L'édito : tous Nadal

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L'édito du vendredi par Léo Faure... La polémique de la semaine sportive est née dans un sourire. Presque une boutade. Dimanche dernier, Rafael Nadal s’appropriait un peu plus encore l’ocre de Roland-Garros, pulvérisait encore la concurrence et paraissait alors repousser un peu plus loin les limites de l’humain. Une quatorzième Coupe des Mousquetaires. À 36 ans. "Extraterrestre", le jeu de mots a été usité mille fois. On ne croyait pas si bien dire.

Et la boutade, donc. À la question de l’ancienne joueuse australienne Barbara Schett "combien d’injections as-tu reçu pendant le tournoi ?", Nadal s’esclaffait : "C’est mieux que tu ne saches pas." C’est drôle, certainement. Sur le moment. Passé l’empressement, le temps pris du recul, c’est tout sauf drôle.

Il y a d’abord la question éthique. Celle de la frontière du dopage. Lesdites injections sont-elles une amélioration artificielle, pharmaceutique de la performance ? Ou simplement l’apaisement temporaire d’une douleur, pour rendre possible la performance ? Vous n’aurez pas quatre heures pour répondre au sujet, puisque les instances elles-mêmes n’ont pas tranché. En matière de dopage, le recours à des infiltrations - autrement dit des anesthésies locales - est illégal en cyclisme, légal dans beaucoup d’autres sports. Dont le tennis. Dont le rugby.

Notre sport n’y échappe pas. Les fioles de lidocaïne ou de corticoïdes, généralement utilisées dans ce cas de figure, n’étonnent plus personne dans les vestiaires de rugby. On les trouve avant les matchs, dans les pharmacies des docteurs. On trouve aussi ces fioles après les matchs, percées et vides dans ces poubelles jaunes en dur, destinées à accueillir les déchets dits "Dasri" (Déchets d’activités de soins à risques infectieux). Les seringues usagées sont aussi là.

Ici, nous ne dénonçons aucune pratique dopante. Il faut le dire, puisque la législation antidopage en vigueur ne le considère pas comme tel. On laissera à chacun sa morale, et ce qu’elle indique de telles pratiques. Une certitude, en revanche : celles-ci laisseront des traces sur les corps et les vies de ces athlètes. Une balafre intérieure, immuable.

Le pied anesthésié, Nadal a effectivement pu gagner un tournoi que, sans infiltration, il n’aurait certainement pas pu disputer. L’écart est grand, en termes de performance. Qu’en gardera-t-il, demain ? Un quatorzième titre, c’est sûr. Mais aussi une diminution, à vie, de ce pied blessé, malade et que pourtant, n’écoutant pas son corps, il a choisi de solliciter à de grandes intensités. Quitte, pour cela, à l’endormir. À les faire taire artificiellement, lui et sa douleur.

Dans d’autres sports, dont le rugby, la pratique est commune et les conséquences seront identiques. Nombre de joueurs ont déjà témoigné de leur carrière brisée par la surutilisation des infiltrations. Et la cascade de blessures qui en a découlé.

Ils sont également nombreux à avoir raconté ce corps meurtri, brisé un matin au saut du lit, inapte à la marche pendant une bonne heure quand la veille, en match et sous l’effet des infiltrations, ce même corps semblait pareil à l’armure de Goldorak : invincible.

Ce mal, Pita Ahki vous le raconte aussi, un peu plus loin dans ce journal. En toute franchise. Depuis trois ans, le Néo-Zélandais s’est imposé parmi les meilleurs centres de la planète. Avant cela, il a connu des blessures, et des graves. Il en garde les meurtrissures. "Je marche doucement quand je sors du lit ! Mes deux filles essayent de me solliciter mais je leur dis : "Laissez un peu papa tranquille, on jouera plus tard" (sourire). Je prends beaucoup de médicaments et je fais beaucoup de massages, de kiné." Avant de banaliser. "C’est ça aussi, le rugby. Je crois que de nombreux autres joueurs vivent la même chose. Ce n’est pas idéal, mais c’est le moyen que j’ai trouvé pour être prêt chaque week-end, pour le match." Même en pleine conscience, le prix à payer pour les joueurs est élevé. Et inquiétant.

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