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Jean Carrère : Pourquoi ce parcours nous fascine

Par Jérôme PREVOT
  • Ci-contre, Jean Carrère est alors entraîneur de Narbonne, à la mi-temps du seizième de finale du 24 février 1974, Narbonne-Lourdes (9-6) .
    Ci-contre, Jean Carrère est alors entraîneur de Narbonne, à la mi-temps du seizième de finale du 24 février 1974, Narbonne-Lourdes (9-6) . Collection personnelle - de Jean Carrère
Publié le Mis à jour
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 Ancien troisième ligne du XV de france - À 92 ans, il est un des plus anciens internationaux. Retour sur un parcours unique dans le rugby français, du sport à la politique.

Nous avions hâte de le rencontrer dans son pavillon d’Argelès sur Mer car on nous avait souvent parlé de Jean Carrère, comme une figure méconnue. Sa trajectoire fut pourtant si riche : joueur puis entraîneur de premier plan, élu local bâtisseur. À 92 ans, il est désormais l’un des plus anciens internationaux vivants. Sa notoriété a sans doute souffert de son homonymie avec Christian Carrère, le capitaine du Grand Chelem 1968. Il y eut même un troisième Carrère, André vedette du rugby à treize dans les années 60. Mais il méritait bien un coup de projecteur sur sa carrière hors norme


Il aurait pu se faire assassiner en tournée
Jean Carrère aurait pu entrer tragiquement dans l’Histoire. Lors de la tournée 1960, en Argentine, au cours d’une soirée d’après match, il reçut un coup de revolver, fait unique dans l’histoire des Bleus. « Après le premier test à Buenos Aires nous sommes partis en boîte de nuit. Nous sommes arrivés au moins à 20 à 4 heures du matin. Le patron nous a dit : « On va fermer, mais il reste deux filles ici, des prostituées, il faut les faire danser. On n’a pas voulu s’en occuper. Mais on voulait rester. Le patron nous a dit : « Dehors ! Fuera, Fuera ! » Mais on a continué à avancer vers l’intérieur de la boîte. Le gars a pris peur, il a sorti un pistolet et il a tiré. La balle a traversé mon pied. Je me suis retrouvé plâtré à l’hôpital en Argentine et j’ai manqué le reste de la tournée. Finalement ce n’était qu’une éraflure, même si la balle est restée coincée dans ma chaussure, la police l’a saisie d’ailleurs pour les besoins de l’enquête. »


Il a connu des clubs très contrastés
On le pensait Catalan pur sucre et totem historique de l’Usap, alors qu’il n’a jamais porté cette tunique avant l’âge de 34 ans. Il avait débuté dans son village à Pollestre, où son père était instituteur. Mais son premier club de haut niveau, ce fut le PUC, la bande des farceurs parisiens capables de se hisser trois fois en demi-finale en 47, 55 et 68 en multipliant les canulars. « Je suis monté à Paris pour faire l’ENSEP (Ecole Normale des Sports et de l’Education Physique) et devenir professeur d’éducation physique. Après trois matchs en première au PUC, j’étais sélectionné pour un Paris-Londres. Au PUC, j’ai côtoyé Pierre Charpy, futur célèbre chroniqueur politique, il distribuait sévèrement. Il formait une sacrée paire en deuxième ligne avec Louis Adami, futur médecin. À mes débuts, ils m’avaient promené quasiment nu dans les rues de Vienne, comme si j’étais mort…. » On multipliait les facéties.

 

Lors du 16e Graulhet-Usap (11-8) joué à Narbonne. L’ailier tarnais Christian Rouch se retrouve sous pression catalane.
Lors du 16e Graulhet-Usap (11-8) joué à Narbonne. L’ailier tarnais Christian Rouch se retrouve sous pression catalane. Collection personnelle - de Jean Carrère


Son diplôme de « prof de gym » en poche, il reçut sa nomination pour Thiers dans le Puy de Dôme. Il découvrit alors que le rugby des fiefs de province n’obéissait pas aux mêmes codes que celui des joyeux lurons parisiens. « Au PUC, je ne touchais pas un sou. J’ai même dû demander à mon père de me prêter 30 000 francs pour faire une tournée à Madagascar. À Paris, nous étions envieux des gars du Racing qui pouvaient aller manger quand ils voulaient au club, nous n’avions même pas ça. À la fin de mes études, deux clubs m’avaient contacté, Clermont et Vichy. J’ai choisi Vichy car on m’a donné un quart de million, 250 000 francs, l’équivalent d’un an de salaire. J’y ai passé trois saisons, je jouais avec Guy Ligier, futur patron de l’écurie de Formule 1. Puis les dirigeants m’ont proposé une 203 d’une valeur de 500 000 francs pour que je reste là-bas jusqu’à la fin de ma carrière. J’ai dit oui. Mais sur ce, Toulon m’a contacté, ça m’a séduit car ce club et cette ville m’avaient toujours attiré. J’ai dit oui au président du RCT, mais à condition qu’il rembourse la 203 au club de Vichy. » Il resta sept ans dans le Var. Et guida les premiers pas d’un jeune avant, nommé André Herrero. « Il est resté un ami ».


Il a été profondément marqué par la tournée de 1958
Cette tournée de 1958 en Afrique du Sud fut le fait marquant de sa carrière. « Nous n’avions pas d’entraîneur. Lucien Mias s’occupait des avants, Roger Martine des trois quarts. Pour ma part, je m’occupais de la condition physique avec Raoul Barrière. Nous n’avions qu’un accompagnateur, Serge Saulnier plus un journaliste, Denis Lalanne qui nous a suivis de bout en bout. Je crois que le rugby français a commencé à changer après cette tournée. Nous avons beaucoup travaillé entre nous, et nous sommes revenus riches de toutes ces réflexions avec deux personnalités : Lucien Mias et son fameux « demi-tour contact » et Roger Martine pour les attaques.
En Afrique du Sud, le rugby représentait tellement. On nous faisait parler dans de grandes réunions pour parler de la France et de Paris. Il y avait aussi des filles si jolies et j’étais célibataire. J’ai aussi vu l’apartheid, mais comme j’étais brun et mat de peau. Les Noirs venaient vers moi. Ils me prenaient pour un métis.


Il a entraîné le Grand Narbonne
J’ai vécu comme entraîneur la finale perdue de 1974 face à Béziers avec les frères Spanghéro, Jo Maso et François Sangalli, une grande déception, même si ça reste un bon souvenir. J’ai connu la meilleure période de Narbonne, c’est vrai mais je garde un sentiment de regret. C’était l’époque où le rugby commençait à devenir vraiment collectif, les Gallois maîtrisaient la notion de soutien. J’aurais aimé travailler plus dans ce sens mais nous nous entraînions trop peu.

Rendez-vous compte, nous avions des internationaux, nous jouions le titre et nous ne nous entraînions qu’une fois par semaine. Il y avait deux séances, mais à la première, tout le monde ne venait pas. En plus, elle était consacrée au physique. Sur le plan tactique, finalement, nous ne travaillons pas grand-chose. J’ai essayé de faire jouer le troisième ligne Gérard Viard au centre. J’avais imaginé qu’il pouvait crée une fixation et qu’on pourrait le soutenir et jouer autour. Mais cette solution a heurté les autres joueurs qui aimaient le « beau jeu », Jo Maso n’était pas fait pour le soutien, il préférait avoir les adversaires au loin pour pouvoir le travailler. Le rugby était en train de changer, il se jouait de plus en plus près de la défense adversaire. Et je pense que j’aurais pu faire plus pour m’y adapter. Je me rends compte qu’en fait on ne s’entraînait presque pas. Moi comme technicien, je n’avais même pas de magnétoscope. Je prenais des notes à la main et voilà tout.

 


Il fut un maire bâtisseur
J’étais revenu à Argelès où j’entraînais les juniors. Voilà que Gaston Pams, le sénateur-maire d’Argelès me demande de rentrer au conseil municipal comme adjoint aux Sports et à l’Education. Trois ans après, il meurt. Le premier adjoint le remplace pendant un petit laps de temps. Puis je me suis présenté et j’ai été élu. Une nouvelle vie a commencé, elle m’a beaucoup plu. J’ai fait trois mandats, j’ai aussi été conseiller régional et je me suis présenté sans succès aux sénatoriales.

Je crois que j’ai transformé Argelès, j’ai géré le développement du tourisme, j’ai construit le port, la zone industrielle, le lycée l’augmentation de la population. Mais à mon époque, nous étions très aidés par l’État. Est-ce que l’univers de la politique m’a paru différent de celui du rugby ? Le monde de la politique fut plus décevant. En sport, on voit tout de suite qui est bon, on le voit, on le fait jouer, on peut lui faire confiance. En politique, il y a tellement de choses qui jouent en dessous qu’on ne sait pas qui est bon ou pas bon. On est pris par la politique. Mois j’ai vu plein de gars qui ne pesaient rien du tout devenir députés, presque ministres alors que ce n’était pas des cracks. En 2001, après trois mandats. J’ai décidé de laisser ma place.

Lors d’un récent reportage chez lui.
Lors d’un récent reportage chez lui. Midi Olympique


Il a refusé la montée de son propre club
Paradoxe ultime, en 1996, le maire Jean Carrère s’est opposé à la montée du club de sa ville dans l’Elite. L’Étoile Sportive Argelésienne était entraînée par Pierre Aylagas avec Thomas Lièvremont dans ses rangs. « Je suivais tous les matchs, même à l’extérieur. Oui, j’ai dit qu’il ne fallait pas monter. Je savais que ça aurait coûté. Je me suis fait des ennemis, mais mon statut d’international me donnait du poids. Il faut comprendre que le Argelès de l’époque n’était pas aussi riche que maintenant. Nous n’aurions pas pu donner aux joueurs ce qu’ils demandaient, sous la table. J’avais vu tous les problèmes que ça posait à Toulon et à Perpignan car j’étais ami avec mes présidents. Pierre Alagas n’était pas très content, c’est sûr. Mais avec le recul, je pense que c’était la bonne décision. D’ailleurs la population d’Argelès l’a très bien compris. » Ironie du sort, en 2001, il fut remplacé à la mairie par… Pierre Aylagas.


Il reste un analyste aiguisé du rugby
Quand je fais le bilan. Je me dis que j’ai vu le rugby évoluer vers toujours plus de sens collectif. Ne vous y trompez pas, le rugby que j’ai connu dans ma jeunesse était très individuel. À moi, on me disait de monter sur l’ouvreur adverse, c’est tout. « Fais ce que tu peux, » c’était la consigne. Après nous avions découvert qu’il fallait tous monter en ligne, tout a évolué comme dans ce sens, celui des idées de René Deleplace. Il est sûr que le FC Lourdes de Jean Prat avait compris quelque chose avant les autres…


Il fut le mentor de Jo Maso
À deux ans près (NDLR, les dernières, 76-78), Jo Maso n’a connu que moi comme entraîneur en première division : à Toulon, à l’USAP et à Narbonne. Je l’ai fait signer à Toulon, il était étudiant au CREPS de Boulouris, je lui faisais d’ailleurs réciter ses leçons. Je me souviens de lui avoir fait réviser son cours sur « l’omoplate. ». Il m’a suivi à Perpignan et quand on m’a limogé, il a voulu me suivre à Narbonne. Il a toujours eu du talent, au début, il abusait des crochets intérieurs, une manière treiziste, puis il a appris en observant les Boniface à jouer sur les extérieurs. Mais c’est un homme formidable, avec une telle classe.

Il a volontairement sabordé sa carrière internationale
« Je n’ai connu que neuf sélections. J’ai fait une bêtise. En revenant d’Argentine, j’ai écrit à la FFR en disant que je ne voulais plus jouer. J’avais peur de ne pas pouvoir continuer avec mon pied blessé, j’étais aussi déçu de ne pas avoir été sélectionné pour le premier test. Je le regrette évidemment. Sans ça, je pense que j’aurais par exemple pu jouer le « match des matchs » France-Afrique du Sud en 1961. »

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