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Exclusif - Laure Sansus : « Une fois seule dans le vestiaire, j’ai explosé et j’ai pleuré pendant dix minutes »

  • Laure Sansus a dû mettre un terme à sa carrière à la suite d'une grave blessure au genou gauche.
    Laure Sansus a dû mettre un terme à sa carrière à la suite d'une grave blessure au genou gauche. Dave Lintott / Icon Sport - Dave Lintott / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En exclusivité pour Midi Olympique, la demi de mêlée du XV de France et meilleure joueuse du monde, Laure Sansus a accepté de revenir sur tout ce qui s’est passé depuis sa rupture des ligaments croisés du genou gauche, samedi face à l'Angleterre. Une blessure qui met un terme brutal à son Mondial et à sa carrière rugbystique. L'émotion à fleur de mots. 

Racontez-nous l’action qui a précédé votre blessure, face à l’Angleterre…

« Nana » (la pilier Annaëlle Deshaye, N.D.L.R.) fait un petit franchissement, alors je me porte à sa hauteur pour continuer l’action. Je suis un peu positionnée de trois-quarts et Marlie Packer (troisième ligne anglaise) me plaque en venant de derrière. Je ne la vois pas arriver. Je sens juste l’impact et mon genou se tordre. J’entends le bruit du ligament qui lâche. Immédiatement, je suis assez lucide sur ce qui vient de se passer. Quand notre doc’ (Romain Loursac) arrive, je lui dis que ce sont les croisés. Rapidement, son premier diagnostic le confirme. Vous savez, le « clac » d’un ligament qui se rompt ça ne s’oublie pas. Tous les gens qui l’ont vécu vous le diront.

Vous avez mal d’emblée ?

Ça me prend tout de suite, oui. Ma jambe est instantanément anesthésiée. Elle devient raide, comme si elle se mettait en sécurité. Je n’arrivais pas à la détendre. J'ai ensuite un vide, total... Les filles m’ont raconté la suite de l’action : apparemment je relâche le ballon à cause de la douleur et je commets un en-avant...

Que vous dites-vous à ce moment ?

Je redeviens vite très lucide et je comprends les conséquences. Avant même d’être évacuée, je sais que c’est fini. Que c’était mon dernier match, que je vais sortir du groupe. On a fait les examens ensuite, mais je savais déjà. J’ai demandé à sortir debout pour rassurer mes proches qui regardaient la télévision, mais le protocole l'interdisait. Voilà pourquoi je suis restée assise sur la voiturette. Je savais que ma grand-mère regardait, que ça allait la mettre dans un sale état. Mes proches avaient conscience que ce genou gauche, c’est ma bête noire. Il m’aura freiné toute ma carrière.

Vous n’avez pas pu croiser votre compagne et coéquipière, Pauline Bourdon ?

Non et c’est aussi pour cela que j’ai demandé à sortir en marchant, pour la rassurer. Mais c’était interdit. Je la connais, je savais qu’elle était en train de péter un plomb sur le banc, alors qu’il lui restait presque une heure de match. Romain s’en est chargé à ma place.

Pauline Bourdon et Gaëlle Mignot précèdent Laurent Sansus, après le match perdu face à l'Angleterre..
Pauline Bourdon et Gaëlle Mignot précèdent Laurent Sansus, après le match perdu face à l'Angleterre.. Dave Lintott / Icon Sport - Dave Lintott / Icon Sport

Avez-vous réalisé que le conducteur de la voiturette qui vous vous évacuait a manqué sa manœuvre en sortant de la pelouse et qu'a percuté un panneau publicitaire ?

(rires) Oui ! J’étais blasée… Je me suis dit : « Mec, je viens de me faire les croisés, ma compét’ est finie et toi tu loupes ton virage ! » J’ai entendu la tribune principale exploser de rire. Apparemment, il s’est aussi pas mal fait pourrir quand il a dû conduire Romane (Ménager, victime d’une commotion cinq minutes plus tard) !

Que se passe t-il ensuite ?

Je vais en salle médicale pour rejoindre le médecin du match. Mon anglais n’est pas parfait mais j’ai bien compris son diagnostic : « LCA is gone » (Il n’y a plus de ligament). Ce n’était pas une surprise. Dans cette salle, il y avait aussi le docteur en charge des commotions, qui regardait le match à la vidéo. Quand j’ai vu les images de la blessure de Romane, je me suis dit : « C’est pas possible, ça va être une purge. Les filles vont sortir blessées toutes les cinq minutes. » Je m’inquiète aussi pour elles, je me demande comment elles vont encaisser ces deux blessures. On avait besoin d’une joueuse comme « Roro » pour affronter les Anglaises. Mais Gaëlle (Hermet) et Pauline (Bourdon) ont tenu la baraque. Elles ont tellement d’expérience qu’elles auraient pu être titulaires. Après cette action, j'ai souhaité sortir de cette salle médicale. De toute façon, je devais laisser ma place à Romane.

Et là ?

Je demande à rester seule dans le vestiaire, et j’explose complètement. Je n’ai pas arrêté de pleurer pendant dix minutes.

Qu’est-ce qui vous rend la plus triste à ce moment-là ?

Je comprends tout. Je prends la mesure. Jusqu’à aujourd’hui, c’est la seule fois où j’ai craqué. Maintenant, je suis fataliste. Ce n’est qu’un genou, ce n’est que du sport. Mais pendant ces dix minutes, je ne pensais pas encore ça... Même si j’ai dit le contraire aux filles après la rencontre pour ne pas les inquiéter, je savais que je venais de jouer mon dernier match. Le tout dernier match de ma carrière. Et que c'était fini.

Ensuite ?

J'essaye rapidement d’appeler ma mère. World Rugby interdit l’usage du téléphone normalement, mais tant pis. Je me cache derrière un bus et je la rassure au téléphone. Ce n’est qu’un genou, à la différence de ma commotion cérébrale subie en Italie. Ensuite, je prends sur moi. Je sais que la mi-temps va arriver et je dois me ressaisir. Les filles vont avoir besoin d’être rassurées. Si elles m’avaient trouvée en pleurs, ça les auraient affectées. Je rejoins « Roro » (Ménager), on se retrouve toutes les deux sur un brancard à regarder le match… L’image devtait être moche à voir ! (rires)

La mi-temps arrive donc…

J'accueille les filles avec le sourire, je tape dans la main de chacune, Pauline vient me voir direct et elle a les larmes aux yeux. Je lui dis juste que je me suis tordu le genou, qu’on verra ensuite. J’y vais au bluff, bien sûr… Je lui dis de faire le job, de s’éclater à jouer et qu’on fera les comptes après. Thomas (Darracq, le sélectionneur) parle aux trois-quarts et je passe derrière lui. Je fais un discours complètement au bluff, parce que je n’ai quasiment rien vu du match. Je leur dis qu’elles sont énormes, qu’elles doivent continuer en allant jouer chez les Anglaises. Encore une fois, ce n'est pas que du bluff et je leur parle d’être exemplaires parce que je sais qu’elles le sont. Je les ai vues jouer pendant douze minutes, elles se jetaient toutes comme des tarées sur le premier maillot blanc qui passait. Surtout, je leur parle des matchs d’après, parce que je craignais qu’en cas de déception finale, cela mettrait un coup au moral du groupe.

Qu’est-ce qui vous déçoit le plus ?

Que mon aventure en Coupe du monde ne soit pas aboutie. Et de laisser le groupe. Je n’ai pas fait tout ce que je pouvais pour l’équipe et pour moi. Je ne suis pas allée au bout, alors que je faisais une super saison. J’étais bien. Mais j’aurais aussi pu me faire la même chose en Italie et ne même pas arriver ici. C’est ce que je dis aux filles car j’ai senti que mon départ les affectait beaucoup, certaines que je connais bien, et même d’autres. Je m’entends bien avec tout le monde, je suis plutôt posée et calme, donc ça m’embête. Je leur ai demandé d’en profiter un maximum, car je suis le bon exemple pour montrer que tout peut s’arrêter d’un coup.

Vous disiez aussi que vous regrettiez de laisser le groupe.

Durant la semaine avant ce match contre l’Angleterre, on a fait un gros boulot pour nous resserrer et avancer ensemble. Je me dis que je ne vais pas voir ça jusqu’au bout et ça me frustre. Il se passe tellement de trucs, en dehors du terrain… Un truc con : en ce moment on fait un puzzle géant de 3000 pièces. Eh bien, je tiens à le terminer avec elles avant de quitter le groupe samedi. C’est con, mais je veux leur montrer que je vais les accompagner jusqu’au bout.

En quoi cette semaine de l’Angleterre a été spéciale ?

On s’est prises en mains parce qu’on s’est rendu compte qu’on avait pas pris de plaisir contre l’Afrique du Sud. On a gagné avec le bonus, O.-K. Mais on est frustrées. On est en train de vivre quelque chose de formidable mais on doit prendre les clés du camion si l'on veut se faire plaisir. Qu’on vive pleinement ce moment. Au moins, on n’a pas joué avec de la retenue contre l’Angleterre. Et même si offensivement on s’est loupées, on était présentes sur l’engagement. Gaëlle (Mignot) et David (Ortiz) nous ont encouragées à aller là-dedans. A moins parler de stratégie et à se faire plaisir. David a axé son discours là-dessus, et sur le fait que la défense doit avant tout être un plaisir. Des filles comme "Marjo" (Mayans) ou "Escu" (Charlotte Escudero) se sont vraiment faites plaisir contre l’Angleterre !

Votre famille arrive en fin de semaine : regrettez-vous de ne pas pouvoir jouer devant elle ?

Je suis mitigée. Certes, elle ne me verra pas jouer. Mais de l’autre, je leur ai offert l’opportunité de vivre ce voyage. Je vais le faire avec elle. Ça me console. Je vais visiter un pays inconnu avec mes proches, sans trop m’éloigner de l’équipe. Ensuite, on ira voir jouer Pauline et les filles ! C’est en tout cas un soulagement que de pouvoir rester en Nouvelle-Zélande. Si j’avais dû être rapatriée en France, toute seule, je l’aurais très mal vécu. Le voyage d’abord, puis le fait d'être seule en France, d'avoir à passer sur le billard et d'être déconnectée de l’équipe à cause du décalage horaire… On voulait vivre cette aventure à deux, avec Pauline (Bourdon). Là, on sera une et demie…

Cela vous pèse de laisser votre compagne Pauline Bourdon ?

Forcément… Sportivement, j’ai zéro crainte : je sais qu’elle va prendre le groupe en main et qu’elle peut finir dans les meilleures joueuses de la Coupe du monde. Je sais aussi qu’elle va avoir une sorte de devoir envers moi, je le sens. Et puis, je lui ai mis la pression… Je lui ai dit qu’elle avait intérêt à faire des gros matchs, qu’elle devait les faire pour moi ! (rires) Je veux qu’elle rayonne, comme ça je serai au moins heureuse pour elle.

Cette blessure signifie votre fin de carrière…

Cela passe au second plan. Je ne suis pas triste pour ça, car je suis en paix avec mon choix. Je suis triste sur la forme. Ça y est, je suis retraitée, même si je ne m’en rends pas encore compte. Ma fin de carrière m’impacte peu, même si j’aurais préféré la terminer sur une finale de Coupe du monde plutôt que par douze minutes contre les Anglaises en match de poule. Ce qui me frustre, c’est de finir ce Mondial comme ça.

Meilleure joueuse du premier match remporté face à l'Afrique du Sud, Laure Sansus avait également été honorée lors du Tournoi des Six Nations 2022.
Meilleure joueuse du premier match remporté face à l'Afrique du Sud, Laure Sansus avait également été honorée lors du Tournoi des Six Nations 2022. Dave Lintott / Icon Sport - Dave Lintott / Icon Sport

Vous partez quand même avec un trophée, celui de joueuse du match France - Afrique du Sud…

C’est déjà ça ! En plus, il est vraiment stylé. Ça me fera un souvenir. Je n’aurais fait qu’un match entier, mais plutôt bien même si des filles comme Romane ou "Madouss" (Fall) le méritaient largement. Encore une fois, ça me gonfle parce que j’étais bien partie. Je savais qu’on m’attendait et j’adore ça…

Comment ça ?

Je savais que mes adversaires allaient me pister, les Anglaises et même les petites nations… Ça parlait beaucoup de moi dans la presse, je ne passais pas incognito… Mais j’adore être attendue. Mon jeu provoque ça, d’abord. Et si j’arrive à jouer comme ça, les adversaires oublient davantage mes partenaires. J’aime me faire oublier pendant vingt minutes, et bam ! Tenter un coup de fusil qui donne de l’avancée. Ça, ça va me manquer.

Pourtant, vous n’en rajoutiez pas dans les médias…

Je préfère être attendue pour les bonnes raisons : parce que les adversaires ont fait de la vidéo et qu'elles se disent que je vais être pénible à jouer ; pas parce qu’elles l’ont lu la presse. J’en ai d'ailleurs joué contre les Anglaises : elles avaient prévu de se resserrer autour des mauls, pour me bloquer. Sur le premier qu’on a fait, j’étais au bord et je regardais Infante (la demi de mêlée anglaise) en faisant mine de me préparer à partir... Si elle restait collée aux avants, elle n’était pas ailleurs... C’est le jeu, tout le monde fait ça.

Quid de la suite ?

Normalement, je vais être opérée le 25 novembre. Après, rééducation… Je ne suis pas pressée, mais je n’ai aucune envie d’être gênée par ce genou dans dix ans quand je jouerai au ballon avec mes enfants. Je veux bien faire les choses et reprendre mon boulot au Stade toulousain.

Que souhaitez-vous à l'équipe de France ?

Qu'elle puisse montrer à tout le monde son potentiel. Aujourd’hui, on a une équipe de monstres. Pourtant, on est sur la retenue. On n’ose pas, comme ce fut le cas contre les Anglaises où on gâche des opportunités de contre-attaque. On s’enferme dans des « kicking games » (jeu au pied d'occupation). Alors, oui, on tape fort dans le ballon. Mais on a des nanas qui savent jouer au ballon, avec des appuis comme "JackJack" (Chloé Jacquet), Pauline (Bourdon), Maëlle Filopon, Émilie Boulard, Caroline Drouin… Ces filles puent le rugby, elles savent jouer les coups. Aujourd’hui, il faut qu’elles se délestent de la pression qui les inhibent, qu’elles n’aient pas de regret. Cette équipe peut faire de grandes choses.

Que voulez-vous leur dire ?

J’ai confiance en elles et, encore une fois, elles peuvent faire de grandes choses. Je n’attends que ça.

Et qu’avez-vous envie de dire à Pauline Bourdon ?

Que je suis très fière d’elle, que j’ai une confiance aveugle en elle. C’est le moment où elle doit exploser. Elle est redevenue la Pauline Bourdon que l’on connaissait avant sa blessure et son année difficile. Elle mérite tout ça. C’est son moment.

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