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1971 : l’aurore d’une ère dorée

Par Jérôme PRÉVÔT
  • JPR Williams, l’arrière légendaire du pays de Galles des années 70.
    JPR Williams, l’arrière légendaire du pays de Galles des années 70.
Publié le Mis à jour
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Histoire - Les Gallois n’ont plus gagné un grand chelem à l’extérieur depuis 1971, c’était en France, avec une interception terrible de JPR Williams.

Dire que dans les années 90, on avait pensé les Gallois perdus pour l’Olympe du rugby. Après quinze, vingt ans de galère, la petite principauté celte s’est replacée magistralement sur l’échiquier. Elle a empoché quatre grands chelems en quatorze ans (2005, 2008, 2012 et 2019), mais il lui reste une borne historique à rejoindre. Elle n’a plus conquis la dernière levée du carton plein à l’extérieur depuis cinquante ans, 1971 et c’était en France, à Colombes, bourré comme un œuf (ce qui n’arrivait pas si souvent).

De ce France-Galles , nous conservons une image, cet essai à rebrousse-poil de Gareth Edwards. Un coup de massue magnifique, un renversement de pression magistral qui avait semé la consternation dans les tribunes et les salons des Français. Une attaque qui va vers la gauche puis vers la droite avec cette course impeccable de Pierre Villepreux et cette croisée pour son ailier Roger Bourgarel. Une occasion qui se dessine et puis, l’action qui change brutalement de sens, plaquage de Barry John venu de côté, Bourgarel qui cherche du soutien puis JPR Williams qui surgit à pleine vitesse pour l’interception la plus tranchante de sa carrière. La chevauchée à contresens aurait mérité une palme en soi, mais JPR ne la mena pas à son terme sur les 22 français, après un sprint de 80 mètres contre le vent, au lieu de tenter de finir sa course à l’agonie, avec deux défenseurs en travers, l’arrière médecin conserve la lucidité d’un dernier geste technique. Un léger retour intérieur pour fixer Bertranne et Cantoni qui mordent à l’hameçon, avant d’adresser une passe flottante à son extérieur pour Gareth Edwards en position d’ailier gauche. Ce sens du jeu et ce sang froid qui ne s’achètent pas.

Les Gallois avaient plutôt souffert jusque-là face à la verve des Tricolores, le Zéphyr dans le dos. Dauga avait conclu un beau mouvement collectif, mais les Gallois avaient ce soupçon de classe qui devait les sortir de toutes les situations. Le moment était historique pour eux, ils n’avaient plus fait de grand chelem depuis 1952, ce match de Colombes était historique pour eux, ce Tournoi 1971 serait analysé comme l’aurore de leurs années dorées.

Barry John nourri par Jeff Youngs

À la pause, les Français menaient pourtant 5-3, mais l’essai de Gareth Edwards avait démonté la mécanique française. Ce succès, 9-5, reste attaché aux trois personnalités les plus brillantes de ces années-là : JPR Williams, Gareth Edwards (lire en page 2 et 3) et Barry John, de Cardiff. Le demi d’ouverture le plus juste de l’Histoire, à la carrière finalement très courte (et d’autant plus fantasmée). Il tira le rideau à 27 ans, gêné par l’admiration qu’il suscitait et l’attention des médias. Il travaillait dans une banque et un jour, un de ses clients lui fit une révérence avant une banale opération.

En attendant, ce triomphe de Colombes fut l’une de ses compositions les plus harmonieuses, une pénalité dès le retour des vestiaires pour un 6-5, puis l’essai de l’estocade, derrière une mêlée, en se glissant comme une truite parmi les défenseurs français déboussolés. En première mi-temps, il s’était pourtant cassé le nez en plaquant Benoît Dauga, il avait alors laissé ses camarades à quatorze pendant un court laps de temps. Il ne fut pas question pour son coach de s’en séparer. Un coton, quelques sels à respirer et l’ouvreur reprit son poste pour continuer à composer son œuvre.

On a souvent pesté contre une forme d’injustice à l’égard de Barry John, une absence d’images vidéo éclatantes pour témoigner de l’étendue de son talent. "Oui, il dégageait une forme de modestie sur le terrain, il laissait penser qu’il n’allait rien se passer, puis tout à coup, il vous sortait une fulgurance…", se souvient Pierre Villepreux. L’arrière Toulousain avait 29 ans, il réfléchissait déjà sur le jeu : "Je voyais ces Gallois comme une équipe très complète évidemment, ils pratiquaient un excellent rugby de mouvement. Surtout, ils osaient exploiter leurs ballons… Ils n’avaient rien de frileux." Un jour, après un match du Tournoi alors que nous demandions des éclaircissement à un confrère plus âgé sur les secrets de ce Barry John, si peu gâté par la toile mondiale, l’homme nous avait lâché les chevaux de son inspiration poétique, sans même le secours des vapeurs d’alcool : "Il avait la grâce, il ne tenait pas le ballon. Il le portait, dans ses mains comme dans un berceau. On disait qu’il conduisait le ballon, c’était l’expression de l’époque, et qu’on ne savait jamais où il allait aller. Il ressemblait un peu à Yann Delaigue. À côté de lui, les autres étaient des gymnastes, lui à un danseur étoile." Les mots nous reviennent à chaque retour à Cardiff devant les portes de l’Angel Hotel. On le confesse, sur le coup, l’essai de Barry John nous a interpellé pour autre chose, la façon dont le mêlée galloise subtilisa le ballon au talonnage à sa vis-à-vis (à l’époque, ça voulait dire quelque chose) et la manœuvre qui suivit, pivotement de légion romaine pour ouvrir l’espace aux attaquants. Le glissement de la truite Barry John dut beaucoup à la rapine du talonneur Jeff Young, professeur dans le civil.

Le sacre de 1971, fut incontestablement parisien dans sa conclusion mais dans la mémoire collective galloise, ce grand chelem est davantage corrélé à un autre souvenir. La victoire 19-18 à Murrayfield, quatre essais à deux, qualifiée sur le moment de "plus grand match de l’histoire du Tournoi", rien que ça. Ce match détint aussi le record mondial d’affluence, on a chiffré à 105 000 les spectateurs qui s’étaient serrés sur les gradins, au mépris de toutes les règles de sécurité qui surviendraient par la suite.

John Taylor et la transformation la plus cruciale de l’Histoire

Le chassé-croisé fut particulièrement haletant entre l’Écosse et le pays de Galles, sept fois l’avantage au score changea. Puis Gerald Davies l’ailier crocheteur marqua l’ultime essai., offrant une transformation en coin de John Taylor, à la 78e, Merci du cadeau car John Taylor était un troisième ligne chevelu et barbu, un vrai look de hippie ou d’activiste d’extrême gauche (qu’il était plus ou moins, assez militant pour refuser de jouer contre les Springboks). Il avait marqué le premier essai sur une combinaison répétée des dizaines de fois avec JPR Williams chez les London Welsh, feinte de l’arrière et service pour le flanker en soutien intérieur. "1971, fut l’année de mon meilleur rugby. J’étais gaucher alors avant le match on avait décidé de se partager les tirs au but avec Barry John, qui était droitier. Mais la vérité, c’est qu’il n’était pas encore un buteur spécialiste, JPR non plus ne pratiquait pas trop les tirs au but." En plus, Barry John s’était fait une commotion en marquant un essai. Les Gallois n’avaient plus le choix.

Ce n’est pas une légende Clive Rowlands l’entraîneur gallois, n’avait pas voulu voir ce dernier coup de pied. Il était reparti dans les vestiaires car il craignait d’être piégé par ses propres déclarations. Les journalistes l’avaient pressé de questions avant la rencontre : "Qui va taper les pénalités ?" Il avait répondu par bravade : "Les pénalités, je ne sais pas mais je sais qui va taper les transformations." Il voulait asséner que son équipe était taillée d’abord pour marquer des essais. Peut-être avait-il un rien sous-estimé l’Écosse, mais il avait fait un choix fort : construire une équipe dépourvue de buteur spécialisé. "Il y avait pourtant plein de bons buteurs pourtant au pays de Galles, mais pas en équipe nationale. J’étais trop émotif pour voir ce coup de pied, je n’en ai jamais vécu de plus décisif. Si une transformation a valu plus de deux points c’est bien celle-là."

John Taylor, anglais d’origine gallois, futur journaliste a raconté maintes fois ce coup de pied légendaire qui ouvrit une ère dorée. Sa joie contenue alors qu’il regagnait sa place entouré des guirlandes de papier toilette lancées par la foule. Rowlands aime toujours rappeler que sur les deux minutes restantes, les Gallois se sont procurés une dernière occasion. Ce grand chelem 1971 nous a marqués pour la vie, de quoi fut il le nom ? D’une génération exceptionnelle de joueurs assurément (un Gareth Edwards ou Barry John ne se fabriquent pas sur commande), d’une réflexion au cours des années 60 de quelques techniciens éclairés, Ray Williams, Carwyn James ainsi que le recours à une pratique à la limite de la légalité, le Squad System. Des entraînements, parfois sur des plages, en dehors de la préparation immédiate des tests. Léger prémices du professionnalisme. L’International Board aurait pu davantage sévir au nom de l’amateurisme, il s’abstint, pour la beauté du jeu.

Ce succès, 9-5, reste attaché aux trois personnalités les plus brillantes de ces années-là : JPR Williams, Gareth Edwards et Barry John.

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