• Si le nom de William Webb Ellis s’est imposé dans les consciences, on peut considérer que le vrai pionnier de notre sport s’appelait Thomas Arnold, le directeur du collège de Rugby, la ville. Par ses idées et son enthousiasme, il a jeté les bases du sport moderne.
    Si le nom de William Webb Ellis s’est imposé dans les consciences, on peut considérer que le vrai pionnier de notre sport s’appelait Thomas Arnold, le directeur du collège de Rugby, la ville. Par ses idées et son enthousiasme, il a jeté les bases du sport moderne. Midi Olympique - Fabien Agrain-Védille

200 ans d'histoire (2/52) - Thomas Arnold, l’odyssée anonyme du véritable inventeur du rugby

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Si le nom de William Webb Ellis s’est imposé dans les consciences, on peut considérer que le vrai pionnier de notre sport s’appelait Thomas Arnold, le directeur du collège de Rugby, la ville. Par ses idées et son enthousiasme, il a jeté les bases du sport moderne.

À rugby, le collège, Thomas Arnold introduisit l’étude des mathématiques, de l’histoire moderne et des langues . Mais 176 ans après sa mort précoce, on se souvient de lui pour une idée phénoménale : faire du sport et du « football », une discipline à part entière . De toute façon quand, à 35 ans, il postula pour le poste de recteur de cet établissement d’élite, un notable qui le soutenait avait déclaré : « S’il est élu, cet homme changera le visage de l'éducation en Angleterre. » Jamais prédiction ne fut mieux vérifiée . Du rugby, le sport, Thomas Arnold fut le vrai pionnier, bien plus que William Webb Ellis qu’il ne croisa jamais. C’est Arnold qui a jeté concrètement les bases de notre sport durant les treize ans (1828-1841) durant lesquels il dirigea la prestigieuse école. Il n’était pourtant pas un grand sportif lui-même, il n’a sans doute jamais touché ni tapé dans un ballon, ni même manié une batte de cricket. Il préférait la compagnie des livres d’histoire et pourtant, c’est de son esprit que jaillit l’essence des sports collectifs modernes.

Thomas Arnold était un moderniste recruté pour une mission bien particulière : adoucir les moeurs brutales des élèves, canaliser leur énergie vers des valeurs dignes d’une éducation chrétienne . Et le sport sera l’un des moyens privilégiés pour y parvenir. Il faut bien comprendre qu’à cette époque, les rejetons de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie étaient livrés à eux-mêmes après les heures de cours : ils allaient se saouler et se battre dans les tavernes, ou bien jouer leur argent de poche aux cartes et aux dés .

Thomas Arnold fut celui qui estima que les maîtres devaient rester responsables de leurs élèves en dehors des heures de cours, à rebours de la plupart de ses collègues qui les laissaient se débrouiller seuls . L’idée d’une éducation victorienne corsetée n’est pas une légende, mais elle a émergé plus tard qu’on ne le croit, grâce à des gens comme Thomas Arnold justement. Bernard Lebleu universitaire expliquait : « À travers le jeu d'équipe et la compétition, le jeune adolescent apprend l'art de l'auto-organisation, le self-government. Par l'observation de règles strictes et clairement établies, l'étudiant développe ces qualités morales dont l'acquisition constitue la grande finalité de l'éducation. À pratiquer le sport, il développe le goût de la lutte; la peur le quitte et il saura désormais se battre, aussi bien pour se défendre dans un monde dominé par la concurrence, que pour faire triompher une cause juste. »

Une logique d’autogestion

A noter que les documents parlent peu des entraîneurs, c’est plutôt le capitaine qui est mis en avant dans une logique d’autogestion . Arnold fut tellement persuasif que les collégiens de rugby furent les premiers à coucher leurs règles par écrit en 1846. Le célèbre recteur n’était plus là, il avait trouvé un poste à l’université d’oxford et de toute façon, il était mort précocement d’une « angine de poitrine » comme on disait alors ; c’était en 1842 et il avait 47 ans .

Mais son influence avait perduré, d’autant plus que beaucoup de ses anciens éléves avaient emporté les fameuses régles avec eux , quand, à leur tour, ils devinrent enseignant ; à Shelborne, Cheltenham, Rossall, Sellington, Clifton, Haileybury , En 1848, c’est la consécration, l’université de Cambridge désireuse d’unifier les régles du football adopte celles du collège de Rugby . L’ histoire était en marche . On jouait pourtant au football dans d’autres écoles, mais le jeu de Rugby était le plus réglementé, le plus élaboré et peut-être le plus spectaculaire, puisqu’il était basé sur la possession du ballon avec les mains. Arnold n’a pas inventé ça, c’est vrai, mais sa vision de l’enseignement a permis à ce sport de s’affirmer

Imaginons ce qui serait arrivé, si on avait choisi le jeu d’ Eton, le collège le plus chic du royaume ? On y faisait des sortes de mauls collé contre un mur de 110 mètres, un sport aussi lent qu’un escargot et assez laid en vérité . Il existe toujours et personne n’a plus marqué d’essai depuis 1909 . Si Eton avait pris le meilleur sur Rugby, le sort du monde en aurait été changé .

L’homme qui inventa le rugby et le football !

Au fait, Thomas Arnold a-t-il inventé le football ou le rugby ? Les deux, en fait, car la scission ne s’est faite qu’en 1863. Certains clubs décidèrent alors de proscrire le jeu à la main ainsi que le hacking, pratique de plus en plus décriée (il s’agissait de donner des coups de pied sur les tibias de l’adversaire). Ils sont majoritaires et fondent la Football Association. Les récalcitrants protestent pendant quinze jours et puis s’en vont. La distinction entre football et rugby venait de naître. Mais la confusion dura un certain temps puisque dans les années 1870-1871 les premiers test-matchs entre Anglais et Écossais sont entourés d’un certain flou. On ne savait pas à quel jeu on devait jouer : le football rugby ou le football association ? En 1871, les « orthodoxes » qui veulent continuer à jouer à la main fondent la RFU.

 

Un propagateur nommé Pierre de Coubertin

Le rôle de Thomas Arnold a suscité des débats d’historiens. A-t-on surestimé son influence ? Mais des documents subsistent, des écrits aussi, de lui-même et de son fils, qui ne peuvent réduire son apport à une légende comme dans le cas William Webb Ellis. Mais surtout, Arnold se découvrit de vrais soutiens posthumes en Angleterre, mais aussi et surtout en France, très paradoxalement. Le plus célèbre fut évidemment Pierre de Coubertin (1863-1936), le rénovateur des jeux Olympiques à partir de 1896. Toute son action peut être analysée comme la continuation de la pensée de Thomas Arnold. Il avait fait un séjour en Angleterre à l’âge de 20 ans (en 1883) et en revint fasciné par le modèle de ces collèges privés, persuadé de la médiocrité des écoles françaises. Toute son action sera subordonnée à cette expérience dans le but du redressement tricolore après le désastre de 1870 (guerre franco-allemande). La défaite française avait été vécue comme un signe d’infériorité vis-à-vis de l’éducation dispensée en Prusse. Pendant trois ans, il observa le fonctionnement des établissements scolaires britanniques, la nation de la Reine Victoria le fascinait par sa puissance et l’influence qu’elle exerçait sur le monde. De retour en France en 1887, il fit tous les efforts pour importer les principes qui l’avaient tant fasciné durant son séjour outre-Manche. Il y avait pratiqué la boxe, l’équitation, l’aviron et le tir. Le Baron Pierre de Coubertin participa notamment à la création de l’USFSA, l’ancêtre de toutes les fédérations sportives et du Comité olympique. Le baron fut l’un des premiers amateurs de rugby en France puisqu’il arbitra la première finale du championnat de France en 1892 entre le Racing et le Stade français, au bois de Boulogne. Pierre de Coubertin fut aussi influencé par « Tom Brown school days », gros succès de librairie (lire ci-contre).

Un héritage très littéraire

Évoquer la mémoire de Thomas Arnold, c’est aussi relire certaines de ses citations édifiantes. « Je préfère que mes élèves jouent vigoureusement au football plutôt qu’ils emploient leurs moments de loisir à boire, à se saouler, ou se battre dans les tavernes de la ville. Le sport, c’est un antidote à l’immoralité et une cure contre l’indiscipline. »
Son aura fut aussi propagée par un livre à succès : « Tom Brown School Days » écrit par Thomas Hugues (ancien élève de Rugby devenu juge) qui retraçait le quotidien de la célèbre école dans les années 1830-1840. On y trouve des phrases magnifiques, dont celle d’un des joueurs du collège après un match : « ça, c’est une vie qui vaut quelque chose, la somme la plus précieuse de l’existence d’un élève rassemblée en un seul lien ; lutter une demi-heure, une demi-heure qui vaut un an d’une vie ordinaire. » Enfin, le fils de Thomas Arnold, Matthew, ex-joueur de rugby, fut lui-même un grand poète et son arrière-petit-fils toucha également la notoriété sous le nom d’Aldous Huxley, auteur du « meilleur des mondes », grand classique de la littérature d’anticipation.

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Les commentaires (1)
JohnMarseille Il y a 1 année Le 11/01/2023 à 09:29

Excellent article--merci beaucoup, Jerome !