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Bakary Meité : "Empêcher quelqu’un de parler, ça me choque"

  • Bakary Meité arrête sa carrière longue de seize ans.
    Bakary Meité arrête sa carrière longue de seize ans. Andre Ferreira / Icon Sport - Andre Ferreira / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Ce dimanche, il a joué avec la Côte d’Ivoire le dernier match d’une carrière longue de seize ans. Un parcours à part, qui lui permet une vision différente du rugby. "Son" rugby.

Vous avez joué, ce dimanche avec la Côte d’Ivoire, le dernier match de votre carrière. 37 ans, n’est-ce pas un peu jeune pour arrêter ?

(Rires) 37 ans, ce n’est pas tout jeune mais j’ai bénéficié d’avoir commencé le rugby très tard, à 22 ou 23 ans. Ça m’a permis de pousser jusqu’à 37 ans. Si j’avais commencé plus tôt, je ne serais certainement pas arrivé jusque-là.

C’était chouette le rugby.

— Baky Meïté (@therealbak) July 11, 2021

Comment êtes-vous venu si tard au rugby ?

J’ai découvert ce sport en participant à un tournoi universitaire, "Les Ovalies", à Beauvais. J’avais accompagné quelques potes, pour faire la bringue. Ils m’avaient dit : "tu vas voir, c’est dingue. Pendant deux jours, la fête ne s’arrête jamais." Et je m’étais éclaté ! Sur le terrain, en revanche, je ne connaissais pas vraiment les règles donc je faisais n’importe quoi. Qu’importe, athlétiquement, ça avait marché. En repartant, un de mes collègues, qui jouait à Drancy, m’a dit de le suivre pour quelques entraînements. Il m’a quasiment forcé. Il a bien fait.

À 37 ans, qu’est-ce qui faisait encore courir Bakary Meite sur les terrains ?

D’abord, la fraîcheur physique. Ma motivation, c’était de ne pas être ridicule sur le terrain. Ne pas faire l’année de trop, celle où tu deviens un poids pour l’équipe. Aussi, j’avais au fond de moi ce challenge de rebondir, après une année où j’avais très peu joué au Stade français (2017-2018). À l’époque, certains m’avaient conseillé d’arrêter le rugby. Je voulais prouver que je n’étais pas fini, que j’étais encore capable d’être performant.

Y’avait-il aussi une logique contractuelle, financière ?

Bien sûr, ça ne sert à rien de le cacher. Après ma saison au Stade français, je me suis inscrit pour la première fois de ma vie au chômage. Je n’avais plus rien. Ça a duré quelques semaines mais ça met une claque. L’opportunité offerte par Carcassonne m’a reboosté, j’avais envie de tout arracher. Soudain, j’ai retrouvé un emploi, une raison de se lever le matin. On remplit le frigo, on nourrit sa famille. Bien sûr que ça compte.

On honore souvent les "joueurs d’un seul club". Vous en avez connu huit. N’est-ce pas une richesse tout aussi grande ?

J’ai beaucoup d’admiration pour les mecs qui ne représentent qu’un seul club dans leur carrière. Quand je vois ce qu’accomplit "Fufu" Ouedraogo, je suis hyper-admiratif. Paul Boisset aussi, à Aurillac. C’est beau. Moi, c’est différent : j’ai bougé et j’ai été enrichi par tous mes passages. Je suis originaire de la région parisienne. Je l’ai souvent quittée pour le rugby, mais j’y suis toujours revenu. J’ai connu le rugby de ma région, de mon environnement. Aussi celui de la province et du sud de la France.

Sont-ils très différents ?

Clairement. Intrinsèquement, c’est le même sport. Tout ce qui gravite autour, en revanche… Quand vous jouez à Massy ou à Drancy, vous êtes anachronique. Si vous demandez à 100 personnes d’associer la banlieue à un sport, je ne suis même pas sûr qu’une seule réponde "le rugby". Pourtant, ce rugby existe bel et bien. Le comité d’Île-de-France est un des plus importants du pays. Mais il reste assez anonyme. Dans le Sud, c’est très différent. C’est un héritage, très ancré dans la culture locale

En 2011, à vos débuts en pro, qu’est-ce que cela voulait dire "être rugbyman professionnel" ?

J’ai vécu ce moment comme un basculement total. Mais ce n’était pas lié au rugby, plutôt à ma trajectoire.

Expliquez-vous.

Avant de m’engager pour Béziers, je jouais au rugby mais en parallèle, je travaillais la journée. J’étais conseiller clientèle en banque. Ma dernière saison chez les amateurs, je jouais à Massy mais j’avais gardé mon emploi bancaire à Orléans, où je jouais l’année précédente. Je faisais 200 km par jour : je bossais la journée à Orléans et je m’entraînais le soir à Massy. C’était dur, mais j’avais cet objectif de passer professionnel. Je voulais le faire avec Massy. J’acceptais les sacrifices que cela comportait.

Il a grandi sportivement aussi du côté de Massy
Il a grandi sportivement aussi du côté de Massy Amandine Noel / Icon Sport - Amandine Noel / Icon Sport

Et donc ?

Mon objectif était de monter en Pro D2 avec Massy, pour y signer mon premier contrat professionnel. Mais on a raté la montée de peu. Je me suis alors dit qu’il fallait faire la bascule sans attendre, passer pro et quitter le monde du travail. Si je ne l’avais pas fait à ce moment-là, j’aurais joué toute ma carrière en amateur. Et l’opportunité biterroise s’est présentée.

Vous avez finalement fait 10 ans chez les professionnels. Comment le rugby a-t-il évolué ?

Je n’ai pas vu de révolution. Quand j’arrive à Béziers, en 2011, la machine pro est déjà bien lancée. On s’entraînait tous les jours, il y avait déjà de la musculation tout le temps, l’argent était déjà bien arrivé dans ce sport.

Le rugby est-il plus dangereux qu’avant ?

(Il souffle) Oui, il faut être honnête. Tu vois des chocs qui te font tressaillir, sur le terrain ou devant ta télé. Avant, ça arrivait une ou deux fois par saison. Désormais, c’est tous les week-ends. Oui, c’est devenu violent et il y aurait certainement des choses à revoir, du côté des institutions, pour endiguer ce phénomène.

Aimeriez-vous que vos enfants jouent au rugby ?

J’y ai déjà réfléchi et ma décision est prise : c’est non. Mon fils a 4 ans, il fait du basket et pour lui, je ne me projette que vers le basket, un sport que j’adore aussi et que j’ai longtemps pratiqué. Pourtant, dans notre famille, tout le monde joue au rugby. Mon fils aussi adore ça. Mais j’ai peur pour lui. Je ne veux pas qu’il en fasse, c’est trop violent.

Le rugby est-il devenu un métier comme un autre ?

Je crois, oui. Difficile de le nier. Il y a la passion qui est là, pour l’extrême majorité d’entre nous. Celle de la pratique. Mais on peut être passionné par son métier, quel qu’il soit. Ce n’est pas vrai qu’au rugby. Ensuite, il y a les à-côtés : les négociations, les ambitions et les déceptions. Comme dans tous les métiers, ce n’est pas toujours la passion qui dicte les choix de carrière.

Votre liberté de parole détonne, notamment sur les réseaux sociaux. En 2021, peut-on encore tout dire dans le rugby professionnel ?

C’est quelque chose qui m’est venu naturellement. Je suis quelqu’un qui aime s’exprimer sur des choses qui me plaisent ou me choquent. J’ai aussi toujours aimé communiquer avec les gens, discuter avec les supporters.

Vous l’a-t-on reproché ?

Parfois, oui. Par exemple, il y a eu cet épisode à Béziers, avec Robert Ménard (en 2015, Meite avait publié une lettre ouverte à l’attention du maire de Béziers, Robert Ménard, sur ses propos concernant les migrants, N.D.L.R.). À l’époque, je n’avais pas voulu faire plus de vagues, j’avais apaisé les choses en disant que le club ne m’en avait pas tenu rigueur. Dans les faits, c’était un peu différent. On m’avait clairement fait comprendre que quand je m’exprimais, je faisais grincer des dents et qu’il fallait que je me fasse un peu plus discret.

Et dans les vestiaires, chez vos coéquipiers ?

Certains collègues ne comprennent pas que je réponde à des supporters qui m’attaquent, sur les réseaux sociaux. J’aime bien répondre, discuter, comprendre les attaques et la vulgarité. J’ai reçu des choses du genre "joue à la baballe et ferme-la !". Moi, je considère qu’avant d’être un joueur de baballe, je suis un être humain. Avec sa conscience. J’ai le droit à la parole. J’en profite aussi parce que je n’ai pas la notoriété de certains. Je n’ai pas d’annonceurs qui me suivent et me paient. Ça me laisse de la liberté d’expression.

Le troisième ligne ivoirien aura évolué 3 saisons sous les couleurs biterroises
Le troisième ligne ivoirien aura évolué 3 saisons sous les couleurs biterroises Manuel Blondeau / Icon Sport - Manuel Blondeau / Icon Sport

Est-ce les joueurs, alors, qui s’autocensurent plutôt qu’une omerta systémique ?

Non, pas seulement. Il y a toujours ces histoires de devoir passer par la communication du club, quand on veut s’exprimer ou donner une interview. Ça m’a toujours surpris, de devoir demander la permission de parler. J’ai vu récemment toute la polémique autour de la communication du XV de France. J’avoue que j’ai été assez choqué de voir qu’un joueur doit demander la permission de s’exprimer, alors même quand il est dans son club. Je trouve ça dingue. Il y a une loi. Certes, il y a un employeur qui vous paye et il faut de la loyauté envers lui. Mais il y a des limites. Empêcher quelqu’un de parler, ça me choque.

En 2017-2018, vous signez au Stade français, pour votre seule expérience en Top 14. Mais vous jouez très peu et l’aventure se termine après une saison seulement. La marche était-elle trop haute ?

Honnêtement, non ! (il soupire) Il y a des choses que tu ne maîtrises pas, quand tu es joueur. Quand je suis arrivé, il y a eu un changement de staff et le nouveau ne m’avait pas choisi. Nous étions plusieurs dans ce cas. L’entraîneur de l’époque a décidé de ne pas me faire jouer, quoiqu’il arrive.

Cela vous a-t-il été justifié ?

Non. C’était dur. Le Stade français, j’étais archi-fan. Jouer pour ce club, c’était un rêve de gosse. Mais la direction de cette époque était catastrophique. Nous étions un certain nombre dont ils ne voulaient pas. Ils ont créé un "loft", comme on dit au foot, où étaient regroupés tous les indésirables. Ils nous donnaient des horaires d’entraînements différents du reste du groupe, afin qu’on ne les croise pas et qu’on ne leur parle pas. C’était dingue.

Le rugby d’aujourd’hui, c’est aussi cela ?

Il faut croire, oui.

Qu’avez-vous fait ?

Je me suis remis en question. Je me suis d’abord dit que je ne faisais pas bien les choses. Le club me faisait jouer en Challenge européen, une compétition qu’il voulait balancer. Manque de pot pour eux, malgré un gros accroc au premier match - une défaite en Russie - on s’est qualifiés. Le club ne l’avait pas prévu. En quart de finale, à Pau, ils ont remis tous les mecs qui jouaient habituellement en Top 14. Mais pas seulement.

C’est-à-dire ?

Il y avait une hécatombe en 3e ligne. C’était déjà arrivé dans la saison et dans ces cas-là, ils préféraient faire reculer un 2e ligne à mon poste, plutôt que de me faire jouer. Là, c’était pire : je n’étais pas dans le groupe et à un moment du match, c’est le pilier italien Cittadini qui jouait 3e ligne. Je veux bien qu’on me considère comme le plus mauvais des 3e ligne, mais faire jouer un pilier à mon poste… Bon… Clairement, mon cas dépassait le cadre du rugby et des performances. Une histoire de contrat ? D’agent ? Je n’en saurai sûrement jamais rien.

Hors micro, la direction de l’époque faisait savoir qu’elle vous reprochait du prosélytisme religieux, au sein du vestiaire. Vrai ?

Hein ?

Vous ne le saviez pas ?

(Il explose de rire) Mais vous êtes sérieux, en plus ? C’est pas une blague ?

Non…

Je m’attendais à tout sauf à ça ! C’est l’excuse la plus bidon du monde !

C’était pourtant la justification avancée, notamment auprès de Sekou Macalou…

C’est grotesque ! Sekou, je le connais depuis Massy et c’est comme mon petit frère. Mais il est dans la vie comme sur le terrain : c’est un électron libre. J’avais la chance de le connaître depuis longtemps, d’avoir sa confiance et son oreille. On échangeait beaucoup, c’est vrai, alors même que Sekou faisait partie de ces joueurs avec qui je ne devais pas parler, puisque je faisais partie du "loft".

Et le religieux ?

Encore une fois, c’est grotesque. Je considère la religion comme quelque chose de très personnel. Mes coéquipiers ne savent pas toujours que je suis musulman et quand ils l’apprennent, ils sont souvent surpris. Parce que je n’en fais absolument pas l’étalage. Si on me pose la question, je le dis. C’est tout.

Bakary Meité est passé par Carcassonne, club où il a terminé sa carrière.
Bakary Meité est passé par Carcassonne, club où il a terminé sa carrière. Icon Sport - Icon Sport

En 2021, le fait religieux est-il facilement accepté dans un vestiaire de rugby ?

Je n’ai jamais eu de problème de ce côté-là. Mes clubs ont toujours fait en sorte que j’ai la possibilité de ne pas manger de porc, à l’hôtel, et qu’il y ait une alternative. Ça n’a jamais posé aucun problème avec mes coéquipiers. C’était plutôt de la curiosité, comme pendant la période du ramadan. Les mecs trouvaient dingue que je m’entraîne sans boire ni manger. Mais ce n’est jamais allé plus loin que cette curiosité.

Vous êtes un enfant de l’immigration ivoirienne et vous avez choisi de terminer votre carrière sous les couleurs de la Côte d’Ivoire. Une opportunité sportive ou symbolique ?

Clairement, c’est très symbolique pour moi. Je l’avais prévu comme ça depuis longtemps. J’ai dit que ces deux derniers matchs avec la Côte d’Ivoire étaient les plus importants de ma carrière et je le réaffirme. J’ai fini ma carrière en club à Carcassonne, dans mon pays et ma ville d’adoption. Cela a été un moment très fort en émotions. Désormais, je termine ma carrière en Côte d’Ivoire, devant ma famille, sur la terre de mes parents. C’est une portée symbolique et émotionnelle très forte.

Dans votre parcours, qui aura compté ?

Je pense à Christian Labit, qui m’a relancé à Carcassonne. Je lui dois tant… Je pense à Jeff Dubois, qui m’a responsabilisé à Massy. À Xavier Blond, rencontré à Domont alors que je n’avais que 2 ou 3 ans de rugby derrière moi. Il me met capitaine et se démène pour me faire passer des tests au Racing 92. Ces gens ont compté dans ma carrière. Henry Broncan, aussi. On ne s’était rencontré que quelques fois, il ne m’a jamais entraîné. Quand il y a eu toute cette histoire avec Robert Ménard, il m’a envoyé un long texto, très touchant. Il me félicitait pour ma prise de parole. On s’était alors appelé, on avait échangé sur le côté aseptisé de mes camarades joueurs. Je pense enfin à Marc Dal Maso. Lui non plus ne m’a jamais entraîné mais il m’a suivi toute ma carrière. En Pro D2, quand j’avais le vent en poupe, il s’était mis en tête de me trouver un club en Top 14. C’est incroyable, des gens d’une telle bienveillance. Il n’avait rien à y gagner et pourtant, il appelait des présidents pour leur dire de me prendre. D’ailleurs, Marc, je ne savais rien de sa maladie. Je ne l’ai appris que récemment. Je lui ai envoyé un texto, lui souhaitant du courage. Il m’a rappelé, on a parlé une heure. Comme quoi, le rugby en 2021, c’est encore des rencontres incroyables.

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