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Villière en Bleu, "un rêve de Gabin"

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Publié le Mis à jour
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Début 2019, le normand était un joueur de Fédérale 1 et brillait avec France 7. Un an et demi après, Gabin Villière, 24 ans et seulement neuf matchs de Top 14 à son actif, figure dans le groupe France pour le début de l’Autumn Nations Cup. Un chapitre de plus dans le roman d’une carrière surprenante. Et ce dès le plus jeune âge.

"Quand Gabin avait eu sa première page dans Midi Olympique, l’histoire était déjà belle. Depuis, elle est devenue extraordinaire. Je ne sais même pas s’il se rend compte de ce qu’il lui arrive, s’il mesure tout son parcours… L’autre jour, en se parlant après l’annonce, nous avions tous deux la gorge serrée." La fierté et l’émotion étreignent la voix de Laurence Lucas, la maman de Gabin Villière, nouvel appelé au sein du XV de France. En avril 2019, sa première fan hallucinait déjà, en le voyant avec une tunique internationale sur le dos : "Il me dit que c’est magique, qu’il réalise un rêve", témoignait-elle alors. À l’époque, le gamin de Vire, maillot de l’équipe de France à 7 sur le dos, venait de terrasser les Blacks et de porter les Bleus jusqu’en finale de l’étape de Hong Kong. L’invité surprise de Fédérale 1, alors licencié à Rouen, avait même été sacré meilleur joueur du mythique rendez-vous en la Mecque du rugby à VII.

"La semaine d’après, il avait eu plusieurs clubs de Top 14, tout s’était accéléré", se souvient sa mère. L’espoir avait rapidement succombé aux avances de Toulon. "J’avais besoin de retrouver un projet qui me donne envie de me lever tous les matins, comme à Rouen, et c’est le cas", expliquera par la suite l’intéressé sur rugbyrama.fr. Une douce ironie de l’histoire. Six ans plus tôt, le RCT comme une demi-douzaine d’autres clubs professionnels lui avaient fermé la porte au nez : "J’ai gardé chaque dossier de refus à la maison, sourit Laurence Lucas. Je lui en ferai un paquet cadeau à l’avenir. Pour lui rappeler toutes ces expériences qui lui ont servi." "À l’époque, j’étais demi de mêlée et je n’avais été pris nulle part, témoigne son fils. Objectivement, les clubs ont bien fait de ne pas me prendre il y a six ans. Car je pense que je ne serais pas au RCT désormais. Je ne sais pas si mon parcours est idéal mais c’est celui qui me correspond." Avec ses détours, ses stops, ses changements de directions. Autant de manœuvres nécessaires pour atteindre cette destination imprévue.

"Il était bon mais ce n’était pas le meilleur"

Presque imprévisible, à vrai dire. "J’ai toujours eu une relation franche avec Gabin et s’il m’avait annoncé, en minimes ou cadets, qu’il comptait finir en Top 14, je lui aurais dit : "Ne t’enflamme pas", témoigne Gilles Rabier, père de l’internationale Sandra Rabier et son deuxième entraîneur à Vire. Son premier mentor confirme : "Gabin avait poussé la porte de l’école de rugby à 7 ans, raconte Jérôme Ollivier. J’ai le souvenir d’un enfant vif, sur le terrain et en dehors. Avec d’autres leaders, il avait su fédérer une belle bande de potes. C’est sa dimension humaine qui me revient en premier, plus que ses talents. Il était bon mais ce n’était pas le meilleur, il n’était pas au-dessus du lot. Il faut dire que lorsque vous faites dix centimètres de moins que les autres, ça n’aide pas. Mais il s’est quand même amusé. Et il s’est pris au jeu." Le jeune Gabin, insouciant et déterminé, cherche dès lors à forcer son destin. Quoi qu’il lui en coûte, en termes d’efforts : "Quand il s’est mis à espérer, il a tout fait pour corriger ses faiblesses. En sélection, on lui avait fait remarquer les limites de son gabarit et le fait qu’il n’avait pas la passe des deux côtés." "C’était un gros bosseur, c’était un sportif-né, un compétiteur", reprend Gilles Rabier. Ses deux premiers éducateurs utilisent la même comparaison : "C’est une éponge." Et un attaquant sans complexe : "Il a toujours eu cette audace, cette envie d’oser. C’était un petit filou, avec sa vitesse, ses appuis." Avec sa détermination et ses quelques atouts, Gabin Villière tente de s’émanciper.

Si les clubs pros passent leur tour, Rouen, le grand-frère, lui ouvre les bras. Mais là aussi, Richard Hill demande à être convaincu. Dès son arrivée, il décale sa jeune recrue de la mêlée au centre car "il ne passait jamais le ballon" ; puis il le déplace de nouveau, du centre, où "il n’avait pas le niveau technique des autres", à l’aile. En bord de touche, Gabin Villière trouve enfin le poste propice à son épanouissement : pendant trois ans, il affole les défenses et les compteurs de l’élite amateur, allant jusqu’à inscrire vingt-six essais en 2016-2017 et à taper dans l’œil de Jérôme Daret, l’entraîneur national de France 7. Du Canada à Hong Kong, son horizon s’élargit et s’éclaircit. Soudainement. Mais au printemps 2019 encore, Richard Hill lui promet un destin chargé d’espoirs mais aussi de défis personnels : "Ce n’est pas encore un joueur complet. En défense, il lui arrive de se tromper même s’il comprend mieux. Son jeu au pied est toujours perfectible. Sur sa passe, il peut progresser, aussi. Mais s’il continue sur sa lancée, il peut aller le plus haut possible."

"Passer de la fédérale 1 au circuit à VII, c’était déjà un bond"

En débarquant à Toulon, Gabin Villière se sait confronté à un challenge des plus relevés. Un de plus : "Vous savez, passer de la Fédérale 1 au circuit mondial à VII, déjà, ça avait été un sacré bond, rappelle sa maman. Grimper de deux divisions d’un seul coup a été un autre grand saut à effectuer." Dans le Var, l’aventure commence cette fois du côté de l’infirmerie. Une escale inévitable après deux années à enchaîner tours du monde à 7 et retours par la case Fédérale 1. Un double apprentissage enrichissant mais éreintant : "Son esprit disait oui mais le corps a dit non au bout d’un moment, déplore sa maman. Il ne pouvait plus marcher. Il avait tout un tas de micro-fractures de fatigue à un tibia. Il lui fallait du repos. Au début, ça n’a pas été simple à gérer car il ne vit que pour le rugby. Il y a eu des baisses de moral, on ne va pas s’en cacher." "Je ne sais pas trop ce que c’est, je galère, je vois des spécialistes, je fais des examens, pourtant ça a du mal à avancer, racontait l’ailier, l’hiver dernier. En ce sens, j’ai pu douter. En revanche, concernant le rugby, je n’ai eu aucune inquiétude. Je savais que je ferais le maximum pour revenir."

Ses grands débuts dans l’élite doivent attendre le 13 octobre 2019 : "Ne m’en parlez pas", souffle sa maman. Entré en jeu en seconde période, à Jean-Bouin, le bizuth tente une relance audacieuse à l’origine de l’essai de la victoire… du Stade français. A posteriori, son manager le défendra publiquement. Mais entre cette adaptation, la concurrence, les pépins physiques et l’arrêt prématuré du championnat, il doit se contenter de cinq apparitions en Top 14 pour sa première saison. "À l’arrivée, ça n’a pas été une année formidable avec peu de matchs", résume Laurence Lucas. Suffisant tout de même pour entretenir la flamme et dévoiler un aperçu de ses talents. Tous les spectateurs présents à Mayol le 18 janvier dernier se souviennent de son premier jour de gloire : face à Bayonne, en Challenge Cup, il éclabousse la partie de sa classe avec un premier essai, des éclairs dans tous les sens et des plaquages à tours de bras.

"L’impression d’entendre un enfant à Disneyland"

Son engagement tout-terrain termine de convaincre Patrice Collazo. De ses aventures à VII, le Normand a hérité d’une technique individuelle affinée et de cette propension à l’hyperactivité : "Même si je suis ailier, le contact et les plaquages sont vraiment indispensables. C’est un poste où il existe beaucoup de profils, et c’est vrai que j’apprécie ce registre de combat. J’aime l’idée de soulager l’équipe en prenant part au jeu, en accompagnant mes avants. J’ai besoin de courir beaucoup, d’aller chercher les mecs." Depuis la reprise de la compétition, cet été, le gamin de Vire donne la pleine mesure de son potentiel : au-delà de son apport offensif, il termine régulièrement parmi les meilleurs gratteurs et plaqueurs du RCT. Face à Leicester fin septembre, en demi-finale de Coupe d’Europe, il signe sa prestation référence au plus haut niveau avec un doublé à la clé. "La saison passée, j’ai pu rencontrer des difficultés, notamment car j’étais blessé à mon arrivée, mais j’ai énormément appris : sur le niveau, le jeu, la récupération, les soins… J’ai pris mes marques et, désormais, c’est à moi de m’épanouir. Je me sens super bien. Je commence vraiment à me sentir à ma place." Même si, petite particularité pour son poste, l’ailier n’a toujours pas débloqué son compteur d’essais en élite après neuf rencontres. Un simple détail de l’histoire.

Une énième caractéristique pour ce joueur décidément pas comme les autres, parti de loin mais amené à porter le maillot de la grande équipe de France dans quelques jours, à seulement 24 ans. "Par son histoire, il prouve que tout est possible : tu n’as pas besoin d’être né à Toulouse ou de crever l’écran aux plateaux quand tu es adolescent pour réussir, résume Jérôme Ollivier. Il le doit à son travail. Il a su prendre le meilleur de chaque personne qu’il a rencontrée et il a tiré profit de ses capacités d’adaptation. Son ascension a été très rapide. Je n’aurais pas cru à ce point." Sa maman se frotte les yeux pour y croire : "Tout ça n’a jamais été un objectif pour lui : le Top 14, la sélection nationale… Il gravit les marches à l’instinct. Il a toujours vécu le rugby à fond sans se poser de questions. C’est comme ça qu’il s’est construit." Comme ça qu’il le vit encore : "Quand il me raconte Marcoussis, le bus pour aller au Stade de France, j’ai l’impression d’entendre un gamin qui arrive à Disneyland, reprend Jérôme Ollivier. Il a gardé cette fraîcheur qui lui permet de savourer, tout en ayant le recul pour prendre ses marques. Je sens beaucoup de bonheur chez lui."

Et de fierté en sa terre natale : "Depuis un mois, à Vire, on ne nous parle que de ça. Alors que d’ordinaire, avec 80 licenciés, le rugby ne fait pas le poids face aux 400 du foot. Ce n’est pas dans la culture locale. Mais il y a l’effet Gabin." Sa maman apprécie ce statut d’ambassadeur : "J’espère qu’il fait rêver plein de petits Normands et que ces mômes seront inspirés par son exemple." De Vire à Rouen, l’audimat des rencontres des Bleus risque de grimper en flèche dans quelques semaines. Et peut-être, qui sait, pour un petit bout de temps.

Digest

Né le : 13 décembre 1995 à Rouen

Mensurations : 1,80 m, 93 kg

Poste : ailier

Clubs successifs : Vire (-2015), Rouen (2016-2019), Toulon (depuis 2019)

Sélections nationales : 37, en équipe de France à VII (2017-2019)

1er match en sélection : à Clermont, le 1er juillet 2017, lors du Rugby Europe 7 GPS Clermont

Points en sélection : 100 (20 essais)

Palmarès : médaille d’argent du Canada Sevens 2019 et du Hong Kong Sevens 2019, meilleur joueur du Hong Kong Sevens 2019.

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