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Série - Dans la tête d'un buteur 2/2 : les coups de grâce

  • Dimitri Yachvili avait été le héros de la France en 2004 face aux Anglais en passant dix-huit points au pied. Dimitri Yachvili avait été le héros de la France en 2004 face aux Anglais en passant dix-huit points au pied.
    Dimitri Yachvili avait été le héros de la France en 2004 face aux Anglais en passant dix-huit points au pied. MIDI-OLYMPIQUE - JOSE NAVARRO
Publié le Mis à jour
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Tous les buteurs ne rêvent que de ça : de la réussite optimale, du 100 % et du coup de pied de la victoire. Pour en arriver là, il faut des centaines d’heures de travail et un mental de plomb. Plusieurs champions du but nous confient leurs trucs et évoquent ces moments rares où ils sont comme en apesanteur.

« Depuis tout petit, tu t’imagines passer la pénalité de la gagne. Tu t’es projeté tant de fois dans cette scène. Mais quand tu la vis, dans un stade plein et avec tes partenaires autour, tout est décuplé. » Huit ans après avoir donné le dernier coup de pied de sa carrière, Dimitri Yachvili frissonne encore de cette sensation unique propre aux buteurs : pouvoir donner la victoire aux siens. « C’est jouissif : par une seule action, tu rends heureux tes coéquipiers, tes supporters, ton club, sourit l’ancien demi de mêlée devenu consultant pour France Télévisions. Et individuellement, ce n’est pas de l’égoïsme mais il y a le bonheur de voir tout le travail fourni en amont récompensé, tous ces milliers de coups de pied… Cette décharge d’adrénaline à l’instant où le ballon passe entre les perches à la fin, il n’y a rien qui peut l’égaler. »

Yachvili : « Cette décharge d’adrénaline à l’instant où le ballon passe entre les perches à la fin, il n’y a rien qui peut l’égaler. »

Parmi tous ses accomplissements, le « Yach » garde précieusement ces moments rares dans un coin de la tête : « La finale du championnat de France en 2005 (37-34 pour Biarritz contre le Stade français, N.D.L.R.) avait tourné au mano a mano avec David Skrela. Je marque vingt-neuf points ce jour-là. J’avais presque l’impression d’être au football américain tant j’attendais le coup de pied suivant. À quatre ou cinq minutes de la fin de la prolongation, notre pack emporte une mêlée et je me retrouve avec une pénalité de cinquante mètres à tenter. J’étais cuit, mâché, avec le stress qui pompait ce qu’il me restait d’énergie. Mais j’ai fait ma check-list, je me suis élancé et elle est bien partie, plein milieu. Ce n’était pas encore fini mais ça m’avait donné un de ces coups de boosts pour terminer la partie. Celle-là m’a marqué, peut-être plus que les autres. » Ces grands moments, ceux qui font et défont des palmarès, appartiennent aux grands joueurs. Aux fortes têtes : « Le but, c’est 90 % de mental et 10 % de technique, estime l’international aux 61 sélections, quatrième réalisateur de l’histoire du Top 14 avec 2 304 points. Encore plus quand c’est la dernière frappe du match. Entre taper un coup de pied de 40 mètres à l’entraînement et un autre, à la 80e minute, dans un grand stade, ça n’a rien à voir. Tes coéquipiers ne te disent rien mais tu sens dans les regards qu’ils te disent : « Put…, il faut que tu la mettes » , tu as les adversaires qui cherchent à te déstabiliser comme ils peuvent, le public qui met la pression, la fatigue qui s’ajoute, l’enjeu aussi… Ça fait un gros sac à dos émotionnel. Il faut tout faire pour qu’il ne devienne pas un poids. Et que tu tapes le plus normalement du monde. »

« J’avais envie de dire : regardez-moi »

Quand sonne l’heure de vérité, chacun a ses petites méthodes et ses grands principes pour accomplir sa mission : « Quand je me regarde buter, j’ai l’impression de voir quelqu’un d’autre, j’étais presque comme un robot, décrit l’ancien maestro du BO, accompagné tout au long de sa carrière par Jean-Michel Larqué. J’étais même devenu comme ça au quotidien. C’était ma manière d’être. Quand la pénalité arrivait, je faisais en sorte qu’il n’y ait plus que des ondes positives autour de moi. Je me mettais dans une bulle imaginaire afin de me couper du reste du monde. Si tu es trop stressé ou trop euphorique, tu ne peux pas avoir une frappe rectiligne, sèche, naturelle. C’est une gestion psychologique profonde. » « Tout se joue dans l’approche du coup de pied. Je collaborais avec un préparateur mental qui travaillait autour des énergies », abonde Jérôme Porical, du haut de ses 2 126 pions. Romain Teulet cherchait, lui, à s’imprégner de l’environnement : « Je trouvais ça hyper jouissif de sentir les regards se poser sur moi. J’avais envie de dire aux gens : regardez-moi. Cette confiance, cette attente, c’est quelque chose qui me portait et qui me donnait encore plus envie d’assumer. » Diego Dominguez se la jouait, lui, pleinement décontracté : « À mes yeux, la clé de la réussite est qu’il n’y a pas deux coups de pied pareils. L’approche, la course, la méthode : j’étais flexible afin de pouvoir m’adapter à tous les contextes. Si tu connais ton corps parfaitement et que tu as confiance en toi, ça ne pose pas de souci. Quand j’avais des coups de pied importants, je pensais toujours à l’équipe. J’avais des flashs qui venaient me motiver. »

« Des jours où tu es touché par la grâce »

Des heures de travail aux dernières secondes de préparation, les buteurs poursuivent une même obsession : la réussite maximale. Avec en mire le 100 %. Et le coup de pied de la gagne. « Il y a des jours où tu te demandes ce qui va arriver, si tu auras assez de puissance, si tu seras assez délié ; puis il y a des jours où tu es comme touché par la grâce, où rien ne peut t’atteindre, se remémore Dimitri Yachvili. Ces fois-là, tu as cette information qui arrive quand tu poses le ballon : « C’est bon, tu peux y aller, ça va passer. » Romain Teulet, deuxième réalisateur de l’histoire du championnat de France derrière Richard Dourthe, sait de quoi son illustre confrère parle :  « J’ai eu des périodes où j’étais comme en apesanteur. J’étais tellement en confiance que j’avais cette conviction que rien ne pouvait m’arriver, que je pouvais taper les yeux fermés. J’étais dans mes repères, rien ne me faisait dévier. »  « J’appelle ça, la zone, le flot, appuie Jérôme Porical, désormais entraîneur à Béziers. Ça m’est arrivé deux ou trois fois. J’étais comme dans un état second. J’avais l’impression de tout contrôler. On ne choisit pas quand ça nous tombe dessus. » Pour « Popeye » , c’était arrivé le jour J, en finale du Top 14, en 2009 : « J’avais tout passé au milieu des perches. C’était comme dans un rêve. » Ce soir-là, le Catalan était devenu le héros de toute une région. Dimitri Yachvili l’avait été de tout un pays en terrassant, par sa botte, le XV de la Rose sur ses terres. Le mémorable crunch de 2004 porte son sceau avec dix-huit points à son compteur, tous inscrits au-delà des quarante mètres…  « Il y avait un côté irrationnel. La veille, à l’occasion de l’entraînement du capitaine, je n’avais pas eu de bonnes sensations, mais alors pas du tout. C’était une catastrophe, ce qui m’arrivait assez rarement dans la préparation. J’avais même cassé mon tee, rien n’allait. Et le lendemain, toutes les pénalités à ma portée sont passées. Je n’avais pas le choix. On était mené, on était bougé… Il fallait mettre tous les points possibles, même ceux de loin. Tout m’a paru facile. »

Ce 27 mars 2004, Dimitri Yachvili avait régné sur Twickenham. Il y avait lui, le faiseur de miracles, et les autres, humbles soldats. Dans ces moments privilégiés, l’euphorie amène le buteur dans une autre dimension :  « Tu es transporté. J’ai en tête l’image de Jonny Wilkinson quand il inscrit son drop en finale de Coupe du monde en 2003. Quand il le passe, il est complètement perdu dans ses émotions. Il sait que le match n’est pas encore fini mais il est déjà ailleurs. » Romain Teulet parle de cette sensation avec une pointe de nostalgie :  « C’est comme quand Michael Jordan marquait le panier de victoire ou quand un gardien arrête le tir au but qui sacre son équipe. Tu finis porté en triomphe. C’est l’instant ultime. » Une parenthèse de gloire et d’extase comme une juste récompense pour les milliers de coups de pied passés dans le froid et sous la pluie.

Grant Fox : premier Monsieur cent pour cent

Les buteurs n’ont pas toujours été des métronomes. Avant, en gros, les années 90, personne ne s’émouvait quand un artilleur finissait un match avec un taux de cinquante pour cent. Aujourd’hui, il passerait pour un… amateur. Mais des noms aussi connus que Cambérabéro ou Romeu étaient loin de finir avec des cartons pleins.

À partir de quand, est-on devenu exigeant avec les buteurs ? Un nom nous revient en mémoire, Grant Fox. Le demi d’ouverture des All Blacks entre 1985 et 1993 fut à notre souvenir le premier à finir plusieurs rencontres avec un cent pour cent de réussite, sur plus de trois coups de pied tentés. La Coupe du monde de 1987 fut son chef-d’œuvre : il marqua tout en quart de finale contre l’Écosse, vingt-deux points, six pénalités plus deux transformations. Ceci fit gonfler le score à 30 à 3 alors que les Écossais n’avaient pas été si dominés que ça. L’année suivante, il participa au triomphe des All Blacks sur le pays de Galles 54 à 9 non seulement sans manquer un coup de pied sur dix, mais en passant huit transformations estimées difficiles (avec des angles variés). On se souvient en 1990 de son six sur six (cinq pénalités plus une transformation) qui permit à la Nouvelle-Zélande de battre 21 à 18 une forte Écosse qui sortait du grand chelem. Ce qui paraît banal aujourd’hui faisait sensation. J.P.

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