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Caractère bien trempé

Par Pierre-Laurent Gou
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Portrait - Le futur patron sportif d’Agen Christophe Laussucq est un technicien aux compétences reconnues mais également un gros pratiquant de sport qui lui permet de canaliser son gros tempérament.

Samedi 8 septembre, 8 heures du matin. La plage centrale de Lacanau est quasi déserte. Seul, Christophe Laussucq scrute l’horizon. Il attend la fin de l’orage qui gronde. Impassible. L’entraîneur montois est rentré dans la nuit de Montauban où son équipe a remporté sa première victoire à l’extérieur, synonyme de première place au classement de Pro D2. Avant de regagner la préfecture des Landes, l’ancien demi de mêlée a effectué un crochet - habituel - de quelques heures vers ce bout de Médoc dévoué au surf où vit sa famille. Dans son pick-up garé en bord de plage, trois planches sont déjà prêtes : frottées avec de la « wax » (cire antidérapante). Elles seront choisies au moment de se jeter à l’eau, en fonction des vagues, du courant, des sensations…

Laussucq va bientôt défier les éléments. Se lancer au-dessus d’une vague qui se creusera inexorablement sous sa planche. Basculer dans le vide. Chercher l’équilibre pour s’enivrer de ces courts instants de glisse qui feront oublier les gamelles, les vagues scélérates et tout le reste du quotidien terrestre. Le surf est un exutoire, qui l’aide à se vider la tête dans l’eau tourmentée de l’Atlantique. Cela dure depuis des années. « En fait, il a toujours pratiqué la pelote basque, le surf et le rugby. Le ballon ovale était sa passion première mais dès qu’il le quittait, c’était pour surfer ou lancer la pelote sur un fronton, avec un ou deux potes », décrit son jeune frère, Julien. Dans tous les cas et tout le temps, le besoin de se défouler. David Auradou, son compagnon d’entraînement depuis six ans (à Paris et Mont-de-Marsan) et ancien colocataire, valide : « À Paris, dès qu’il avait du temps libre, il était toujours au Trinquet que tenait Mathieu Blin, pour lancer la pelote. » Désormais, il surfe… Le frangin ironise alors : « Au moins, dans l’eau, il ne râle pas ! Ou peut-être est-ce que l’on ne l’entend pas… De toute manière, avec papa et maman, il a de qui tenir… Râler, c’est de famille chez nous. »

L’image du râleur colle à la peau du futur manager d’Agen. Depuis toujours. Christophe Laussucq serait donc un éternel insatisfait. « Râleur professionnel », selon Max Guazzini, qui tempère : « C’est ce qui fait son charme. » La compétence rugbystique du technicien montois est largement reconnue, même dans le camp de ses détracteurs. Elle s’accompagne d’un caractère bien trempé, tantôt comme atout, tantôt comme un handicap. « Christophe est un très gros compétiteur. Il était d’ailleurs l’un de mes relais quand j’entraînais le Stade français. Un joueur très investi dans la tactique et la stratégie ; un entraîneur né. Avec Pierre Mignoni, c’est l’un des meilleurs techniciens que j’ai croisés. Tous deux sont en plus des acharnés de travail », coupe Bernard Laporte, qui en connaît un rayon en coup de gueule. « Il a été l’un des premiers que j’ai recrutés alors que nous étions pourtant en Deuxième Division. » La filiation paraît naturelle.

David Auradou, complète le tableau : « Christophe est un sanguin, mais dans le bon sens du terme. Il ne faut pas le cantonner à ce mauvais caractère apparent. Oui, il peut monter dans les tours très vite, surtout si un joueur qui n’a pas posé de questions à la séance vidéo n’applique pas une consigne sur la pelouse. Il percute très vite et entend que tout le monde aille à sa vitesse. Mais c’est quelqu’un de très attachant humainement. D’ailleurs, que ce soit à Paris ou ici à Mont-de-Marsan, tous les joueurs le suivent. Le sport lui permet de canaliser la haute exigence qu’il porte en lui-même et qu’il attend de ses joueurs. » Julien nous renvoie au surf pour mieux comprendre son frère : « Il est capable de rester des heures et des heures dans l’eau, jusqu’à la nuit parfois, pour réussir une figure. Il est très pointilleux avec ce gros caractère qui lui donne l’envie de se battre en permanence pour réussir. »

La médaille a son revers. Ces traits de la personnalité de Christophe Laussucq sont à l’origine de la plus grosse désillusion de sa carrière de joueur. Flash-back. Mai 2001 : le Stade français va disputer sa première finale de Coupe d’Europe à domicile, au Parc des Princes, face aux Anglais de Leicester. C’est la grande époque, celle des Landreau, De Villiers, Auradou, James, Juillet, Dominguez, Comba, Lombard, Dominici. Toutes les stars parisiennes sont sur la pelouse. Toutes sauf Christophe Laussucq. Lors de la demi-finale remportée face à l’Ulster, ne s’estimant pas complètement remis d’une blessure à une cheville, il avait de lui-même laissé le poste de demi de mêlée au Canadien Morgan Williams. Trois semaines plus tard, pour la finale, Laussucq est remis mais son entraîneur, l’Australien John Connolly, reconduit la même équipe et n’offre qu’une place sur le banc à son habituel titulaire. Ce choix passe mal au sein du groupe et auprès du joueur qui disparaît à 72 heures du coup d’envoi. « Tout le monde pensait que j’étais reparti sur mes terres bordelaises mais j’étais en fait cloîtré sur ma péniche, à Paris… » Connolly restera inflexible et Laussucq finira bien remplaçant. Dix-sept ans plus tard, la cicatrice n’est pas refermée : « Soit j’étais blessé et je devais être hors du groupe, soit Connolly me considérait comme apte et je devais être titulaire. »

Le ressort se brise et il quittera le Stade français à l’issue de la saison. « C’est une erreur majuscule de John. J’aurai dû interférer en faveur de Christophe. Avec lui, on aurait été champion d’Europe. À part la demi-finale, il avait joué tous les matchs. Il était le titulaire, un des leaders de cette équipe », affirme son ex-président Max Guazzini qui se souvient d’un joueur « extrêmement sensible ». Et de raconter comment il avait dû le convaincre en 2000 de tenir sa place en finale de Top 14 face à Colomiers, alors que la veille il avait perdu son meilleur ami. « Christophe est un garçon entier, qui ne sait pas cacher ses sentiments. Il est à la maison comme il est sur les bords de terrain. C’est un éternel impatient, perfectionniste, exigeant mais toujours intègre. Il a besoin de sa dose quotidienne de sport pour décompresser… Nous jouions au golf ensemble, mais j’ai arrêté de l’accompagner parce qu’il m’engueulait », témoigne Vanessa, son épouse. « Je crois qu’avec ses proches, et notamment ses enfants, il peut être encore plus sévère. » Le partage du temps, entre Mont-de-Marsan et Lacanau où est installée sa famille, contribue à une forme d’équilibre. Ce n’est pas le futur départ du technicien vers Agen qui va modifier les choses. Christophe Laussucq s’est déjà renseigné sur les disponibilités du fronton local, situé juste à côté d’Armandie. Il n’abandonnera pas le surf. Et le papa poule restera présent pour ses deux derniers enfants, Sacha (10 ans) et Lou (5 ans). Les deux aînées, Anna et Margaux, vivent à Sydney. « Ma première compagne a refait sa vie avec un surfeur australien professionnel », indique Laussucq qui peine à masquer sa déception « de ne les voir qu’une ou deux fois par an ». Sacha, l’unique fils, joue au rugby, comme son papa, papy et arrière-grand-père. Sans oublier le surf. Julien témoigne : « Christophe est très, très fier de Sacha, très heureux qu’il joue au rugby même s’il lui laisse vivre son histoire dans son coin. Il se refuse de l’entraîner. »

Son ambition est ailleurs : entraîner les meilleurs. De Brive, au Stade français, Mont-de-Marsan et Agen, l’année prochaine. Pas toujours des cadors du Top 14. Laussucq aurait-il du mal à manager les plus forts ego en raison de son caractère bien trempé ? « Je suis certain que non. C’est juste qu’on ne lui a pas offert d’opportunité, glisse Laporte. Il fait pourtant des miracles avec « Bibi » Auradou depuis quatre ans à Mont-de-Marsan… Une carrière d’entraîneur est aussi faite de chance ; il faut être au bon endroit au bon moment. » Pour saisir la bonne vague, évidemment. Sur la plage de Lacanau, Christophe Laussucq a terminé sa session de surf. On le retrouve apaisé, serein. Dans quelques heures, il reprendra la route des Landes vers son autre monde, celui du rugby, où il plongera sans concession dans une quête de performance. Le regard braqué vers le Top 14…

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