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Coronavirus - Survivants des Andes : même combat contre la mort

Par Henri Nayrou
  • Tête-à-tête chargé d’affection entre Gustavo Zerbino (à droite) et Sergio Catalan, le muletier chilien qui donna l’alerte pour la délivrance des naufragés des Andes le 22 décembre 1972 et qui est décédé début février 2020.
    Tête-à-tête chargé d’affection entre Gustavo Zerbino (à droite) et Sergio Catalan, le muletier chilien qui donna l’alerte pour la délivrance des naufragés des Andes le 22 décembre 1972 et qui est décédé début février 2020. Photos collection personnelle de Gustavo Zerbino
Publié le Mis à jour
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Face au péril du coronavirus en Uruguay et dans le monde, Gustavo Zerbino, l’un des seize survivants de la Cordillère des Andes, lie ces deux combats contre la mort et lance dans le Midol un appel solennel à la solidarité. Message pathétique et retour sur le drame andin d’il y a quarante-sept ans.

Il court, il court le coronavirus. Il sème la peur puis la terreur. Il a mis notre monde à l’arrêt, au désarroi, aux abris, à la remise en cause d’une société qui a pris beaucoup trop ses aises avec certaines valeurs de l’humanité. Le monde est en souffrance, le rugby aussi. La rhétorique s’enflamme. Notre pays est-il en guerre ? Non, il est au combat contre le plus dangereux des adversaires celui qu’on ne connaît, celui qu’on ne voit pas.

À ce mot de combat, un homme s’est levé et pas n’importe lequel. Il s’appelle Gustavo Zerbino, citoyen d’Uruguay de 67 ans, est l’un des seize survivants de la Cordillère des Andes sauvés par miracle en fin d’année 1972. Vous lirez ci-dessous la chronologie de ce film d’épouvante où un avion militaire, parti de Montevideo pour se rendre à Santiago du Chili avec quarante-cinq personnes à bord, s’est écrasé au fond d’une vallée andine à 3 800 mètres d’altitude. Le crash de l’appareil qui convoyait les jeunes rugbymen du club des Old Christians de Montevideo en route vers un match contre une équipe chilienne, s’est produit un vendredi 13 octobre et 16 seulement en ont sorti vivants le 22 décembre 1972.

Durant ces soixante-douze jours (une éternité…), vingt-neuf voyageurs sont morts en plusieurs épisodes des plus dramatiques. Et ceux qui ont été épargnés par la camarde ont fait le choix, après un douloureux débat, de se nourrir de chair humaine pour ne pas mourir. Vous lirez ci-dessous comment seize jeunes Uruguayens dont Gustavo Zerbino sont revenus des ténèbres en héros pour les uns, en parias pour les autres. La ligne de partage ? Leur décision de découper avec des restes de hublots de l’avion, des morceaux de cadavres de leurs voisins de voyage. Le pape de l’époque avait condamné ces actes, le jugement des hommes a retenu l’instinct de survie dans des conditions plus qu’extrêmes.

Un ami de rugby

Où l’on retrouve à la page suivante le fil de Zerbino reliant ce qu’il a retenu de son épopée des Andes et ce qu’il retient aujourd’hui de la catastrophe en cours du coronavirus. Lisez. Les mots sont forts, les sentences aussi et les leçons à retirer, encore plus.

À travers les ans, Gustavo Zerbino est devenu un ami. J’ai fait sa connaissance en février 1993 à l’époque où j’étais rédacteur en chef du Midol et où j’avais passé dix jours à Montevideo. Vingt ans après le drame, des journalistes du monde entier y étaient aussi, traquant les Survivants et leurs familles pour leur arracher des scoops dépourvus de tendresse. Je m’attendais donc à devoir franchir un cordon sanitaire pour approcher les héros, transformés en cibles.

Un ami catalan m’avait introduit dans le saint des saints, le club-house du club des Old Christians dans le quartier chic de Carrasco où vivaient la plupart de ces jeunes gens, non loin de l’aéroport de Montevideo d’où, le 12 octobre 1972, avait décollé le Fairchild vers son funeste destin. J’y étais resté huit jours avec plusieurs joueurs et aussi les cousins et amis de ceux qui étaient restés dans les linceuls blancs des montagnes andines. Surprise, ils ne m’avaient pas accueilli comme un journaliste mais, grâce à la casaque Midol, comme un ami de rugby.

J’avais écrit 8 pages sur plusieurs numéros du MO avec des interviews de Gustavo Zerbino, du pilier Antonio Vizintin qui fut évincé du raid final et le deuxième ligne Nando Parrado, l’un des deux héros de la délivrance avec l’ailier Roberto Canessa.

Ils s’étaient mis en route le 13 décembre avec comme viatique de survie des morceaux de chair humaine dans leurs chaussettes de rugbymen. Ils pensaient être tombés côté Chili et très vite apercevoir les eaux du Pacifique, et ils marchèrent et ils marchèrent pendant onze jours dans la neige et l’effroi pour finalement le 22 décembre, tomber sur leur sauveur, le muletier chilien Sergio Catalan, récemment décédé à 91 ans (voir sa photo ci-contre).

En 1993, j’avais rencontré Nando Parrado dans sa salle de jeux au cœur de Montevideo. Il était catalogué comme un avant sans personnalité, ce qu’il ne m’avait pas contesté, avant de me lâcher dans la conversation : "Quand je marchais aux côtés de Roberto, je me disais parfois que ce n’était pas moi qui marchais…" Nando venait de vivre des moments insensés, il avait vu mourir sous ses yeux sa mère et sa sœur qui avaient refusé de toucher aux chairs des cadavres.

Dans cet article, j’ai volontairement peu parlé du coronavirus parce que mes mots n’auraient pas pesé lourd par rapport à ceux de Gustavo Zerbino qui a su tirer les leçons du retour à la vie des Andes ramenées au combat contre la pandémie. Il a aussi magnifié l’esprit de son pays, l’Uruguay et il faut le croire.

J’en termine. Ce reportage restera comme le souvenir le plus intense de ma vie de journaliste car je ne suis pas revenu indemne de ce séjour en Uruguay. J’y suis allé une fois comme député en 2010 et quatre fois à titre privé en 2008, 2013, 2016 et tout récemment en février 2020.

Et j’y reviendrai en octobre 2022.

Cette photo de la famille Zerbino date de 2018 lors du mariage du fils aîné Gustavo, même prénom que son père. De gauche à droite, Sebastian, Martin qui a joué pour l’Uruguay une Coupe du monde des moins de 20 ans, Paqui seconde épouse de Gustavo (au milieu), Maria première épouse et mère des quatre garçons (décédée en octobre dernier), ses deux filles Lupita (13 ans) et Luma (21 ans) devant leur frère aîné et talonneur Gustavo et Lucas qui joue au club argentin de Belgrano.
Cette photo de la famille Zerbino date de 2018 lors du mariage du fils aîné Gustavo, même prénom que son père. De gauche à droite, Sebastian, Martin qui a joué pour l’Uruguay une Coupe du monde des moins de 20 ans, Paqui seconde épouse de Gustavo (au milieu), Maria première épouse et mère des quatre garçons (décédée en octobre dernier), ses deux filles Lupita (13 ans) et Luma (21 ans) devant leur frère aîné et talonneur Gustavo et Lucas qui joue au club argentin de Belgrano. Photos collection personnelle de Gustavo Zerbino

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