Martinet : « Ce sont de très petites gens qui m’ont sorti du rugby »

Par Rugbyrama
  • Pierre Martinet
    Pierre Martinet MIDI-OLYMPIQUE - PATRICK DEREWIANY
Publié le Mis à jour
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Ancien président de Bourgoin-Jallieu Pierre Martinet, le traiteur intraitable qui fut dix ans durant le mécène du CSBJ, vient de publier, chez Plon, une autobiographie retraçant le parcours incroyable d’un apprenti charcutier devenu millionnaire. L’occasion, pour nous, de revenir sur ses « années rugby »…

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?
Le point de départ, c’est un accident de la route survenu en 2001. Derrière ça, j’ai passé trois mois à l’arrêt, sur un lit d’hôpital. J’avais du temps, alors je me suis mis à raconter mon histoire sur des morceaux de papier. J’ai tout écrit moi-même, ça m’a pris pas mal de temps mais aujourd’hui, voici le récit de ma vie.

Un accident de voiture, alors ?
Oui. Ce jour-là, j’allais voir mon papa. Il pleuvait beaucoup, sur la route. Soudain, une personne est arrivée en face, a perdu le contrôle, m’a percuté et a malheureusement été tuée sur le coup. Moi, j’ai été emmené en hélico à l’hôpital, à Lyon. Là-bas, on m’a entre autres enlevé la rate. De retour chez moi, j’ai pris du recul sur ce que j’avais entrepris jusque-là. Et j’ai souhaité partager cette histoire.

Quelle est-elle, cette histoire ?
Je suis d’abord un enfant d’une autre époque. Un fils d’agriculteur, qui allait chercher l’eau au puits tous les matins. Dans mon petit village bressan, nous étions 28 à aller à l’école et parmi eux, seulement trois ont poursuivi leurs études en ville, au lycée. Pour me rendre à l’école, je faisais cinq kilomètres à vélo par tous les temps. Les jours de grand froid, je me souviens que la neige se coinçait entre la roue et le garde-boue. Je m’arrêtais pour décoincer le mécanisme, armé d’un bâton.

Vous êtes parti du bas de l’échelle, en somme…
Oui, j’ai démarré à la ferme parentale. Je faisais des poulets, du maïs et des chrysanthèmes. Papa avait aussi des ruches. Une année, j’ai même fait 700 kg de miel, que je revendais sur les marchés. J’ai d’ailleurs longtemps hésité entre la charcuterie et l’apiculture.

Comment avez-vous fait fortune, au juste ?
À l’origine, je voulais appeler mon livre « Osez ! ». À mes débuts, ma marraine a en effet osé me prêter de l’argent pour que je lance mon affaire, que j’achète des veaux et des bœufs sur les marchés… C’était risqué, j’avais déjà trois enfants. Mais j’ai osé !

Et après ?
J’ai voulu augmenter la cadence. J’ai fait tous les marchés de la région, avec ma 2 CV, des tréteaux, des planches et un parasol. J’allais à Oyonnax, à Annemasse. Un jour, j’ai rencontré un type, il avait une caisse de museaux à vendre. Je l’ai achetée, l’ai mise en salade et l’ai vendue au marché-gare de Lyon. De là, les besoins ont commencé à augmenter. Les clients se sont multipliés. Tout a démarré ainsi, en fait.

Et votre arrivée au rugby, alors ?
Dans les années 1990, Guy Savoy était dirigeant au CSBJ et chez moi, il était conseiller culinaire. Il m’a parlé du CSBJ, du rugby. Derrière ça, Michel Couturas (ancien entraîneur du CSBJ, N.D.L.R.) m’a convaincu de rejoindre le club. À l’époque, je faisais déjà de la pub à la télévision. Mais j’avais besoin du contact des gens. Je me suis dit que le rugby, ce serait une belle façon de communiquer sur notre marque. Je suis donc devenu partenaire maillot.

On dit souvent qu’un club de rugby est un puits sans fond. Combien de millions avez-vous investis en Isère ?
(il se marre) Très exactement ? Un certain nombre, voilà ! Mais je n’ai aucun regret. J’ai rencontré des gens extraordinaires dans le rugby. Avec mes joueurs, la relation était très simple. On jouait aux cartes, on se marrait bien. Des mecs qui jouaient à mon époque sont d’ailleurs encore au club : il y a Bogdan Leonte, Mathieu Nicolas…

Aviez-vous été touché par le fait divers ayant entouré Marc Cécillon en 2004 ?
Oui, bien sûr. J’étais en vacances en Turquie, à l’époque. Dès que j’ai appris ça, je suis monté au créneau. J’ai voulu gérer toutes les relations avec la presse, histoire d’éviter une cacophonie générale autour du drame. (il marque une pause) Oui… Cécillon, c’est terrible, honteux… Mais on ne va pas s’appesantir, hein…

Avec qui avez-vous lié des liens forts, dans le rugby français ?
Serge Kampf, Serge Blanco, René Bouscatel… J’y ai découvert un monde merveilleux : au rugby comme dans l’industrie, il faut combattre pour gagner des matchs et conquérir de nouveaux clients.

Le CSBJ, c’était un peu le village gaulois du Top 14…
Oui, c’est ça. Bourgoin, c’est 23 000 habitants. À cette époque, Lyon était très bas, Grenoble vivait des moments difficiles. Il y avait donc un coup à jouer. Des gens venaient de tout le grand Est pour nous voir : de Gap, de Valence, Lons-le-Saunier ou même de Genève. Le CSBJ, c’était le grand club de toute une région.

Le rugby a-t-il changé, depuis que vous avez quitté la présidence du CSBJ en 2009 ?
Oui, les budgets n’ont plus rien à voir. Mais j’ai bien peur que certains clubs souffrent beaucoup en raison de l’épidémie de coronavirus. Il va y avoir de la casse, croyez-moi… Et la reprise du championnat en juin, je n’y crois pas. C’est illusoire.

La fin de votre aventure en Berjallie fut semble-t-il douloureuse. Pour quelle raison ?
Le maire de l’époque et l’un de ses bourgeois voulaient que je donne toutes mes actions. Ils m’ont sorti. Derrière ça, le club a connu deux dépôts de bilan. On m’a critiqué, traîné dans la boue. Ce club, je l’avais pourtant monté. Je pense que j’aurais mérité un tout autre départ. Mais bon…

Quoi ?
Au moins, j’ai arrêté de mettre deux millions d’euros par an ailleurs que dans mon entreprise ! […] Avant que je quitte le CSBJ, on avait un grand projet : un stade magnifique, un centre sportif ultramoderne, un jumelage avec des investisseurs chinois… Et puis, de très petites gens m’ont sorti du rugby…

Comment définiriez-vous le rugby ?
Sur le terrain comme lors de réunions à la Ligue, c’était du combat, toujours du combat : on faisait le point sur des tables, quitte à se mettre le poing sur la gueule et finir avec des points de suture !

Pour terminer, comment vivez-vous le confinement actuel ?
Ce matin (l’entretien a été réalisé vendredi matin) comme tous les jours, je suis à l’usine et tout va bien ! Enfin, ça va aussi bien que possible, quoi… Il y a quelques jours, j’ai quand même dû participer à une réunion sur la psychose des salariés. Ce n’est pas une période facile. 

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