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Harinordoquy : « C’est une bouffée d’oxygène dans cette année 2020 dégueulasse... »

  • Imanol Harinordoquy.
    Imanol Harinordoquy. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Imanol Harinordoquy (40 ans) revient aujourd’hui sur la tragique disparition de son ami « Domi », évoque le XV de France, les contours de la méthode Galthié, sa ressemblance avec Charles Ollivon, les progrès de l’extraterrestre Sekou Macalou, le cas Jalibert et même le projet fou d’un grand club basque. C’est à vous, gizon*..

La disparition brutale de Christophe Dominici vous a semble-t-il anéanti…


C’est le mot… J’ai déjà une pensée émue pour son épouse et ses deux filles… « Domi », je le croisais régulièrement en-dehors du rugby : on se croisait sur des salons où il vendait son vin. Moi, je cherchais de nouveaux produits pour mes restos. La dernière fois, c’était il y a quelques mois, à Montpellier. J’ai vécu des années inoubliables à ses côtés en équipe de France, de 2000 à 2007.

C’est-à-dire ?


« Domi » avait toujours la banane, était toujours dans l’excès, racontait dix anecdotes à la seconde. Il n’aimait pas le vide et était là pour le combler, que ce soit à table, dans les vestiaires ou le bus. La fois où il m’a fait le plus rire, c’est lors du Mondial 2003, en Australie. Ce soir-là, on mangeait à l’opéra de Sydney, chez le chef français Guillaume Brahimi. Après le repas, « Domi » avait tenu à faire une mêlée : il s’était mis en position de talonneur, avec Clément Poitrenaud d’un côté et moi de l’autre. En face, il y avait Jo Maso, Bernard Laporte et Guillaume Brahimi, donc. On avait tellement dominé que Bernard (Laporte) avait fini le cul sur le bar…

Christophe Dominici était connu comme quelqu’un de très fragile…


Oui. Il était à fleur de peau, sensible, fragile. Il y avait aussi une colère, en lui. C’est certainement ce pourquoi il nous a quittés, aujourd’hui.

En écosse, l’équipe de France vient d’enchaîner un sixième succès en sept matchs. Comment jugez-vous la sélection tricolore ?


Elle poursuit sa montée en puissance. Elle confirme les espoirs placés en elle pendant le Tournoi et domine les meilleures équipes d’Europe. Ce qu’elle est en train de réaliser est très fort. C’est une bouffée d’oxygène dans cette année 2020 dégueulasse…

Avez-vous pris du plaisir, lors du dernier France — écosse ?


Non. C’était chiant à regarder mais il faut savoir aussi gagner ce genre de match. À Murrayfield, l’équipe de France a été sérieuse en défense, efficace en conquête, plus disciplinée qu’à l’habitude et a finalement collé au plan de jeu. (il marque une pause) De temps en temps, il faut savoir réduire la voilure et s’adapter à l’adversaire.

Quoi d’autre ?


Le groupe s’étoffe, s’élargit. Pendant le Tournoi des 6 Nations, j’avais l’impression que les Bleus n’avaient pas de profondeur de banc. Quand il manquait un ou deux mecs derrière, on n’avait plus la même puissance de frappe. Les choses ont désormais changé : travailler à trente ou quarante joueurs depuis des semaines a permis de faire éclore de vraies doublures, telles Thomas Ramos, Dylan Cretin, Jean-Baptiste Gros ou Romain « Tao »… Ça amène de l’émulation, une donnée qui a parfois fait défaut à l’équipe de France ces dernières années : certains joueurs étaient installés et le savaient trop.

On vous suit…


La dernière fois que les All Blacks sont venus chez nous (automne 2017, N.D.L.R.), j’étais dans les tribunes du Stade de France et derrière moi, il y avait une ribambelle de gamins portant le costard à la fougère. Je me suis retourné et leur ai demandé : « Qui êtes-vous ? »

Et ?


C’étaient les Baby Blacks, les moins de 20 ans néo-zélandais. Ils suivaient les grands pendant toute la durée de la tournée, s’entraînaient avec eux, s’imprégnaient du projet de jeu… J’avais trouvé ça chouette. La transmission, l’héritage étaient ici réels.

Faisiez-vous, de votre temps, des séances en opposition comme c’est aujourd’hui la norme dans la méthode Galthié ?


Non. Le mercredi soir, on s’entraînait dix minutes contre les jeunes du Pôle France à Marcoussis. Mais il n’y avait pas vraiment d’échange. Ce n’était pas une opposition parce que le fossé était trop grand. On se servait de ça pour travailler les lancements de jeu, en fait.

Vous étiez connu, à l’époque où vous étiez international, comme un très bon joueur de touche. Que pensez-vous aujourd’hui de l’alignement tricolore ?


En touche, ils ont énormément simplifié les choses : il n’y a pas d’affolement lorsque les mecs prennent place dans l’alignement et le contre, grâce à Dylan Cretin, François Cros ou Charles Ollivon notamment, est très efficace.

À votre époque, existait-il un bloc de saut impossible à contrer ?


Quand tu jouais les Irlandais, c’était compliqué, ouais… Paul O’Connell fait déjà 2 mètres et comptait, en plus, sur des lifters très imposants. Je pense au pilier John Hayes (1,93 m). J’avais beau me mettre en face, il me manquait toujours dix centimètres. Les Irlandais devaient lancer à près de cinq mètres, à l’époque. C’était injouable…

Qu’avez-vous pensé de la performance de Matthieu Jalibert, qui jouait gros en écosse le week-end dernier ?


Il a été sobre, s’est adapté à la stratégie et a donc joué au pied beaucoup plus qu’il ne le fait d’habitude. Mais je l’ai trouvé bon.

Avez-vous été choqué par son intervention, lors du dernier Castres — Bordeaux-Bègles ?


Bof… Ça a toujours existé, ce genre de trucs… Le banc des remplaçants, il a toujours gueulé contre les arbitres. Sauf qu’avant, on ne l’entendait pas. Le bruit dans les tribunes masquait tout ça…

Alors ?


Le règlement, qui protège les chambreurs, fait aujourd’hui le jeu d’un chambreur comme Rory Kockott. Au mieux, il fait dégoupiller l’adversaire. Au pire, il prend un avertissement verbal de la part de l’arbitre. (il soupire) Je détestais jouer contre ce genre de type.

Avez-vous des exemples en tête ?


Sylvain Marconnet a rendu fou quelques piliers. Agustin Pichot, qui arbitrait à la place de l’arbitre, était aussi très pénible. Mais il y a dix ans, tu pouvais encore faire passer des messages, marcher sur le dos des plus agités, mettre une tartine…

Certes…


Tu prenais deux matchs de suspension, les sanctions étaient moins lourdes.

En clair ?


Il faudrait surtout arrêter la comedia dell arte. Comme dans le foot, on pourrait mettre des cartons pour simulation, en Top 14 et en Pro D2.

Faut-il être irréprochable pour porter le maillot tricolore ?


Je ne connais personne d’irréprochable. Soyons exemplaires, ce sera déjà pas mal. (rires)

Pensiez-vous que Fabien Galthié serait aussi efficace, aussi rapidement ?


Je m’en doutais un peu, oui. À son sujet, je n’ai jamais oublié ce qu’il avait réalisé à Montpellier à l’époque : il n’avait pas une constellation de stars au MHR, peu d’internationaux et a pourtant réussi à construire un collectif qui faisait peur à tout le monde. Ça situe le niveau du mec, quand même… (il marque une pause) Fabien (Galthié) a aussi un staff remarquable, on ne le dit pas assez.

Quoi d’autre ?


Il a entre les mains, qu’on le veuille ou non, une génération exceptionnelle. J’ai aussi l’impression que le groupe est sain, épanoui. Ça compte.

À ce point ? Les Bleus de 1999 ou de 2011 n’étaient pas tous amis. Ils ont pourtant disputé des finales de Coupe du monde…


Si personne ne peut se blairer, la vie de tous les jours peut vite s’avérer très compliquée… Il y avait des tensions en 1999 mais pas tant qu’on veut bien le dire. Aujourd’hui, je les croise ces mecs-là : ils se font la bise, sont heureux de se retrouver…

Et en 2011, alors ?


Il y avait des tensions mais quand le groupe s’est approprié l’aventure, tout s’est lissé. Sur le plan humain, on a vécu un truc très fort en Nouvelle-Zélande.

Avez-vous déjà joué avec quelqu’un que vous ne supportiez pas ?


(il réfléchit) Quand tu arrives en équipe de France, tu mets de l’eau dans ton vin. Tu es là pour défendre ton pays, après tout… Mais…

Quoi ?


En y réfléchissant bien, j’ai déjà connu cette situation.

Comment ça ?


Je ne pouvais pas supporter Pato Albacete, quand je l’affrontais. Je crois qu’il me le rendait bien, d’ailleurs. Le jour où j’ai débarqué dans les vestiaires de Toulouse, on ne s’est même pas serré la main. (rires)

Et puis ?


Au fil des semaines, on est devenu très copains. Mais ce n’était pas gagné, hein ! On ne pouvait vraiment pas se blairer ! (rires) Sur le terrain, tu peux te faire une idée du joueur, pas de l’homme.

On parlait précédemment du staff des Bleus. Vous avez croisé Thibault Giroud, le préparateur physique du XV de France, à l’époque où il officiait à Biarritz. Quel avis avez-vous de lui ?


À l’époque, Thibault était déjà accompagné de Manu Plaza, son actuel bras droit en équipe de France. Giroud ? C’était un ovni quand il est arrivé au BO. Avant lui, on ne faisait que du cardio, de l’endurance, des tours de terrain… Il nous a demandés d’enchaîner les séances rugby à une intensité qu’on n’avait jamais connue jusqu’alors. C’était dur et ludique à la fois.

Ça vous a réussi ?


Thibault (Giroud), il a changé ma façon de m’entraîner. Les meilleures années de ma carrière, en 2009 et 2010, je les lui dois. Mais je n’irais pas faire une séance aujourd’hui. Je leur laisse, hein… (rires)

Le staff des Bleus a dû changer son groupe en quasi-intégralité après la victoire en Ecosse. Cette semaine de travail sera-t-elle suffisante pour battre l’Italie ?


Oui. Fabien Galthié ne part pas de rien. Il y a un socle, du travail en commun. Même s’ils ne sont pas tous titulaires à part entière, ces joueurs connaissent le plan de jeu, l’ont côtoyé à l’entraînement. Moi, je me souviens qu’à l’époque où on préparait le Tournoi, on arrivait le lundi à Marcoussis pour affronter l’Angleterre cinq jours plus tard. Avec un entraînement dans les pattes.

Dès lors ?


Il faut voir cette situation comme une chance. Une chance de pouvoir étoffer le groupe France avant de disputer des compétitions fondamentales comme le Tournoi des 6 Nations et la Coupe du monde. Le but, c’est d’amener trente mecs à 40 sélections au Mondial. C’était d’ailleurs le cas des Anglais, l’an passé, au Japon.

L’Italie paraît faiblarde depuis quelques années. Faudrait-il selon vous instaurer un système de montée et de descente dans le Tournoi des 6 Nations, afin de donner leur chance à la Géorgie ou l’Espagne ?


Seraient-elles plus performantes que l’Italie ? Je ne sais pas… Mais leur intégration amènerait de l’émulation et de la fraîcheur dans cette compétition. Depuis dix ans, on sait dès le début du Tournoi des 6 Nations que l’Italie ne le remportera pas… Cette équipe ne fait pas peur…

Vous parlez de profondeur de groupe. Qui, selon vous, pourrait incarner la doublure de Grégory Alldritt en numéro 8 ?


Sekou Macalou. Par le passé, il avait déjà des qualités hors du commun mais pouvait coûter des victoires parce qu’il commettait énormément de fautes. Il a gommé ce déchet et, à côté de ça, s’est doté d’une certaine science de la touche. […] Aujourd’hui, il est juste énorme et c’est un joueur que j’ai envie de voir au niveau international.

À ce point ?


Macalou, c’est un profil atypique : un troisième ligne qui court aussi vite et dégage autant de puissance, c’est rarissime. Pour moi, il peut même aller au-delà du statut de doublure…

Il arrive que, par facilité, les gens vous comparent à Charles Ollivon : il est Basque, élancé, bon en touche, doté d’une bonne technique individuelle. La comparaison vous semble-t-elle juste ?


Elle me fait plaisir, en tout cas. Je suis Charles depuis des années. À l’époque où il était à Bayonne, je le trouvais déjà très très fort. D’ailleurs, je pense qu’il lui reste une marge de progression sur le plan offensif. Je l’ai connu plus libéré dans le jeu ; il peut encore amener énormément au panel offensif de l’équipe de France.

Puisque l’on parle du Pays basque, il se pourrait que le Top 14 retrouve deux clubs d’Euskadi l’année prochaine, si Biarritz et Bayonne confirment leurs bons débuts de saison…


Ce serait magnifique. À Biarritz, il y a une équipe compétitive avec un gros paquet d’avants et quelques grands joueurs dans la ligne de trois-quarts. Bayonne, elle, surprend chaque semaine et pratique un jeu complet…

Dès lors, seriez-vous toujours favorable à la création d’un grand club basque ?


J’ai toujours cette idée dans la tête, même si je doute qu’elle se réalise un jour… Moi, j’aimerais voir une équipe qui représenterait le Pays basque au plus haut niveau, une équipe qui joue les premiers rôles en Top 14 et fasse trembler les plus grandes équipes européennes.

Élargissons le débat : quel regard avez-vous porté sur la guerre que se sont livrés les clubs et la fédération avant les tests de novembre ?


C’était une querelle de personnes, pas une guerre de fond. Globalement, cela ne donnait pas une belle image du rugby français et hors de nos frontières, les autres nations se sont bien foutues de nous. Au bout du bout, ça n’a pas fait avancer le schmilblick d’un centimètre…

Ce modèle français est-il obsolète ?


(il soupire) Si l’équipe de France veut s’installer dans le top 3 mondial et gagner un jour une Coupe du monde, il faudrait que les internationaux soient pris en charge par la FFR, que l’on mette en place contrats fédéraux. Mais on en est loin, semble-t-il…

Le durcissement du règlement, concernant les Jiff, participe-t-il au renouveau du XV de France ?


(longue hésitation) Les Jiff m’ont toujours laissé dubitatifs…

Pourquoi ?


Les clubs ont toujours contourné la règle en faisant entrer des Fidjiens ou des Géorgiens de 17 ans dans leurs centres de formation. Trois ans plus tard, ces joueurs-là deviennent Jiff. Ont-ils pour autant été formés en France ? Je ne sais pas… Je pose juste la question…

Parlez-nous de vous, qui êtes patron de deux restaurants dans les Pyrénées-Atlantiques. Les temps sont durs, n’est-ce pas ?


On fait le dos rond. Ce qui est dur, c’est de n’avoir la moindre visibilité sur l’avenir. Comme le dit Philippe Etchebest, le restaurateur le plus en vue en ce moment, « on n’est pas aidé ». Mais bon… Je reste optimiste, je regarde devant.

Et vous voyez quoi ?


Une lumière au bout du tunnel.

Vous ferez-vous vacciner ?


Autour de moi, j’ai vu de tout : des personnes à risque, souffrant d’insuffisances respiratoires et de ce genre de choses, contracter la Covid et ne rien sentir ; j’ai aussi vu de jeunes gens sportifs, en pleine forme, perdre 20 kilos en quelques semaines. Alors, si le vaccin doit nous aider à vivre plus sereinement, je me ferai vacciner, oui.

* Jeune homme

 

« Macalou, c’est un profil atypique : un troisième ligne qui court aussi vite et dégage autant de puissance, c’est rarissime. Pour moi, il peut même aller au-delà du statut de doublure… »

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