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Antonin Berruyer : « Pas le droit de me plaindre »

  • Antonin Berruyer, bien que sans certitudes médicales au sujet de son avenir, rêve toujours d'un retour sur un terrain de rugby
    Antonin Berruyer, bien que sans certitudes médicales au sujet de son avenir, rêve toujours d'un retour sur un terrain de rugby Icon Sport
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Au soir du 6 mars, le vice-capitaine de l’équipe de France championne du monde des moins de 20 ans l’an dernier était victime d’un accident vasculaire cérébral, dans sa chambre du centre de formation du FCG. Moins de trois mois plus tard, Midi Olympique l’a retrouvé au stade Lesdiguières pour sa première interview depuis le drame. En pleine forme et heureux de vivre, bien que sans certitudes médicales au sujet de son avenir, qu’il rêve toujours sur un terrain de rugby.

Midi Olympique : Comment allez-vous ?

Antonin Berruyer : (il sourit) Ça va bien, merci. Bientôt trois mois après mon AVC, je ne me sens pas trop mal. Physiquement comme mentalement, on peut dire que ça peut aller.

Arrive-t-on rapidement à faire la part des choses, quand on a 20 ans ?

A.B. : Oui, franchement. Surtout dans les premiers jours, lorsque tu ressors du tourbillon des premières heures, où tu te demandais ce qui se passait… À ce moment, oui, tu te rends compte que tu n’es pas passé loin du pire, que tu as eu énormément de chance d’être si vite et si bien pris en charge. Ensuite, le temps passe… Plus il avance, mieux tu te sens, et plus tu te dis que ça fait ch… d’avoir vécu ça. Mais ça reste gravé en soi, ce n’est évidemment pas anodin. Un AVC, ce n’est quand même pas le genre de truc qui arrive à tout le monde…

On imagine que les messages de soutien ont dû affluer ces dernières semaines ?

A.B. : Oui, le soutien a été énorme. De la part du club, de la part de mes coéquipiers présents ou passés. J’ai reçu plein de messages d’anciens coéquipiers, de gens que j’avais côtoyés en sélection, d’anciens entraîneurs, d’anciens éducateurs… Tout ça fait chaud au cœur, d’autant que le club a plutôt bien géré la communication. Il n’y a pas eu du grand n’importe quoi dans les journaux et lorsque les gens ont commencé à prendre de mes nouvelles, je commençais déjà à aller mieux.

Que vous est-il arrivé, ce 6 mars ?

A.B. : C’était un mercredi soir, une semaine pendant le Tournoi où nous n’avions pas de match. Le club avait organisé une séance de cross fit qui s’était très bien passée, j’avais même pris le volant pour rentrer au centre de formation. Deux heures après, nous étions allés chez Corentin Glénat avec Killian Geraci. J’ai aussi croisé ma mère, qui amenait mon petit frère Valentin à l’entraînement des moins de 14 ans. À ce moment-là, je me sentais encore très bien, j’ai même pris ma douche pour me préparer car le soir, nous avions un repas au restaurant de prévu avec toute l’équipe. Et c’est un peu avant de partir, alors que nous discutions avec Corentin Glénat et Jérémy Valençot, que c’est arrivé…

Vers 23 h 30, je n’arrivais plus à parler. Le seul mot que j’arrivais à dire, c’était "Je..." et je restais bloqué.

Comment l’attaque s’est-elle manifestée ?

A.B. : En clair, je me suis mis à raconter n’importe quoi. J’avais tout à fait conscience de ce que je voulais exprimer, mais les bons mots ne sortaient pas. Pour tout vous dire, au début, les autres croyaient que je jouais au c... et que je me moquais d’eux ! J’ai commencé à m’inquiéter, alors je suis allé me poser un moment dans ma chambre, pour récupérer. Mais comme ça ne passait pas, j’ai demandé à Killian Geraci de descendre chercher ma mère, qui était au bord du terrain d’entraînement. Et quand il est remonté avec elle, Killian a eu le bon réflexe en appelant le docteur du club, Anthony Valour. C’est lui qui a immédiatement alerté l’hôpital et dit à ma mère de m’y emmener au plus vite. Voilà comment ça s’est passé…

Heureusement que votre maman avait emmené votre petit frère à l’entraînement ce jour-là, alors…

A.B. : Si elle n’avait pas été là, je suis certain que Killian Geraci m’aurait tout aussi bien conduit à l’hôpital (sourire). Mais le fait d’avoir ma mère à mes côtés à ce moment-là avait quelque chose d’un peu plus rassurant. Oui, j’ai eu de la chance. J’ai aussi eu de la chance que cet accident arrive en plein jour, où pendant que j’étais tout seul dans ma chambre. Quand je suis tout seul, en théorie, je ne me parle pas à moi-même. Et je ne me serais jamais rendu compte de ce qui m’arrivait…

Comment s’est passée votre arrivée à l’hôpital ?

A.B. : Comme le CHU avait été prévenu, j’ai été pris en charge immédiatement. Le doc leur avait donné toutes les infos et ils se doutaient de ce qui m’arrivait. Ils m’ont fait passer une IRM et deux ou trois tests. On ne m’avait rien dit mais rapidement, j’ai compris de moi-même ce qui se passait. On vérifiait si je n’étais pas paralysé du côté gauche, on me demandait de parler… Quand j’ai demandé aux médecins si je faisais un AVC, ils m’ont répondu, "oui, c’est ça… " Tout de suite, ils m’ont mis sous thrombolyse, une perfusion qui vise à désagréger les caillots de sang. Cela a duré 4, 5 heures, je ne me souviens plus… Vers 23 h 30, je n’arrivais plus du tout à parler. Le seul mot que j’arrivais à dire, c’était "Je..." et je restais bloqué. Pendant la nuit, alors que ma perfusion s’écoulait, les infirmières venaient me voir toutes les deux heures pour me faire effectuer des tests, voir si mon bras bougeait, si les mots revenaient… Aux alentours de deux heures du matin, il n’y avait toujours pas de progrès, et vers 5 heures du matin, j’ai commencé à me sentir mieux. En fin de matinée, j’ai pu échanger mes premiers mots avec mes parents, ça commençait à être encourageant.

À quoi pensiez-vous, à ce moment-là ?

A.B. : La première nuit, franchement, on ne pense pas à grand-chose. Même si je n’avais pas de séquelles physiques directes, un AVC pompe un jus terrible. Ce n’est que le lendemain, lorsque tout a commencé à rentrer dans l’ordre, que j’ai commencé à me poser des questions. La première chose que je me suis dite, c’est que j’avais beaucoup de chance et que je n’avais pas à me plaindre.

Vraiment ?

A.B. : Oui. (il répète) J’ai eu de la chance, il ne faut pas se plaindre… Plein de joueurs me disent que s’ils avaient eu à traverser cette épreuve à ma place, ils n’auraient sûrement pas réagi comme moi. Mais non (il insiste), je n’ai pas le droit de me plaindre. Vous savez, dans la même chambre d’hôpital que moi, il y avait ce soir-là une personne qui était complètement paralysée et ne pouvait plus du tout parler. Quand on prend conscience de ces choses-là, il y a des détails sur lesquels on ne s’arrête plus.

Et finalement, vous êtes ressorti assez rapidement…

A.B. : Oui, trois jours après, ce qui m’a d’ailleurs un peu surpris. Au tout début, l’infirmier de nuit m’avait dit que j’allais rester deux, trois semaines. Ce sont quand même des gens qui ont l’habitude de ces choses… Mais ils ont été surpris que je récupère si bien, si vite. Et le samedi matin, le neurochirurgien m’a annoncé lors de sa visite qu’on allait me donner une permission de sortie pour le week-end, partant du principe que je récupérerais beaucoup mieux à la maison qu’à l’hôpital… Alors, ma copine m’a conduit chez mes parents, à Viriville. J’ai repassé une visite de contrôle à l’hôpital le lundi et comme tout allait bien, ils m’ont dit de rester chez eux…

En quoi ont consisté vos journées, après cela ?

A.B. : Physiquement, je n’avais pas de séquelles. Et dès le lundi après mon AVC, j’ai rencontré un orthophoniste. Si je n’avais pas effectué d’études, on n’aurait pas travaillé plus que ça. Mais comme après un AVC le plus difficile est de lire et de rester concentré, on a convenu qu’il était mieux pour moi d’effectuer quelques séances… En plus, ma cousine est orthophoniste, ce qui facilite quand même bien les choses. On se voit deux fois par semaine pour des séances d’une heure et demie. Elle m’a aussi donné accès à certains sites dont elle se sert, pour me permettre de travailler tous les jours depuis chez moi.

En matière d’études, on imagine que cet accident n’a pas été non plus sans conséquences ?

A.B. : Je suis en train de terminer ma deuxième année de Staps. Les examens se déroulent d’ailleurs en ce moment mais comme j’avais encore du mal à lire il y a quinze jours, mon tuteur et Christian Rizzi (directeur du centre de formation du FCG), m’ont permis de passer mes examens du quatrième semestre en septembre. En fait, le problème avec un AVC, c’est qu’on ne sait jamais en combien de temps tu peux récupérer. Tu peux très bien avoir du mal à lire pendant six mois, avant que les choses reviennent… Ça ne s’est pas joué à grand-chose mais comme j’avais un peu d’avance, ça ne me dérange pas d’attendre quelques mois de plus.

Où en êtes-vous, du point de vue de la lecture ?

A.B. : J’ai encore une marge de progression… Personnellement, j’aimerais arriver à me concentrer encore un peu plus, car si je ne fais pas l’effort de lire pendant trois, quatre jours, les mots peuvent s’emmêler. Alors, j’essaie de me forcer, et je le fais avec d’autant plus de plaisir que je ressens ma progression.

Comment cela se mesure-t-il au quotidien ?

A.B. : À la base, je ne suis pas quelqu’un qui commet beaucoup de fautes d’orthographe, alors quand il m’est arrivé de relire certains des textos que j’ai pu écrire voilà quelques semaines, où je confondais encore les "é " et les "er ", cela m’a insupporté ! Aujourd’hui, je n’écris plus les textos de la même manière… Avant, je tapais, j’envoyais et c’était réglé. Maintenant, j’ai le réflexe de me relire avant d’envoyer. Parfois, je me dis "mince, qu’est-ce qui m’a pris d’écrire ça ?", puis je corrige… Mais ça m’arrive de moins en moins souvent.

Avez-vous repris une activité physique ?

A.B. : Oui, j’ai recommencé à courir, à faire un peu de muscu. Les premières séances ont été difficiles car j’avais tout bloqué assez brutalement. Pendant un mois, je n’ai rien fait du tout… Mais là aussi, tout est rentré dans l’ordre assez vite. Honnêtement, sur le plan physique, je me sens en pleine forme et cela me fait du bien autant à la tête qu’au corps. Ça fait vraiment plaisir de venir au stade, voir les autres, se changer les idées.

Au sujet de la suite, il est encore trop tôt pour prendre une décision. Mais si je ne reçois pas d’avis médical formellement contraire, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas reprendre le rugby.

Avez-vous déjà effectué des recherches quant à des exemples de retour à la compétition de haut niveau, après un accident comme le vôtre ?

A.B. : Non et de toute manière, je pense que c’est une décision individuelle, car tous les cas sont différents. En ce qui me concerne, il s’agit d’abord de trouver la raison de ce qui m’est arrivé. Pour l’heure, on n’en sait rien. Je dois d’ailleurs encore passer des examens pour tenter de comprendre. Je dois effectuer une prise de sang cinq mois après l’AVC, puis peut-être une autre IRM… Je laisse ces choses-là se passer.

Avant de prendre une décision quant à la suite à donner à votre carrière ?

Beaucoup de gens m’en parlent mais à l’heure qu’il est, je n’ai pas pris de décision. J’ai la chance d’avoir un contrat espoir à temps plein, et il me reste encore un an avec le FCG. Cela me permet de laisser venir, de ne pas me prendre la tête. Comme je vous l’ai dit, je ne pensais pas récupérer aussi vite, et il est encore beaucoup trop tôt pour prendre une décision définitive. Si je ne reçois pas d’avis médical formellement contraire, tant qu’on ne me dit pas que c’est interdit, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas reprendre le rugby. J’ai commencé à jouer à cinq ans et avant d’être mon métier, ce sport est ma passion, à travers laquelle j’ai déjà eu la chance de vivre beaucoup de choses… Cela ne fait pas encore trois mois que j’ai subi cet AVC alors pour l’instant, il est beaucoup trop tôt pour prendre la décision d’arrêter.

D’autant que vous vous êtes déjà posé cette question voilà trois ans, lorsqu’un examen médical a révélé chez vous une anomalie cardiaque qui vous a fermé les portes du pôle France…

A.B. : Oui, c’est vrai… (il sourit)

Pardonnez la question, mais cette anomalie ne peut-elle pas constituer une des causes de votre AVC ?

A.B. : (catégorique) Cela n’a rien à voir. Je suis suivi tous les ans, et bien suivi… Au sujet de cette malformation cardiaque, j’ai passé tous les examens qui étaient possibles et imaginables, des IRM, des scanners, des échographies, porté un holter… Il ne me restait qu’un examen à passer sur toute la batterie possible et ils me l’ont fait après l’AVC, pour vérifier justement s’il pouvait y avoir un rapport. Il s’agit d’un grand tube qui s’enfile par la gorge à travers lequel on va inspecter la région cardiaque. Ça, je peux vous dire que c’est un peu la m…, un examen pas facile à supporter ! J’ai aussi refait un holter, qui n’a rien démontré non plus. Alors, au sujet de cet AVC, il va peut-être falloir chercher d’autres causes…

À ce sujet, avez-vous d’ores et déjà des éléments de réflexion ?

A.B. : J’ai entendu beaucoup de choses pas forcément fondées, comme quoi cela pouvait être la conséquence du rugby, d’un choc… Sauf que c’est précisément arrivé lors d’une semaine où nous n’avions pas joué, après une séance de cross fit certes intense, mais pas plus que cela. Là non plus, il ne s’agit pas forcément de bonnes pistes.

On vous a croisé au stade des Alpes contre Agen. S’agissait-il de votre retour en public ?

A.B. : Non, j’étais déjà revenu, mais de manière plus discrète. Les premières semaines après mon accident, j’ai préféré suivre les matchs à la télé. Comme j’étais encore fatigué, je me voyais mal retourner trop vite en public, expliquer la même chose à tout le monde… Mais le fait de retrouver un peu le groupe m’a fait plaisir. Voilà quelques semaines, il y a eu une journée de cohésion et j’ai fait la surprise aux mecs de les rejoindre dans la soirée. C’était un mois et demi après mon accident.

Mon objectif, c’est de rejouer en Top 14

Pourquoi avoir placé dans les premiers temps cette barrière ?

Il y avait une forme de pudeur derrière tout ça… Le seul que j’ai autorisé à venir me voir à l’hôpital, c’est Killian Geraci, parce que c’est mon meilleur pote. Je n’avais pas envie que les autres me voient à galérer, à chercher mes mots. Je suis revenu quand je me suis senti prêt.

Privé de rugby, à quoi occupez-vous vos journées ?

A.B. : J’essaie de m’occuper et de sortir de chez moi le plus souvent possible. J’ai toujours été très actif et je ne m’imagine pas ne rien faire. Au début, j’appréhendais un peu à l’idée de prendre le volant, mais désormais, c’est derrière moi. Je ne m’interdis plus rien. J’ai la chance d’avoir un traitement léger, qui se résume à prendre quelques cachets une fois par jour. Tant que je le respecte sérieusement… Récemment, Étienne Fourcade nous a organisé une belle sortie de pêche à la truite avec les gars de notre bande habituelle, Killian Geraci, Corentin Glénat, Thibaut Martel… Certains avaient fait l’effort de venir de loin sur leur jour off, c’était super sympa. Pour le reste, je bricole… Je m’occupe du jardin, je tonds, je taille… Je m’occupe, quoi. Et sinon, je fais mes exercices…

Quel regard portez-vous sur la fin de saison de vos coéquipiers ?

A.B. : Je me suis blessé (sic !) juste avant une série de matchs décisifs pour le maintien, ce genre de rencontre que l’on veut absolument disputer. Voir les copains galérer comme ça contre Agen, c’était très frustrant. Mais je leur fais complètement confiance pour assurer l’objectif initial de la saison qui était le maintien. On a montré cette saison qu’on avait le niveau pour exister en Top 14, et on devra le prouver lors du barrage.

Donc, votre objectif est de revenir en Top 14 plutôt qu’en Pro D2 ?

A.B. : (il se marre) Mon objectif, c’est de rejouer en Top 14, bien sûr ! Enfin, il est surtout de rejouer au rugby. Mais je pars du principe que dès qu’on s’engage quelque part, c’est pour évoluer au meilleur niveau. Le club a cette ambition, et la mienne est la même. Tant qu’on ne me dit pas que c’est impossible…

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