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Le cerveau de Géo Trouvetou

Par Jérôme Prévot
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Qui sont les hommes qui ont fait évoluer le rugby ? Midi Olympique vous propose une galerie de portraits de ceux qui, à travers l’histoire, ont marqué la pratique de notre sport. Cette semaine, Rod MacQueen. L’entraîneur des Wallabies de 1999 a révolutionné le rugby nouvellement professionnel. Avec lui, la notion de « séquence » et de « conservation » ont trouvé leurs lettres de noblesse.

C‘est une sensation un peu subjective, c’est sûr. Mais on a le sentiment que l’histoire n’a pas suffisamment rendu hommage à Rod MacQueen. Peut-être est-ce une question de personnalité… Il n’affichait pas la bonhomie pateline de Bob Dwyer ou la mégalomanie grandiose d’Alan Jones, ses deux grands prédécesseurs. Rod MacQueen agissait comme un chef d’entreprise pragmatique qu’il était dans le civil, sans goût pour les déclarations tapageuses ou les remontages de pendules. Comme eux, il ne fut jamais un grand joueur. Peut-être frustré des honneurs qu’il n’avait pas connus crampons au pied, il s’épanouit en survêtement ou en costume cravate avec son cerveau comme atout majeur. Quand son entreprise de marketing direct lui en laissait le temps, il avait toujours réfléchi sur le jeu de rugby mais il mit un peu de temps à faire son trou aux yeux de la Fédération, sans doute parce qu’il venait du club de Warringah et non de Randwick (comme Bob Dwyer), le club traditionnellement pilote du XV australien. 

Monsieur 80 %

Quand, en septembre 1997, il succéda à l’éphémère Greg Smith, il venait de créer la franchise des Brumbies de Canberra, la capitale fédérale, et lui avait tout de suite donné une identité propre. Par ailleurs, de par son expérience d’entrepreneur dans le civil, il amena une partie de ses idées techniques et de ses concepts de management pour redresser les Wallabies et leur permettre de devenir la meilleure équipe du monde entre 1998 et 2002. On l’a parfois surnommé « Monsieur 80 % », comme son pourcentage de victoires avec la sélection jusqu’à son départ, après une série gagnée face aux Lions en 2001. Rod MacQueen reste attaché à la période la plus faste de l’histoire de l’Australie. Il fut bien sûr sacré champion du monde en 1999 (35-12 face à la France) mais arracha aussi les Tri-Nations 2000 et 2001 en rendant fous les All Blacks. Mais si nous avions envie de lui rendre hommage, c’est parce qu’il a mis sur pied une nouvelle façon de jouer au rugby : un style qui, comme souvent, fut jugé fascinant, ou ennuyeux selon l’humeur des commentateurs voire le moment où il parlait. 

Le père du rugby de possession 

Rod MacQueen consacra le jeu de possession. L’idée qu’une équipe devait conserver le ballon le plus longtemps possible pour gagner un match. C’est à cette époque, à la fin des années 90, au moment où le professionnalisme naissait, qu’on a mis en avant une nouvelle notion clé : la conservation du ballon. Cette méthode, MacQueen l’a vue sous plusieurs aspects. Outre l’idée que le fait de contrôler la balle reste la meilleure façon d’éviter que l’adversaire puisse en disposer, on peut la voir aussi comme un éloge de la patience et de l’obstination. Face à des défenses de plus en plus hermétiques, l’Australie de Rod MacQueen acceptait de multiplier les temps de jeu, les regroupements avec passage au sol le plus rapide possible, pour user peu à peu la forteresse adverse. On découvrit alors un nouvel anglicisme : les pick and go. Il les voulaient rapides, pour que l’attaque prenne forcément le pas sur la défense en train de se réorganiser. Il lui fallait pour ça des joueurs rapides, en pleine condition physique, plutôt puissants et, surtout, lucides, capables de repérer la faille qui apparaîtrait au sein d’une arrière garde adverse saoulée de subir de tels assauts.

On commença donc à parler de séquences et à compter les phases de jeu. Le symbole du style MacQueen reste cet essai inscrit par Matthew Burke à Christchurch face aux All Blacks après dix-huit phases de jeu : statistique édifiante pour l’époque. On avait déjà vu dans l’histoire des essais marqués ainsi, Michel Crauste contre l’Angleterre en 1962 ou Philippe Sella contre l’Irlande en 1986 par exemple. Mais ce n’étaient que des accidents, des offensives transfigurées par l’euphorie d’un instant et par le talent d’une génération. 

La trouvaille Larkham

Les Wallabies de la période 1997-2001 ressemblaient à une armée de myrmidons, capables d’imposer un jeu de patience et de programmation sur les six ou sept premiers temps de jeu minimum. Avec lui, on vit des équipes se disposer sur toute la largeur du terrain : en ligne avec le souci pour les avants de ne pas s’agglomérer inutilement dans les regroupements. Évidemment, Rod MacQueen n’aurait rien fait sans quelques joueurs d’exception. On a souvent résumé cette période dorée à la présence de la charnière Gregan-Larkham que MacQueen avait côtoyée aux Brumbies. Stephen Larkham reste le joueur emblématique, la trouvaille de MacQueen qui l’avait d’abord connu arrière mais qui en fit un ouvreur unique par sa façon de jouer très près de la ligne. Comme dans son entreprise, Rod MacQueen avait mis en place des processus bien définis pour ne pas laisser de place au hasard au moment des décisions stratégiques. Il s’entoura donc très tôt de spécialistes : Tim Lane (futur Clermontois) pour le jeu d’attaque, Jeff Miller pour le jeu d’avants et deux ex-treizistes Steve Nance (futur Clermontois lui aussi) comme préparateur physique et John Muggleton comme entraîneur de la défense.

Avec Lane et Miller, après chaque journée de Super 12, ils se réunissaient pour désigner la meilleure équipe de la journée, choisissant à chaque fois les joueurs en forme mais aussi les plus adaptés à chaque position sur le terrain. C’est comme ça que Stephen Larkham fut repositionné à l’ouverture après l’avoir soumis à des séances de vidéo pour étudier les jeux de Honibal et Mehrtens. Un certain Eddie Jones, successeur de MacQueen aux Brumbies, fut associé aux discussions pour donner du temps de jeu à Larkham et lui apprendre à jouer près de la ligne d’avantage. Cela permettait de garder Matt Burke, le buteur hors pair des Waratahs, à l’arrière. Autre choix marquant, celui d’un centre très costaud. En 1999, Daniel Herbert (Queensland), futur Perpignanais, prit la place de Jason Little, champion du monde 1991. Herbert était plus racé, plus beau à voir jouer et MacQueen avait besoin de pénétration au milieu de terrain, autre notion clé qui fit son apparition.

Introduction de l’informatique

Nous n’étions plus dans la créativité des années Dwyer-Jones et MacQueen avait construit des schémas plus solides. Il a inculqué à ses joueurs la notion de l’analyse froide du jeu prendre un pas de recul pour analyser le plus rapidement les situations et ne pas être pris par les émotions. C’est pour ça que MacQueen travailla à l’introduction d’un groupe de leaders autour du capitaine John Eales. Si le deuxième ligne aux allures d’albatros était son homme de base, un groupe de joueurs jouait un rôle très important pour le soutenir : David Giffin était capitaine de touche, David Wilson commandait les coups d’envoi, George Gregan contrôlait les mouvements de la troisième ligne et la défense et Tim Horan commandait la ligne d’attaque. Tout ce monde discutait en groupe les différentes options de jeu et les partageait avec le reste du groupe pour une adhésion totale au plan de jeu sans séparation entre les avants et les trois-quarts en partant du principe que tout le monde devait être à même de prendre une décision, surtout au moment d’identifier une faiblesse en défense ou une opportunité d’attaque dans la zone de jeu désignée en fonction de l’adversaire. MacQueen introduisit aussi l’outil informatique dans la préparation des joueurs - chaque joueur avait un ordinateur portable et se voyait remettre un certain nombre de séquences à revoir. Ce n’était plus les Wallabies, c’était Star Trek ou Cosmos 1999. 

MacQueen est-il un génie du jeu ? Il ne le revendique pas mais il a su s’entourer des spécialistes nécessaires et mettre son groupe en position de définir un nouveau style de jeu, une approche différente qui leur donna un avantage comparatif important pendant quatre ans, avant que tout le monde ne les copie. Désormais, les choses ont changé et Steve Hansen a fait mieux en termes de pourcentage de victoires. à la fin des années 2000, les All Blacks ont dépassé ce jeu de possession en réhabilitant la vitesse d’exécution et le jeu de contre-attaque. D’ailleurs, vingt ans après la révolution MacQueen, le fait de tenir longtemps le ballon est désormais vu comme un signe de stérilité. Mais on ne lui enlèvera pas son statut de « Géo Trouvetou » et l’incarnation des balbutiements triomphants du professionnalisme.

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