Abonnés

XV de France : la faim du monde

  • Faim  du monde
    Faim du monde
Publié le Mis à jour
Partager :

À Tokyo, ce XV de France enfin capable de tuer ses matchs est entré dans la compétition de la plus belle des manières. À la hauteur, et plus encore, d’un événement magnifique. On en veut encore…

Jusqu’ici, l’histoire commune de cette génération perdue n’était qu’humiliation et supplice. Le décor changeait, les bourreaux aussi. La finalité, elle, restait la même. Au Stade de France, il y avait eu le drop de Sexton, botté sur le gong après quinze temps de jeu. Il y avait eu, dix mois plus tard et dans la même arène, un maul pénétrant conclu à la 85e minute par le talonneur des Springboks Bongi Mbonambi, tête de Januarie sur corps de Tyson. Le troisième volet de ce huis clos suffocant avait été joué à l’hiver 2019 face au pays de Galles et son épilogue, sur lequel même Rob Howley n’aurait osé parier un Shilling, avait vu George North intercepter une double sautée de Sébastien Vahaamahina, dont on se demande encore ce qu’il pouvait bien "foutre" en position de trois-quarts centre. "Quand Emiliano Boffelli s’est élancé pour taper l’ultime pénalité du match, souffle Jefferson Poirot, toutes ces images, toutes ces émotions me sont revenues en tête. Je me suis dit qu’on n’en finirait jamais…" Il semblerait que le vent ait tourné, Jefferson. Il semblerait que le XV de France, "psycho pâle" depuis deux ans, ait enfin gagné le match dont il avait besoin, pour passer de bizuth à épouvantail dans cette compétition. " Je sais que nous sommes encore loin du compte, lâche Jean-Baptiste Elissalde. Je sais que techniquement, le rendu est imparfait. Mais il se passe un truc dans cette équipe. Je vous jure qu’il se passe un truc…" Vu de l’extérieur, il est encore trop tôt pour l’affirmer avec vous, Jean-Baptiste. Et avant de barbouiller nos murs du fameux "déclic psychologique" que ne manqueront pas de recycler tous les analystes en jogging, on attendra d’abord que les Tonguiens aient la tête enfouie dans la terre ou que les Yankees soient passés de vie à trépas. Pour le reste, on rit de voir la sélection tricolore embrasser la Coupe du monde avec ce qu’il faut de talent dans la réalisation, de brio dans la dramaturgie pour graver ce France - Argentine dans la mémoire collective, bien plus bas que le France - Australie de 1987 ou le France - All Blacks de 1999, mais bien plus haut que les cinq purges inodores du dernier Mondial.

Urdapilleta : "Je suis en colère…"

Car il s’est passé tant de choses, à Tokyo, samedi. Il y eut les rushs de Vakatawa, les accélérations de Penaud, les crochets de Fickou et au bout du bout, la rage d’Urdapilleta. "J’étais très en colère après le match, nous confiait ce week-end l’ouvreur du Castres olympique. Toute la semaine, j’avais alerté mes coéquipiers sur le fait que Penaud, Vakatawa et Fickou n’étaient dangereux que sur leur crochet intérieur. Je ne l’ai visiblement pas dit assez fort. À Tokyo, on s’est fait trouer dix fois en première mi-temps…" Il y eut les premiers gnons français, les ripostes argentines puis le drop d’un Camille Lopez hilare, au moment d’expliquer les racines de son geste dans un abominable espagnol à nos confrères argentins, probablement induits en erreur par ce patronyme à consonance hispanique. Au Japon, il y eut surtout cette dernière minute horrible, terrible et qui vit le XV de France passer de la terreur à l’extase en une poignée de temps. "Sur cette dernière action, lâche Gaël Fickou, j’ai tout fait pour ne pas plaquer Boffelli en l’air. J’ai freiné, freiné mais je l’ai néanmoins touché. Sur ce coup-là, il en a fait des tonnes mais la faute était réelle. Ouai, j’ai bien failli passer une très mauvaise soirée…"

Machenaud : "à l’échauffement, il les avait toutes mises…"

À quoi ça tient, hein ? Emiliano Boffelli, la pépite des Jaguares, est maintenant à cinquante mètres des barres. Un dernier shoot d’adrénaline. Un coup de pied pour la gloire. Benjamin Urdapilleta revoit l’action : "J’aurais aimé la prendre mais je n’avais pas la distance. Boffelli ? Il a un énorme pied droit et j’avais confiance." Face à l’arrière des Pumas, que Laurent Labit avait rêvé d’enrôler à l’époque où il entraînait le Racing, les réactions divergent. Camille Chat lui tourne le dos et croise les doigts. Gaël Fickou en appelle à la magie noire et "maudit" l’Argentin au moment où celui-ci s’élance. Louis Picamoles ? À l’origine, il est plutôt sceptique : "Je me dis d’abord qu’il est beaucoup trop loin, qu’il ne la mettra jamais. Puis, à côté de moi, un mec m’annonce alors que l’Argentin a tout réussi à l’échauffement. Là, je stresse un peu, ouais…" En fait, le coéquipier alertant Picamoles n’est autre que Maxime Machenaud. Celui-ci explique : "J’avais observé Boffelli à l’échauffement. Il n’en avait pas raté une. Des cinquante mètres, ça passait en haut des barres. Ce mec, il a une "frite" incroyable."

À Tokyo, la puissance était là. La précision, moins. Au moment où le ballon meurt dans les bras de Thomas Ramos dans l’en-but tricolore, le pilier des Bleus Jefferson Poirot se rue sur la pelouse : "J’avais oublié qu’il restait encore quinze secondes. Le délégué m’a rattrapé par le col in extremis." Quoi qu’il se passe, les Pumas auront en effet une dernière possession. Maxime Machenaud confie : "Les Argentins, il y a trois mois que je les regarde. Trois mois que j’analyse leurs forces, leurs faiblesses et leur routine." Sous ses poteaux, le demi de mêlée du Racing 92 convoque alors Camille Lopez et Thomas Ramos. "À ce moment-là, on a décidé d’opter pour un renvoi long. Autant, je savais qu’Emiliano Boffelli était très bon sous les ballons hauts, autant je savais que les relances, ce n’était pas trop son truc." Une ultime course, une mêlée ouverte, un contre-ruck salvateur et, in fine, le coup de sifflet libérateur d’Angus Gardner. Alors que les chansons paillardes des supporters tricolores agitaient la nuit de Tokyo, Boffelli était de son côté inconsolable : "J’espère que je ne le regretterai pas. Cette pénalité, je ne la regarderai jamais à la vidéo. Je veux juste l’oublier." Au même instant, Gonzalo Quesada, le patron des Jaguares resté à Buenos Aires, nous faisait parvenir un message ("C’est mérité, il n’y a pas photo") quand Juan Hernandez, croisé sur le chemin du retour, concédait dans un soupir : "Somos pecho frio… (on a le cœur froid) Bravo la France. Bravo les Bleus." Et surtout, merci…

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
Le_Vauguierois Il y a 4 années Le 23/09/2019 à 19:16

Bel article Marc, belle plume et complétement réceptif à tes propos ! Bravo.