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Le testament de Boudjellal

  • Mourad Boudjellal, ancien président du RC Toulonnais livre ses souvenirs
    Mourad Boudjellal, ancien président du RC Toulonnais livre ses souvenirs Midi Olympique - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Il n’est plus président du RCT depuis le 13 février dernier et un communiqué annonçant le rachat de ses dernières parts. Mourad Boudjellal et le Rugby Club Toulonnais, c’est quatorze années d’une présidence atypique. L’ancien éditeur de BD prend ici le temps d’ouvrir son livre à souvenirs et de formuler ce qui ressemble à son testament rugbystique.

Le jour d’après. Une semaine à peine après avoir « démissionné » de son RCT, Mourad Boudjellal accepte de prendre le temps de commenter quel héritage il pense laisser au rugby toulonnais. L’occasion de revenir sur ses quatorze années de présidence. De la « sodomie arbitrale », aux trois Coupes d’Europe remportées, en passant par sa relationavec Bernard Laporte, ses transferts improbables (Umaga Wilkinson, Matfield, Gegan, ou le dernier coup Etzebeth), jusqu’aux émotions et sensations parfois les plus intimes. Boudjellal était un président atypique, adepte de la joute verbale, insatiable, avec des objectifs pour lui, son club et sa villedémesurés, sans limite. « Ne fais jamais de différence entre tes rêves et tes ambitions ! Tel a été toujours ma devise », glisse-t-il. Sous ses ordres (et parfois dans le désordre), Toulon a été champion de France de Pro D2 en 2008, vainqueur du Bouclier de Brennus en 2014, finaliste en 2012-2013-2016-2017, champion d’Europe en 2013-2014-2015 mais aussi deux fois finalistes du Challenge européen en 2010-2012. Un palmarès éloquent qui aurait dû lui valoir une sortie en grandes pompes plutôt qu’un simple communiqué laconique envoyé par mail. Seulement, tel un prédateur féroce mangé par un plus gros que lui, Mourad Boudjellal a été poussé gentiment dehors du RCTpar son successeur, Bernard Lemaître. « Mais on n’achète pas un passé. On en hérite et celui-ci donne de grandes responsabilités », prévient Boudjellal avec son sens inné de la formule toujoursciselée, avant de conclure l’entretien de plus de deux heures : « Comme le droit à la retouche que possèdent les artistes-peintres sur leurs œuvres, j’espère pouvoir, si j’ai envie, de nettoyer l’une des trois Coupes d’Europe...Avoir porte ouverte au clubpour passer un coup de chiffon afin qu’elle brille toujours ». Un trait d’humour en forme de vœu qui démontre aussi que les conditions de son départlaisseront en lui une cicatrice indélébile.

  • Le joueur

« Jonny (Wilkinson) ! Bon des stars, je crois que j’en ai recrutées plus que Steve Hansen en a entraînées. J’ai tout eu, certains ont été mercenaires, mais la plupart sont devenus de véritables toulonnais et se sont mis à aimer le club. C’est la grande réussite de Bernard Laporte. Avoir réussi l’amalgame entre les Anglais Sheridan, Wilkinson, les Sud-Africain Rossouw, Smith, Botha, Habana, les Australiens Giteau, Mitchell, les Néo-Zélandais Williams, Hayman, les Français Michalak, Bastareaud, qui étaient adversaires et sont devenus coéquipiers. Mais Jonny restera à part, avec Tana Umaga. Tous les deux ont eu une aura énorme sur la ville ou même la région ! Et puis Jonny était antinomique avec ce que nous sommes, nous les Toulonnais. C’était notre antithèse. Et pourtant sans lui… »

  • L’équipe

« Je n’ai pas encore digéré notre élimination en 2018 face au LOU. Sur le papier, notamment derrière, c’était la plus belle ligne de trois-quarts que j’avais jamais recrutée. Tous les postes étaient doublés ou triplés. Galthié n’a pas réussi à en tirer la quintessence. Bernard Laporte mais aussi Pierre Mignoni, me l’ont dit : ils n’avaient pas autant de qualités quand ils entraînaient le RCT. J’avais pris beaucoup de risques, dépensé pas mal d’argent J’exagère ? Nos quatre ouvreurs c’étaient Trinh-Duc, Belleau, Wisnieski et McAlister sans compter Carbonel trop jeune. Au centre Nonu, Fekitoa, Bastareaud, Radradra ! à l’aile Clerc, Habana et Tuisova, Ashton à l’arrière avec Bonneval ! Devant, Guirado, Vermeulen, Isa, Fernandez-Lobbe, Kruger, Taofifenua, Gorgodze, et je ne compte pas Ollivon qui s’est blessé ! à la mêlée, nous avions aussi quatre choix Tillous-Borde, Escande, Méric, Mattewson ! Nous aurions dû aller en finale de Top 14 ou de Coupe d’Europe. » 

  • Le match

« Celui à Aurillac, en 2008, lors de notre année en Pro D2. Il y avait quelque chose d’irréel de voir là Gregan, Matfield, Oliver qui quelques mois plus tôt avaient disputé la Coupe du monde et se retrouvaient à batailler en Pro D2. J’effectuais à l’époque tous les déplacements. Je découvrais des coins de France, notamment le Cantal, que je ne connais pas bien. C’était un peu la piste aux étoiles. Le public, mais aussi les joueurs adversaires avaient été bienveillants ! Demande de selfies avant la rencontre, et défilé au vestiaire après match pour avoir des d’autographe... On était en janvier, c’était l’un des premiers matchs de Victor Matfield avec nous, il y avait pas mal de ses compatriotes dans la formation aurillacoise. Tous le regardaient avec des yeux d’enfant. Il avait plané sur les débats en touche mais je crois que personne n’osait vraiment le plaquer. D’une manière générale, cette année en Pro D2 avait été géniale. Aux quatre coins de la France, c’était comme si les Rolling Stones se donnaient en concert ».

  • La déclaration

« La sodomie arbitrale me colle à la peau. Mais, perso, celle que je retiens, c’est une pique que j’avais adressée à Thomas Savarealors président du Stade français, où j’avais rappelé que lui dépensait l’argent de ses parents et moi celui de mes enfants. Ce qui n’était pas tout à fait la même chose. J’aime bien balancer une petite « punchline ». Depuis toujours j’essaye de synthétiser mon raisonnement par une petite formule. J’essaye de n’être jamais vulgaire. Provocateur, oui, mais pas grossier. Je n’ai jamais insulté personne, en revanche j’ai pris un pied fou quand l’ensemble de la commission de discipline a disserté sur la « sodomie arbitrale» lors de mon passage… »

  • L’arbitre

« Monsieur Rebollal ! J’aurais pu en citer tant d’autres avec qui j’ai eu maille à partir. Un jour d’une défaite face à Perpignan, il me demande quelques minutes après la fin du match, de venir le voir dans son vestiaire. J’y vais en me demandant ce que j’avais encore fait ou dit. Et là quand je rentre, il me présente ses excuses : « Monsieur Boudjelal, pardon, vous avez perdu à cause d’une mauvaise décision de ma part. Je me suis trompé ». Je n’avais jamais rien dit car il avait été très classe. »

  • L’émotion

« La dernière minute de la finale 2014, l’année du doublé ! Tout le monde nous disait que c’était impossible. Après tout, Guy Novès l’avait clamé haut et fort. Seul Toulouse l’avait fait lors de la première Coupe d’Europe. Nous avions perdu celles de 2012 et 2013. Mais là, à 55 secondes de la fin, avec plus de huit points au tableau d’affichage, les Castrais ne pouvaient plus nous dépasser. C’est l’une des rares fois, où j’ai apprécié la fin de rencontre. Et ce qui a suivi, le retour sur Toulon avec le centre-ville noir de monde lors de notre arrivée en bateau. J’ai longtemps cru que le Bouclier de Brennus, ce ne serait pas possible sous ma présidence. Que mon graal c’était d’installer le club en Top 14. Avec Bernard (Laporte), nous avons réussi à ramener le Bouclier à Mayol. Le job avait été bien fait ».

  • La délocalisation

« La première au printemps 2009 au Vélodrome de Marseille. C’est le match qui a tout rendu possible. Cette rencontre était déterminante pour le maintien. Déjà en amont, il avait fallu remplir le Stade Vélodrome, faire face au lobby des commerçants de Toulon qui étaient contre, aux insultes reçues jusqu’à chez moi. Contrairement à d’autres, on n’allait pas dans un plus grand stade de notre ville mais à 65 kilomètres de Toulon, dans LA ville du football. Et puis, on était 11e du Top 14, le maintien n’était pas acquis. Le pari pouvait s’avérer risqué face au grand Toulouse, avec Dusautoir, Kelleher, Michalak, Poitrenaud… On a fait guichets fermés et on l’a emporté. La semaine qui a suivi, quand j’ai vu, ce que comptablement, cela nous avait apporté, j’ai décidé de changer de braquet et de pousser encore plus loin ma politique de recrutement de stars. Sans ce match, Wilkinson ne serait jamais venu ! Après, on s’est aussi tourné vers Nice, on a fait jusqu’à quatre matchs délocalisés. Le RCT est devenu le club d’une région. »

  • L’adversaire

« Clermont mon meilleur ennemi. Michelin était déjà l’un de mes gros concurrents dans l’édition du temps de Soleil. Je les retrouve dans le rugby. Cela commence en 2010 par cette demi-finale à Saint-Etienne où l’arbitre monsieur Garcès ne demande pas le recours à la vidéo ! Avec Clermont, il s’est toujours passé quelque chose. On était fait pour être adversaires. Ils nous doivent leurs deux titres de champion de France, on leur doit deux Coupes d’Europe. L’ASM, c’est aussi un sacré public. »

  • La mi-temps

« Je me rappelle à la mi-temps du match contre Grenoble en août 2013 d’une colère et d’un discours surréaliste de Bernard Laporte. Contre le FCG, du temps de Bernard on n’était que trop rarement bons. Surtout là-bas, où l’on perdait presque à chaque fois. Bref, à la pause, il prend Bakkies Botha et il lui dit qu’il n’en peut plus du numéro de Jonathan Best, le capitaine adverse. Il lui demande de le prendre et de lui faire une fente au visage. Il dit que même s’il prend un rouge, ce n’est pas grave, il ne lui en voudra pas. Il voulait qu’il aille à l’hôpital. Et Bakkies Botha qui écoutait Bernard au doigt et à l’œil, a pris cela au premier degré. Pierre Mignoni a calmé les choses derrière ».

  • Le titre

« Le premier en 2013 que j’ai vécu dans un taxi. L’histoire est connue. Il faudra que je retourne à Dublin, pour retrouver le chauffeur car j’ai une dette envers lui. Je me rappelle la scène. Je quitte le stade en milieu de deuxième période. Quand je rentre dans le véhicule, Jonny passe une pénalité. Je demande alors au chauffeur de tourner autour du stade et de mettre la radio. On n’entend pas de clameur. Delon marque, on passe devant. Je reste dans le taxi jusqu’au coup de sifflet final. Superstitieux, j’ai eu l’impression qu’il nous portait chance. Quand je reviens à l’Aviva, les supporters clermontois quittent le stade tête basse. Je reviens pour la remise de la coupe. Les matchs, je les ai toujours vécus comme une souffrance. Autant devant la TV, je peux prendre plaisir, mais en bord de pelouse, non. Je n’y suis jamais parvenu ».

  • L’erreur

« Avoir accepté d’accorder quinze jours de vacances fin 2018 à Semi Radradra, pour qu’il aille assister à un mariage aux Fidji dans sa famille. Il ne m’avait pas tout dit et a profité de ces congés payés par le club, pour aller signer à Bordeaux en catimini. Ce joueur a un caractère très particulier. Il est pétri de talent sur un terrain, mais en dehors, c’est un peu un mercenaire. Mais bon, c’est de bonne guerre. Nous avions été plus rapides que Laurent Marti, qui l’avait découvert en premier, pour le faire venir en France. Et je vois que deux ans après, il a refait le même coup à l’UBB ».

  • Le raté

« Plutôt un oubli, qui ces derniers temps prend tout son sens. Nous avons omis de rendre hommage à Joe Van Niekerk quand il est parti. Il avait vécu une dernière année chez nous difficile sur tous les plans. Il y avait beaucoup de stars quand il a pris sa retraite en fin de saison sur le premier titre de champion d’Europe. Nous avions oublié tout ce qu’il avait apporté au club. Il nous a littéralement porté lors de notre première année en Top 14. »

  • Le transfert

« Celui de Carl Hayman. Jusqu’à son arrivée, j’entendais partout que nous n’avions pas de pilier droit ! Que le RCT ne tenait pas la route en mêlée fermée ! Et à Toulon, la culture va d’abord vers le jeu d’avant. Quand je décide de recruter Carl, je sais que je dois y mettre le prix. Il était 25 % plus cher que tous les joueurs de son poste. Je le rencontre dans un restaurant près de la Gare de Lyon à Paris. Je vois arriver un colosse, au physique de deuxième ligne ! J’ai découvert quelqu’un de très bien, un leader par l’exemple. Hayman est une belle personne. Bernard en fera le successeur de Jonny Wilkinsoncomme capitaine. Après quelques semaines d’adaptation, Carl nous a calé la mêlée ! »

  • L’avant-match / Le discours

« J’aurais pu choisir l’un de ceux de Bernard Laporte mais j’ai envie de parler de celui de Jonny Wilkinson à la mi-temps de notre demi-finale face au Racing 92 en 2014 à Lille. On mène d’un point à la pause, et c’est presque un miracle ! Nous sommes bousculés dans tous les secteurs de jeu. Jonny qui avait annoncé qu’il arrêtait à l’issue de la saison, s’est adressé à tout le monde. Il a demandé à ce que sa carrière ne s’arrête pas là ! Il voulait être encore une semaine de plus joueur. Finir par un titre. Bernard n’a pas eu besoin de rajouter quelque chose. Je revois encore Giteau sortir les larmes aux yeux et promettre la victoire à Jonny. En deuxième période on n’encaissera aucun point, seul Jonny marquera… »

  • L’après-match

« La défaite en 2013 face à Castres en finale de Top 14. Nous avions choisi le même hôtel que les Castrais. On avait réservé en premier, mais le CO avait argumenté au groupe Accor que si jamais leurs joueurs ne pouvaient pas y descendre, le groupe Pierre Fabre pourrait changer de chaines d’hôtel. Et avec leur succès, le piège s’est refermé sur nous. Je me vois descendre au bar de l’hôtel dans la nuit, commander un café et entendre leurs festivités. Attention, ils avaient été très respectueux envers nous, mais forcément leur joie nous faisait mal. L’annéed’après, nous avons changé d’hôtel… »

  • La famille

« Le rugby peut engendrer quelques disputes à la maison. Mes femmes (mon épouse et mes trois filles) m’ont toujours soutenu dans mes initiatives. Avec le RCT, c’est venu petit à petit. Ma femme, Linda, a eu la nostalgie pendant les premières années du monde de l’édition qui lui correspondait beaucoup plus. Mais petit à petit, elle avait aussi sa dose d’adrénaline avec le ballon ovale. Elle s’est prise au jeu. Elle s’est aussi occupée avec succès, du secteur du merchandising du club. Les discussions rugby ont finalement pas mal occupé de place à la maison. C’est la première que j’interrogeais sur le recrutement ! ».

  • L’héritage

« Un palmarès bien enrichi, le fait d’avoir réinstallé Toulon au centre du jeu du Top 14. Il ne faut pas oublier que Toulon c’est une agglomération de 160 000 habitants. Ce n’est pas Toulouse, Bordeaux, Lyon ou Montpellier ! Nous n’avons pas le même bassin économique ! Nous n’étions pas adossés à une grosse entreprise comme Pierre Fabre ou Michelin ! Arriver à 30 millions de budget, c’était un travail de fourmi. Je me rappelle encore le jour où la DNACG était venue nous contrôler et nous dire, vous avez dépassé la masse salariale de Toulouse ! Personne ne pensait cela possible ».

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