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Rétro - Il y a 60 ans, Béziers était sacré champion d’Europe, une première pour un club français

Par Dorian VIDAL
  • Le 24 juin 1962, Béziers devenait le premier club français à être sacré dans une coupe d'Europe.
    Le 24 juin 1962, Béziers devenait le premier club français à être sacré dans une coupe d'Europe. Archive Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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Le 24 juin 1962, Béziers devenait le premier club français à remporter un titre européen. 60 après, retour sur ce sacre singulier, obtenu après un déplacement rocambolesque jusqu'en Roumanie. 

C’est un trophée que l’on aurait presque oublié. L’une de ces Coupes obscures du siècle passé, qui ne restent dans les mémoires que de ceux qui les ont vécu, ou en ont eu vent par l’héritage familial. Il y a tout juste 60 ans se disputait la première compétition européenne de clubs de l’Histoire du rugby, nommée Coupe d'Europe des clubs champions FIRA. Fédération montée par la France pour tenter d’exister en-dehors de l’emprise des Anglo-Saxons, la FIRA essayait alors de développer le rugby dans les nations voisines.

Ici, donc, pas d’équipes anglaises ou irlandaises. Il était bien trop tôt pour ça. Le format mettait plutôt aux prises des équipes venues de nations dira-t-on « mineures » du rugby européen (Belgique, Allemagne, Pays-Bas…), la meilleure de ces formations affrontant le champion de France de la saison précédente en finale. Et alors que l’on s’indigne aujourd’hui de l’arrivée de l’Afrique du Sud en Champions Cup, on note que même une formation marocaine (!), l’ASPTT Rabat, était invitée à l’époque.

La Roumanie de l’époque avait une véritable importance dans le rugby.

Finalement, avec les équipes françaises, seuls les clubs roumains pouvaient alors faire figures d’épouvantails. Avec son paquet d’avants féroce, la sélection nationale était en effet bien plus rude qu’aujourd’hui. « La Roumanie de l’époque avait une véritable importance dans le rugby. Les matchs de l’équipe de France contre la sélection étaient d’ailleurs très serrés », assure David Wozniak, historien du sport. En 1960, les Bleus de François Moncla avaient même succombé dans la capitale roumaine.

Autant dire qu’en se coltinant le Grivita Rosie Bucarest en finale de Coupe d’Europe, le dimanche 24 juin 1962, l’affaire était loin d’être pliée d’avance. Le club est alors composé d’une grande partie de l’ossature de la sélection. Au total, huit internationaux garnissent les rangs de cet adversaire aussi coriace que méconnu.

De son côté, Béziers non plus n’est pas en reste. Le club vient de disputer une magnifique finale de championnat de France - certes perdue - contre Agen, un an après son sacre national. Entraîné par le très pédagogue Raymond Barthès, le jeu biterrois pose alors les bases de ce qui fera le succès de l’équipe, lors des années prolifiques du « Grand Béziers » de Raoul Barrière. Barthès change le visage de ce XV, en faisant un nouveau poids lourd du rugby français, mettant à mal ses adversaires à coups de mêlées désaxées, de petits jeux au pied, et de demi-tour contact, à l’époque drôlement innovants.

La préparation biterroise tronquée

Dans sa thèse sur l’histoire de l’ASBH, David Wozniak reprend d’ailleurs les propos de Pierre Danos, capitaine du sacre européen : « Raymond Barthès est partisan d’un rugby de mouvement. Entendons bien, rugby de mouvement ne voulant pas dire, rugby des lignes arrières ; nous pensons qu’étant possesseurs de la balle, il nous appartient de la faire circuler : soit devant, soit derrière, de façon à provoquer le trou, le surnombre des attaquants, soit à grouper le maximum de défenseurs dans un point déterminé du terrain, pour alerter alors nos lignes arrières. »

Mais le mouvement n’est rien sans la forme. Or, les Biterrois n’arrivent pas au meilleur de leurs possibilités physiques et mentales à Bucarest, lieu de la finale. Après avoir laissé échapper le Brennus fin mai, ils sont étrillés par Lourdes en finale du Challenge Béguère, une semaine seulement avant l’échéance européenne. Pas terrible, donc. Pour couronner cela, le voyage vers le traquenard roumain n’est pas de tout repos.

Après avoir mangé dans un restaurant situé entre Béziers et Narbonne, quelques jours avant le match, les joueurs subissent une terrible intoxication alimentaire. La préparation est perturbée. Le grand Raoul Barrière lui-même mettra du temps à s’en remettre, devant d’ailleurs déclarer forfait pour la finale. Une fois sur place, le piège se précise. Fait rare, le match se joue d’abord le matin. 

Le traquenard roumain...

Ensuite, le mercure affiche 40 degrés. La chaleur est étouffante, les conditions de jeu difficiles. Bref, un vrai traquenard à l’ancienne. D’autant que le jeu de l’équipe roumaine n'est pas vraiment fait de grandes envolées. C’est un combat rapproché, minimaliste et à couteaux tirés qui attend les Héraultais dans l'Est.

En dépit de cela, au petit jeu de la guerre d’usure imposé par les terribles Roumains, l’ASBH est la plus forte. Dans le sillage de son talonneur Émile Bolzan, et de son deuxième ligne sauteur Jean Salas, dont on dit d’eux qu’ils firent une partie formidable, Béziers chahute Bucarest, devant près de 20 000 spectateurs massés dans l’enceinte du Stade Dinamo. Avec leur demi de mêlée Danos à la baguette, les Biterrois dominent une rencontre au score serré (6-3). L’écart véritable ne se fait que dans les dix dernières minutes, grâce à un essai du très vif Spagnolo, lancé dans le fermé par Gensane et Danos (11-3), confirmant l’assise des avants.

Un trophée perdu durant le déménagement

Selon le coach Barthès, le huit de devant héraultais avait quasiment touché la perfection ce jour-là. « Il aurait fallu une super-équipe pour priver Béziers de son succès en finale de coupe d’Europe », écrivait Midi Olympique au lendemain du triomphe héraultais. Ainsi, Béziers devenait le premier club champion d’Europe de l’histoire, dans une compétition aujourd’hui oubliée. 

La Coupe d'Europe des clubs champions FIRA, premier sacre européen d'un club français : Béziers.
La Coupe d'Europe des clubs champions FIRA, premier sacre européen d'un club français : Béziers. Photo ASBH

Pour l’historien David Wozniak, « cet exploit a été mal considéré. D’abord en raison de sa date, le 24 juin 1962, ce qui fait qu’il n’a pas été couvert par beaucoup de journalistes. Et aussi parce que cette épreuve était totalement inédite. »

Pourtant, la performance, certes pas de la mesure des sacres en Champions Cup d’aujourd’hui, n'est pas à minimiser. Lors des trois éditions qui suivirent, les grands noms du rugby français que sont Grenoble, Mont-de-Marsan et Agen furent terrassés en Roumanie par les clubs locaux, décidément bien coriaces.

De quoi donner un peu plus de valeur à un titre ayant offert aux joueurs une jolie coupe en cristal. Avec le changement de stade de l’ASBH en 1989 (passant de Sauclières à Raoul-Barrière), cette dernière a toutefois totalement disparu de l’armoire à trophée héraultaise. Comme oubliée, en quelque sorte. Pour le rugby français, elle n’en demeure pas moins le symbole d'une grande première. 

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Les commentaires (1)
Dr_moka Il y a 1 année Le 25/06/2022 à 18:43

Merci pour ce rappel, déjà pour les acteurs eux-mêmes que beaucoup d'entre nous non pas connus, mais aussi pour notre histoire collective, laquelle a grandement besoin d'être respectée.
ave caesar morituri te salutant auteur
DrCM