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Série Capitaine Fracasse (5/5) - Et Claude Spanghero ferma la porte !

Par Jérôme Prévot
  • Les Narbonnais de Claude Spanghéro reçoivent le Bouclier en 1979. Claude Spanghéro le brandit en compagnie de Lucien Pariès, Pierrot Sallettes, Guy Ramon. A sa droite, Albert Ferrasse et le président Bernard Pech de la Clause.
    Les Narbonnais de Claude Spanghéro reçoivent le Bouclier en 1979. Claude Spanghéro le brandit en compagnie de Lucien Pariès, Pierrot Sallettes, Guy Ramon. A sa droite, Albert Ferrasse et le président Bernard Pech de la Clause. Photo Archives Midol. - Photo Archives Midol.
Publié le Mis à jour
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Dans la famille Spanghéro, il est le quatrième fils, le second après Walter a avoir été international, à 22 reprises tout de même. Pour les narbonnais, il reste le capitaine du titre de 1979 tant désiré. Il était un meneur d’hommes qui savait motiver ses troupes à l’ancienne avec des idées qui tranchaient. témoin, la demi-finale 1979 face à clermont à Lyon.

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Midi Olympique consacre une série aux capitaines qui ont forgé l’histoire de ce jeu. Pas forcément les plus grands joueurs, mais des hommes incomparables pour convaincre les autres de les suivre dans les plus dingues des combats.

Lyon, stade Gerland. Demi-finale du championnat de France 1979. Narbonne futur champion affronte Clermont, on disait Montferrand à l’époque. Tous les témoins nous l’ont raconté, on ne comprend rien à ce titre de 1979 si on ne mesure pas la frustration des Audois, battus cruellement cinq ans plus tôt en finale par Béziers. Ce Bouclier 79, les Narbonnais sont allés le chercher « avec les dents ». La finale face à Bagnères fut très âpre, plus que ça même (lire l’article de Jean-Pierre Oyarsabal dans l’Indépendant du 27 mai 2019, N.D.L.R.). Mais dans les coulisses, l’événement le plus extraordinaire se déroula une semaine auparavant, dans l’intimité de vestiaire du stade Gerland. Le capitaine Claude Spanghero fit preuve d’une initiative hallucinante, un geste qui nourrit la légende éternelle du rugby, sport romanesque par excellence. Le deuxième ligne international, capitaine des Orange et Noir, prit tout simplement la décision d’enfermer ses coéquipiers dans le vestiaire, à quelques minutes du coup d’envoi de la demie. Et quand on dit « enfermer », ce n’est pas une façon de parler. « Oui, j’ai fermé la porte de l’intérieur, et j’ai jeté la clé par la fenêtre. » Peut-on imaginer à un moment pareil, la surtension qui découla de ce geste aussi incongru que fracassant.

 

Le coup de mou de Patrick Salas

« On avait tous des habitudes de préparation mentale. Et ce jour-là, ça s’est mal passé. Patrick Salas, notre deuxième ligne avait pété les plombs. Gérard Sutra, notre entraîneur, était venu m’avertir. Patrick avait des problèmes, il avait mal pris un article sorti dans un grand quotidien sportif. Je suis allé voir Patrick pour lui remonter le moral. » Ce fut là la première phase de l’opération, Claude utilisa son verbe : « Patrick, t’as vu comment t’es foutu ! Avec ton gabarit, tu peux détruire tout le monde ! Tu ne vas pas t’échapper. » Pour l’époque, Patrick Salas était un colosse, un précurseur de la musculation avec ses 108 kg. Mais il était fondamentalement un gentil, réticent à distribuer des marrons. Alors il avait besoin de temps en temps d’un aiguillon. Mais que disaient donc les fameux articles ? A priori, ce n’était pas des brûlots, mais les joueurs ont toujours eu le chic pour faire le miel en surinterprétant les écrits des plumitifs. Ça n’a pas changé et ça ne changera sans doute jamais. « Il y avait un article au sujet du capitaine montferrandais Gérard Costes qui était de Bram comme moi. Il était titré : « Il n’y a pas que Claude Spanghéro qui soit de Bram », puis il y avait une page entière qui nous dépréciait un peu, parce que notre quart de finale face à Bayonnne avait été un peu laborieux. Alors que Clermont de son côté avait fait un bon match. »

C’était contre Toulouse, victoire 12-10, même si le Toulouse de l’époque n’était pas la grosse machine de la décennie suivante. « Si je me souviens bien, en gros, il était dit que Narbonne n’avait que 30 pour cent de chances de gagner, vu notre match. » Rien de très grave, donc mais il n’en fallait pas plus pour allumer la mèche dans l’esprit de Claude. En plus l’année précédente, Clermont avait éliminé Narbonne en quart de finale, sur un essai assassin en fin de match 22-18. Les Audois voulaient tellement ce titre 1979 qu’ils étaient prêts à tirer partie de tout pour se motiver. Et en plus, Béziers leur bête noire avait été éliminée par Bagnères. Il y avait donc un coup à jouer. La porte s’entrebâillait vraiment pour les Narbonnais. Pas question de laisser passer cette chance historique. « On le voulait absolument, ce titre. » « Oui, la moutarde est montée », reprend le quatrième de la fratrie Spanghero, sauteur horspair. C’était le plus doué de la famille dit-on entermes de rugby pur.

Même si son frère Walter demeure indépassable en termes d’esprit de sacrifice et d’endurance Claude lui, avait un côté forte tête qui l’empêcha de totaliser plus de 22 sélections. Il avait un côté meneur d’hommes aussi qui fit de lui le capitaine du Racing Club Narbonnais pendant huit ans.

 

Une solution simple finalement 

« J’ai dit à Gérard Sutra : « Écoute-moi, plus personne ne rentre. Je m’occupe de tout. » Le président Pech de la Clause avait l’habitude de venir dire deux mots. Mais pas cette fois. J’ai tout pris en main. Nous étions chauds comme la braise. » Mais il y avait ce cas Salas, qui aurait pu jeter le doute dans l’équipe. C’est là que Claude eut cette idée de génie, même si elle n’incarnait pas vraiment la finesse. « Puisque vous vous posez tous des questions, voilà ce qu’on va faire. Il faut maintenant traverser la porte, elle est verrouillée et j’ai jeté la clé par la fenêtre. »

Le capitaine venait de trouver un défi inédit et instantané pour remobiliser ses troupes. « Il fallait faire quelque-chose, car l’arbitre nous avait déjà appelés. Et les Montferrandais étaient sortis de leur vestiaire. » On peut se figurer la tension qui s’empara du groupe. « Tout d’un coup notre talonneur Pierrot Sallettes s’est levé et a foutu un premier coup d’épaule. » La porte, son chambranle et la cloison autour s’est mis à trembler jusqu’à presque se fendiller. « Puis notre pilier Guy Colomine a pris son élan, et s’est jeté de toutes ses forces, de cinq mètres environ et il a fait tout exploser. » Il fallait y penser, aussi simple que pour le nœud gordien. On devine la scène : une porte enfoncée et une horde qui déboule à grand fracas, le regard fixe, sous les yeux médusés des arbitres, des adversaires et des officiels qui traînaient dans les couloirs. Tout ça, en demi-finale du championnat de France. Une vraie scène de film burlesque. « Et nous avons gagné ce match, évidemment. 19- 9. Mais cette scène est restée exceptionnelle. Disons que mon boulot était de mettre de l’ordre. Je suis resté capitaine pendant huit ans, je devais remettre les joueurs dans la bonne direction quand ils faisaient des farces et qu’ils n’avaient plus la tête aux matchs. Avec moi, ils savaient qu’il fallait pas déconner » Ce pari extraordinaire, Claude l’a gagné. Narbonne a battu Clermont 19-9, avant de filer vers le deuxième Brennus de son histoire (10-0 face à Bagnères). Cette année-là, le Racing empocha quatre trophées (avec en plus le Du Manoir, le Bouclier d’Automne et la nationale B). Sportivement, les Audois étaient vraiment très forts et la confiance accumulée au fil des matchs leur avait offert une rare forme d’euphorie. Le morceau de bravoure de Claude servit peut-être à balayer le dernier grain de sable qui aurait pu gripper le mécanisme.

Était-ce le sommet de son capitanat ? Pas forcément. « J’ai connu d’autres matchs chauds, contre Toulon ou Bayonne par exemple, il fallait savoir se monter le bourrichon. Je me souviens de matchs où l’arbitre faisait refaire trois fois le coup d’envoi. » En tout cas, à la suite de ce printemps doré, Claude eut la satisfaction de voir quatre de ses hommes s’envoler vers la Nouvelle-Zélande avec le XV de France : Yves Malquier, Didier Codorniou, Guy Colomine et surtout, le deuxième ligne ou pilier Patrick Salas, bien remis de sa neurasthénie passagère, au point de devenir le héros du test d’Auckland du 14 juillet, bombardé in extremis à un poste de numéro 8 qui n’était pas le sien. Il avait su improviser comme il avait vu ses coéquipiers le faire face à une porte fermée à clé. Lui aussi avait enfoncé une porte mentale, motivé par Jean-Pierre Rives et Claude Spanghero, ses capitaines Fracasse.

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