des animaux : un bœuf, un koudou, une antilope… ça l’amusait beaucoup. J’étais bien entouré et, en un sens, je me suis mal comporté vis-à-vis d’eux en quittant le club.

On veut bien entendre vos arguments mais quelques mois plus tôt, vous aviez pourtant choisi de prolonger de quatre ans votre contrat dans les Hauts-de-Seine. Pourquoi ?

J.G. : Je ne sais pas… Encore une fois, je n’ai rien contre ce club et cette équipe. Je pense même y avoir beaucoup progressé puisque j’ai été élu meilleur joueur du Top 14 lors de la saison 2015-2016. J’aimais travailler avec Laurent Labit. Il m’écoutait, me guidait, me grondait aussi, parfois.

A quel moment ?

J.G. : Le jour où j’ai arrêté d’assister aux cours de français, il n’était pas content et m’a carrément écarté de l’équipe. Cela a duré plusieurs mois…

Pourquoi n’alliez-vous plus en cours ?

J.G. : C’est dur le français ! Et puis, vous croyez vraiment que j’avais envie d’aller en classe après m’être entraîné toute la journée ? (rires)

Vous n’avez pas répondu à la question. Pourquoi avez-vous soudainement décidé de quitter le Racing après avoir prolongé ?

J.G. : Bon… Les dirigeants du Racing ont proposé une somme (400 000 € la saison, N.D.L.R.), j’ai pensé que le deal était très correct et j’ai signé. Voilà… Peut-être ai-je fait une erreur à ce moment-là de ma vie. Parce que j’étais très malheureux hors des terrains. Je n’aurais pu rester cinq années de plus.

Qu’avez-vous dit au président Lorenzetti le jour où vous lui avez annoncé votre départ ?

J.G. : J’étais assez nerveux. J’ai d’abord parlé avec Ronan O’Gara (alors entraîneur de la défense francilienne). Je lui ai dit que ma famille n’était plus heureuse ici et qu’on devait partir. Ronan m’a répondu que c’était une bêtise, qu’on pouvait trouver un arrangement et me loger dans une maison plus grande, avec un parc, de l’herbe et des arbres. Mais j’ai refusé. J’étais dans une période noire de ma vie et je voulais couper avec le rugby, quitter la grande ville et revoir ma terre.

Que vous a répondu Ronan O’Gara ?

J.G. : Il m’a dit que je faisais fausse route, puis il a mis le président au courant. (il soupire) Je me souviens que Jacky Lorenzetti était très en colère. Et je le comprends.

On dit surtout que vous cherchiez alors une revalorisation salariale…

J.G. : C’est faux. L’argent n’a rien à voir là-dedans. Je voulais une autre vie, le soleil, l’espace et la nature. J’aurai tout ça à Montpellier. Par rapport à Paris, c’est un peu la campagne ici !

La concurrence avec Dan Carter, alors numéro 1 du poste d’ouvreur au Racing, vous a-t-elle également incité à partir ?

J.G. : Non. Le rôle de trois-quarts centre que l’on m’avait confié me plaisait bien. Et j’ai beaucoup appris en deux ans aux côtés de Dan Carter. Peut-être me servirai-je de ses précieux conseils à Montpellier cette saison… (rires)

Vous souvenez-vous du jour où vous avez quitté la France ?

J.G. : Comment l’oublier ? C’était le 31 décembre 2016. J’avais peur ce matin-là. Je ne savais pas quel avenir m’attendait, quel accueil allais-je recevoir au pays et si mes revenus seraient suffisants pour faire vivre mon épouse et mon enfant.

Que vous ont dit vos proches quand vous leur avez annoncé que vous quittiez le Racing ?

J.G. : Au départ, ma femme m’a dit que j’étais fou et que je ne serai jamais heureux sans rugby. Au final, elle a compris que ce serait mieux pour nous tous. En fait, mon épouse Aletia fut ma meilleure alliée à cette époque.

Et vos coéquipiers ?

J.G. : Ben Tameifuna a été d’une gentillesse incroyable avec moi. Peu avant mon départ, il m’a notamment aidé à déménager. Je nous revois le dernier jour, dans mon appartement vide. On avait commandé un grand plat à emporter dans une chaîne de restauration rapide et on mangeait à même le sol. […] Je me rappelle que Ben disait que je faisais une connerie. Joe Rokocoko, Dan Carter et Dimitri Szarzewski m’avaient d’ailleurs dit la même chose. Mais ma décision était prise.

Connaissiez-vous à cette époque Mohed Altrad, le président du MHR ?

J.G. : Non. Je l’ai rencontré pour la première fois de ma vie lundi dernier, lorsqu’il m’a reçu chez lui à Montpellier. J’étais nerveux. Je transpirais. Je n’aime pas ce genre de tête-à-tête. En clair, je crois que je ne suis vraiment à l’aise que sur un terrain de rugby ou sur la croupe d’un cheval.

Permettez-nous d’insister : avez-vous vraiment pris votre décision seul ? N’avez-vous pas été conseillé ?

J.G. : Oui, je l’ai prise seul. Non, je n’ai pas été conseillé.

Deux ans plus tard, comment jugez-vous cette décision ?

J.G. : C’était une folie. J’ai fait une erreur. Mais c’est la vie. Paradoxalement, j’ai aussi beaucoup grandi au fil de ces deux dernières années. Je me suis vidé la tête et j’ai permis à mon corps de se reconstruire. Je suis aujourd’hui beaucoup plus frais que je ne l’étais en décembre 2016.

Qu’avez-vous fait lorsque vous avez posé le pied en Afrique du Sud ?

J.G. : J’ai directement rejoint Murraysburg, où l’on m’avait offert un contrat (un CDI chez Newline Saddle, un marchand de selles). Et puis, j’ai commencé à travailler.

Vous avez donc brisé votre contrat à 400 000 € la saison pour vendre des selles…

J.G. : Oui.

Et ce pour 4 000 € par mois…

J.G. : Oui.

Avez-vous vraiment travaillé pour cette société ou était-ce la seule façon de rompre ?

J.G. : J’ai réellement travaillé. Tous les fermiers de ma région peuvent en attester. Quatre jours par semaine, j’étais sur les routes, de Bloemfontein à Kimberley en passant par Murraysburg. Je transportais des chevaux, vendais des selles. J’avais la vie d’un ouvrier lambda.

Parveniez-vous à faire vivre votre famille ?

J.G. : On vivait tous les trois difficilement sur mon seul salaire. Heureusement, j’avais la ferme de mes parents. J’y travaillais tous les week-ends. Et mon père m’aidait aussi un peu.

Pardonnez-nous d’insister mais on a du mal à vous imaginer vendre des selles

J.G. : Je le faisais pourtant tous les jours. Et j’ai eu du mal, au départ, dans ce nouveau job. Quand j’étais rugbyman, j’étais libre. Je n’avais de comptes à rendre à personne. Chez Newline, je devais faire un compte rendu au patron tous les soirs.

Comprenez-vous que l’on ait du mal à vous croire ?

J.G. : Oui. Mais je m’en fiche. Je dis la vérité. Après mon départ de Paris, cette histoire a pris des proportions insensées. Et moi, j’étais comme pris au piège. Le jour où j’ai appris qu’un photographe français m’avait suivi jusqu’au petit terrain où je m’entraînais parfois, j’étais effrayé. Je ne comprenais pas ce que ces gens me voulaient. Je voulais juste être en paix.

Il ne faisait que son métier…

J.G. : Je sais. Mais j’avais aussi le droit d’avoir une vie privée. Pourquoi aurais-je dû lui rendre des comptes ?

Combien de temps avez-vous arrêté le rugby ?

J.G. : Seize mois, je crois. J’ai disputé mon premier match de rugby avec les Cheetahs le 13 avril dernier, peu après que ma licence ait été libérée. Après mon départ du Racing, la Ligue nationale de rugby a en effet tenu à conserver ma licence pendant un an et demi.

Comment vous êtes-vous entretenu ?

J.G. : J’ai fait du squash, de la course à pied, du golf et beaucoup de chasse. Je suis un hyperactif et le sport a toujours eu une grande part dans ma vie. Il était hors de question que je m’arrête. Et je savais qu’un jour, je rejouerai au rugby.

Avez-vous joué en Afrique du Sud ?

J.G. : Non. Ni à toucher, ni à plaquer. Je suis juste allé buter de temps en temps. Un préparateur physique (Christine Wall) s’est néanmoins occupé de moi. Un ami m’avait parlé d’elle. Elle a été formidable, m’a encouragé et envoyé des programmes.

Regardiez-vous le rugby à la télé ?

J.G. : A l’exception des tests des Springboks, je n’ai regardé aucun match ces deux dernières années. Et ça m’allait plutôt bien, pour être honnête… Mais le jour où je suis entré dans le vestiaire des Cheetahs, en avril, je me suis rendu compte à quel point le rugby faisait partie de moi. Le bruit des crampons sur le carrelage, l’odeur du camphre et ce mélange d’excitation et de peur, dans les vestiaires, m’avaient énormément manqué. Je n’ai rien voulu montrer mais mon émotion fut immense ce jour-là.

Nous avons écrit, dans Midi Olympique, que Jacky Lorenzetti avait payé des travaux dans la ferme familiale. Est-ce vrai ?

J.G. : Je n’ai rien à dire à ce sujet. No comment.

Vous êtes-vous néanmoins excusé ?

J.G. : Non, pas encore. Mais je me suis senti très mal vis-à-vis d’eux.

Oui, continuez…

J.G. : J’ai traversé de sales moments. J’ai été très triste. Je pensais que tout ça ne finirait jamais. Des fois, je me disais : « Peut-être devrais-je revenir au Racing finalement ? » Et d’autres fois, je me persuadais que revenir en arrière ne me servirait à rien. En fait, j’étais perdu.

Votre cas fera-t-il jurisprudence ?

J.G. : Non. Et si un joueur se trouve dans ma situation, je lui dirai : "Ne le fais pas, tu vas le regretter. Le prix à payer est trop lourd."

Lors de votre exil, vous avez également été mêlé à un fait divers après avoir tiré par accident sur la cheville d’un camarade de chasse. Que s’est-il passé ?

J.G. : Un cauchemar… J’essayais un fusil chez mon meilleur ami. Je ne savais pas que l’arme était chargée et quand je l’ai manipulée, le coup est parti tout seul. […] Mon ami perdait beaucoup de sang et les portables ne passaient pas. Alors, je l’ai pris sur mon dos jusqu’à la voiture. Puis nous avons rejoint un village où j’ai enfin pu appeler les secours. Un hélicoptère est arrivé dans la foulée mais mon copain perdait ses forces et avait rapidement besoin de sang. Or, il ne restait qu’une seule poche dans l’hélico. J’ai craint le pire… Par miracle, l’échantillon s’est avéré compatible avec le sien. Ils l’ont sauvé.

Mohed Altrad vous a-t-il aidé financièrement durant ces deux ans ?

J.G. : Je m’attendais à cette question… Non, il ne l’a pas fait. Et même s’il avait voulu le faire, il n’aurait pas pu.

Pour quelle raison ?

J.G. : D’abord, parce que je ne le connaissais pas. Et puis mes comptes en banque étaient scrutés (par des huissiers de justice mandatés par le Racing durant la procédure).

A quand remontent les premiers contacts avec Montpellier ?

J.G. : Il y a six mois environ.

Pourquoi avoir dit oui ?

J.G. : Montpellier est un club ambitieux, constellé de très grands oueurs. Cette équipe, c’est un peu les Barbarians du Top 14. Et pour avoir joué en sélection avec François Steyn ou les frères Du Plessis, je sais aussi qu’ils m’aideront beaucoup à m’intégrer ici.

Aviez-vous besoin d’argent ?

J.G. : Peut-être… Je ne sais pas… Je m’en étais sorti en tant que marchand de selles.

Avez-vous eu des contacts avec d’autres clubs ?

J.G. : Non. Peut-être que le monde du rugby m’a tourné le dos après mon départ du Racing.

Le premier match de la saison contre le Racing est prévu le 3 novembre. à quoi vous attendez-vous pour ces retrouvailles ?

J.G. : Je vais être sifflé, hué, insulté. Mais je m’en fiche. Je m’y suis préparé.

Saluerez-vous Jacky Lorenzetti lorsque vous le croiserez ?

J.G. : Bien sûr. Je ferai un pas vers Jacky Lorenzetti pour lui tendre la main. Mais je ne sais pas s’il l’acceptera…

Votre retour à la compétition pose néanmoins un problème : dans quel état serez-vous après avoir arrêté le rugby deux ans durant ?

J.G. : Sincèrement, je me sens bien. Et je n’ai pas vraiment souffert lorsque j’ai joué trois matchs avec les Cheetahs, en Ligue celte (la province sud-africaine a désormais intégré le Pro 14). Physiquement, je me sentais dans le coup et j’espère que cela se confirmera à Montpellier.

Un dernier mot avant de revoir le Top 14 ?

J.G. : Je sais que tout le monde pense que je suis un mauvais mec et que je ne mérite pas la deuxième chance qui m’est aujourd’hui offerte. Malgré tout, j’espère qu’on me pardonnera un jour et qu’à Montpellier, mon rugby rendra les gens heureux. 

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