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Joseph : « J'ai été fainéant, je me suis cru arrivé »

Par Marc DUZAN
  • Jordan Joseph espère gagner en temps de jeu cette saison.
    Jordan Joseph espère gagner en temps de jeu cette saison. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Il y a deux ans, Jordan Joseph était présenté comme le phénomène à venir du rugby français.  ce jour, l’ancien champion du monde moins de 20 ans ne s’est pourtant toujours pas imposé au Racing et revient, pour nous, sur sa récente remise en questions.

Le grand public vous connaît finalement peu. D’où venez-vous, Jordan ?

Je suis né à Garges-lès-Gonesse, dans le Val d’Oise. Et j’ai grandi à Sarcelles. À la maison, le rugby n’était pas le sport numéro 1. Chez moi, on était plus foot et, quand j’étais môme, je rêvais de devenir Cristiano Ronaldo.

Pas Messi ?

Non. J’ai plus d’admiration pour « CR7 » (le surnom de Ronaldo, N.D.L.R.).

Pour quelle raison ?

Certains réussissent grâce à leur talent sans avoir besoin de bosser. D’autres naissent avec moins de facilités mais travaillent très dur pour arriver où ils sont. […] Cristiano était loin d’être le plus doué quand il était petit. Au final, il est pourtant devenu l’un des meilleurs du monde, peut-être même le meilleur de l’histoire. Il a gagné toutes les grandes compétitions, marqué 700 buts… Je trouve ça inspirant.

Vous sert-il de modèle ?

Je n’irai pas jusque-là mais son histoire me touche, oui. Je me rends compte, au fil du temps, qu’il ne faut pas écouter les personnes qui te caressent dans le sens du poil. Le risque, c’est de se perdre en chemin. En clair, le travail t’aide à rester ancré dans la réalité.

Êtes-vous d’un naturel travailleur ?

À mon arrivée au Racing, j’ai été fainéant. Et je me suis cru arrivé, en quelque sorte. (il soupire) À la télé, les gens disent du bien de toi, te flattent, te montent… Mais tout ça, c’est du vent. Le sport est une éternelle remise en question. Même tout en haut, tu n’es jamais un produit fini.

Les médias se sont-ils un peu emballés à votre sujet ?

Peut-être (il marque une pause). Il y a eu tant de choses : le grand numéro 8 de l’équipe de France, tout ça… Pour l’instant, je ne joue même pas en club.

Vous avez joué vos premiers matchs en pro, au Racing, à tout juste 18 ans. Avez-vous souffert au niveau de la dimension physique, à ce moment-là ?

Sur les impacts, non. Mais le rythme, lui, était dingue. Lors des matchs de Champions Cup ou les grosses affiches de Top 14, tout allait trop vite. Contre Toulouse, Clermont ou Toulon, j’ai eu du mal à trouver mes repères. Les temps de récupération étaient comme divisés par deux, par rapport au championnat du monde des moins de 20 ans.

Avez-vous déjà souffert sur un plaquage, en Top 14 ?

(il éclate de rire) Oh oui… Josua Tuisova m’a marqué au fer rouge. Un jour, il m’a traîné sur dix mètres… Mais je n’ai pas lâché, hein !

Qu’est-ce qu’il vous manque, encore ?

Le mental. Avant toute chose, je dois être capable de savoir ce que je veux réaliser et, derrière, être prêt à accomplir les efforts nécessaires pour me hisser à ce niveau.

Et au-delà de la dimension psychologique, avez-vous d’autres axes de progression ?

À l’origine, le combat dans les rucks est un de mes points forts. Gratter des ballons est quelque chose que j’apprécie énormément. Avant, je me jetais dans chaque mêlée ouverte ; je mettais les mains même si je savais, au fond de moi, que je ne récupérerais pas le ballon. Mais en agissant ainsi, j’ouvrais aussi une porte en défense, je me consommais et je m’épuisais. Après ça, je n’avais plus de jus en attaque.

Avez-vous rectifié ?

Dimitri Szarzewski (l’entraîneur spécialiste de la défense au Racing 92) m’a aidé à gérer « Cible tes rucks. Il vaut mieux gratter deux ballons en ayant participé à trois rucks que cinq en ayant lutté sur quinze ! ça, c’est catastrophique ! »

Lors de la dernière demi-finale de championnat face à La Rochelle, alors que Yoan Tanga et Fabien Sanconnie étaient tous deux blessés, le staff du Racing a choisi de titulariser le vétéran Antonie Claassen en numéro 8. Comment l’avez-vous vécu ?

J’étais très déçu et c’est normal. Tout compétiteur réagirait de la même façon. Mais bon…

Quoi ?

Au cours de mes deux premières saisons au Racing, je réagissais mal. Quand je ne jouais pas, j’avais tendance à bouder, à rester dans mon coin, à ne rien faire, à ne parler à personne… Je lâchais, en quelque sorte…

On vous suit.

Je faisais la gueule et ne prenais pas de plaisir à l’entraînement. Je me disais que quoi que je fasse dans la semaine, je ne démarrerai pas le week-end. Mais ce n’est pas un comportement à avoir. J’aurais dû bosser trois fois plus et montrer au coach (Laurent Travers) ce que je valais vraiment. Ne pas jouer, ça me fait chier mais je vais tout faire pour que ça n’arrive plus.

Est-ce une sorte de déclic ?

Peut-être… Après la demi-finale perdue face à La Rochelle, la saison dernière, j’étais « Si tu ne veux plus jamais passer par ce sentiment-là, travaille, transpire et avance. »

Que vous dit Laurent Travers au sujet de votre jeu ?

Ça restera entre nous… Mais ces derniers mois, on a beaucoup échangé dans son bureau. Je pense avoir compris ce qu’il attend de moi et espère pouvoir enchaîner plus de matchs. Avec les autres jeunes, que ce soit Nolann Le Garrec (demi de mêlée) ou Max Spring (arrière), on peut amener notre petite touche à l’équipe.

Vous reste-t-il du contrat dans les Hauts-de-Seine ?

J’ai prolongé trois ans la saison dernière. Je n’ai pas d’agent. Mon frère et mon cousin me conseillent un peu. J’ai juste un conseiller financier.

Que faites-vous de votre argent ?

Je fais plaisir à mon entourage, mes amis et ma famille. Mon plaisir, c’est de leur faire plaisir.

Comment êtes-vous arrivé au rugby, au juste ?

Tous les ans, la ville de Sarcelles organise un immense tournoi de rugby inter-primaires (6 à 9 ans). C’est là que j’ai découvert ce sport. Ce jour-là, on avait perdu en demi-finale ; après le match, des éducateurs du club de Sarcelles m’ont invité à rejoindre l’école de rugby. Mais je n’ai pas donné de suite.

D’accord.

Un an plus tard, quand je suis entré au collège, je me suis immédiatement inscrit dans l’équipe de foot et le prof de sport m’a dit : « Le foot n’est pas fait pour toi, Jordan. Viens plutôt au rugby. »

Que répondiez-vous ?

« Je ne viendrai jamais, monsieur. Vous rêvez… » Un an plus tard, j’ai néanmoins cédé et commencé le rugby (il marque une pause). Le mercredi après-midi, alors que je pensais faire le tournoi UNSS de foot, le prof m’a dit : « Non, Jordan. Tu vas au rugby, aujourd’hui. »

Il a bien fait…

Oui mais sur le coup, je me disais : « Putain… Il casse les coui****… Il m’en veut, lui… » Au fil des victoires et des tournois, j’ai commencé à vraiment aimer le rugby. Quelques mois plus tard, j’ai pris ma première licence.

Et ensuite ?

Un jour où l’on n’avait rien à faire, deux potes m’ont dit : « Massy organise une journée de détection, tu viens ? » On est parti et j’ai été le seul à être recruté pour intégrer le centre de formation, l’année suivante.

Votre carrière était lancée…

Oui et non. J’ai beaucoup hésité avant de dire « oui » aux dirigeants de Massy. Je ne connaissais personne dans le club, j’étais bien à la maison, je pensais que tout ça ne servirait à rien. Mon grand frère m’a convaincu de tenter le truc.

Quel âge aviez-vous ?

J’avais 15 ans. Au final, j’ai passé là-bas quatre des plus belles années de ma vie… Ces mecs de Massy, que je ne voulais pas connaître au départ, sont devenus mes meilleurs amis…

Vous semblez pourtant ouvert, comme garçon…

Ça n’a pas toujours été le cas. Petit, je n’allais jamais vers les gens.

De qui tenez-vous ce capital génétique (1,90 m et 124 kg) assez hallucinant ?

(il se marre) C’est difficile à croire mais de personne : ma mère fait 1,20 m et mon père aussi.

Vous avez des racines haïtiennes, n’est-ce pas ?

Oui. À la maison, ma mère parle créole ; elle est née là-bas. Je ne suis encore jamais allé à Haïti mais cela fait partie de mes rêves. J’ai encore de la famille, là-bas. J’ai envie de voir à quoi ça ressemble, au-delà des photos et des vidéos que maman m’envoie tous les ans.

Qui sont vos modèles au poste de numéro 8 ?

Billy Vunipola et Toby Faletau sont deux très grands joueurs. Mais pour moi, le maître reste Steffon Armitage. À l’époque du grand Toulon, il était simplement hallucinant. C’est lui qui m’a donné la passion du ruck. Ado, je regardais tous ces «highlights»(meilleurs moments) sur Youtube. Je me disais : « Il est incroyable, ce mec… Putain, il est vraiment trop fort… »

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