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Histoire de rugby - Irlande-France 1975 : la dernière glorieuse de Willie-John McBride

Par Jérôme PRÉVÔT
  • Ce jour-là, l’Irlande surclassa la France (25-6) pour fêter les adieux d’un monument.
    Ce jour-là, l’Irlande surclassa la France (25-6) pour fêter les adieux d’un monument. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
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Ce jour-là, l’Irlande surclassa la France (25-6) pour fêter les adieux d’un monument. C’était le dernier match de Willie-John McBride qui en profita pour marquer son seul essai dans le tournoi, à la dernière minute en plus, comme dans un scénario de film.

On joue la dernière minute : contre-attaque approximative et suicidaire, et le ballon qui s’échappe comme une savonnette des mains des Bleus et même des mains des Verts, dans leurs 22 mètres. Les Français prennent la pression. Lucien Pariès, Claude Spanghero, Jean-Luc Averous plaqué par Fergus Slattery, et Richard Astre voient les vannes de la défense irlandaise se refermer devant eux. La balle tombe au sol, l’ouvreur Billy McCombe dit « Billy the Kid » la ramasse et sert l’ailier Tom Grace, comptable de profession, qui avance enfin et remet (balance ?) à l’intérieur. Boffelli intervient pour les Bleus mais relâche le ballon vers l’avant. Il rebondit parfaitement et là, soudain, ce moment parfait : le deuxième ligne Willie-John McBride surgit à point nommé pour une charge triomphale. Essai ! Mais pas n’importe quel essai. Déjà, il permet à l’Irlande de pousser le score jusqu’à 25-6, une piquette à l’époque. En plus, c’est le premier de Willie-John McBride, 34 ans bien sonnés et un parcours monumental derrière lui. Il attendit donc le dernier match à domicile de sa carrière en vert pour enfin franchir la ligne d’en-but ballon en main. Il attendait ça depuis treize ans et 61 matchs.

Un supporteur lui met un drapeau irlandais sur les épaules

Les images sont d’une rare beauté, par la configuration du stade d’abord. Elles reflètent une atmosphère plus chaleureuse que celle d’aujourd’hui avec ces spectateurs serrés comme des sardines, et par le joyeux laxisme qui régnait. Chaque essai irlandais est salué par une farandole de supporters qui gambadent sur la pelouse (sans badge évidemment). Aujourd’hui, à une époque où tout est interdit a priori, on revoit ça comme un signe de liberté rafraîchissant.

Willie-John McBride fut un deuxième ligne de légende, avant de devoir sans peur et sans trop de reproches. Il a joué son dernier match à Lansdowne Road sur un après-midi de roman : large victoire de l’Irlande (25-6) face à la France avec un essai de sa part, à la dernière minute. Lui, le joueur de l’Ulster, se retrouva ceint d’un drapeau tricolore républicain, alors que le public envahissait joyeusement le terrain.
Willie-John McBride fut un deuxième ligne de légende, avant de devoir sans peur et sans trop de reproches. Il a joué son dernier match à Lansdowne Road sur un après-midi de roman : large victoire de l’Irlande (25-6) face à la France avec un essai de sa part, à la dernière minute. Lui, le joueur de l’Ulster, se retrouva ceint d’un drapeau tricolore républicain, alors que le public envahissait joyeusement le terrain. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport

Alors, évidemment, pour cet essai final de Willie-John McBride, c’est le délire. Une marée humaine fond sur lui et on voit clairement un supporteur lui passer un drapeau irlandais autour du cou. Geste inoubliable autant qu’édifiant que, nous, Français, avions vécu avec un soupçon de naïveté.

Dans une telle cohue, McCombe a toutes les peines du monde à tenter et à réussir la transformation. Pour se pénétrer de la force de ce moment, mieux vaut relire l’Encyclopédie du rugby français de Jean-Pierre Bodis et de Pierre Lafond : « L’exploit fut salué par d’immenses cris de joie et de fierté dans la foule de Lansdowne Road. Et beaucoup de vrais amateurs du jeu dans le monde partagèrent la joie des hommes de l’IRFU. L’essai de Willie-John honorait le rugby. » Pour bien saisir le côté monumental de Willie-John McBride, il faut se rendre compte qu’il détient encore un record : il reste le joueur qui a vécu le plus de tests avec les Lions (17), une performance qui ne sera peut-être jamais battue (il y avait des tournées tous les trois ans à l’époque). Tous matchs confondus, il a porté 71 fois le maillot aux quatre écussons. C’est sous cette tunique qu’il avait marqué le seul autre essai de sa carrière internationale, en 1974, lors d’une tournée victorieuse en Afrique du Sud. L’apogée de sa carrière. Il y fut le promoteur du fameux « 99 call » une technique pour noyer les règlements de compte dans la confusion d’une bagarre générale, pour que l’arbitre se retrouve totalement dépassé. Ça, c’était de l’innovation tactique !

Willie-John McBride, c’était un avant de devoir porté par une force d’Hercule. Un mélange de Walter Spanghero et de Élie Cester, mâtiné d’un zeste de Colin Meads. Pas un manieur de ballon mais un vrai papa, impeccable sur la conquête, extrêmement rassurant on imagine pour ceux qui débutaient à ses côtés. Le décalque rugbystique des héros des westerns de John Ford. Un John Wayne qui aurait chaussé les crampons. Pour son troisième match à Paris, en 1962, il avait joué pendant 30 minutes avec une fracture à une jambe, avant d’aller se faire plâtrer le soir à l’hôpital.

Une rencontre à l’aéroport

Le plus poignant, c’est que le deuxième ligne ceint d’un drapeau tricolore, et donc républicain, était en fait un sujet britannique. Il vivait en Ulster, à Ballymena. Le rugby irlandais a toujours eu la réputation et le pouvoir de transcender la fameuse frontière, mais vu de France, on imagine mal la portée de cette image sur le moment. Une blague aigre-douce disait que porter ce drapeau avait été la chose la plus dangereuse qu’il avait faite sur un terrain de rugby. Les militants loyalistes les plus résolus du style de l’intransigeant Révérend Ian Paisley furent furibards de voir ainsi leur héros à ce point rattaché à la bannière qu’ils combattaient.

Ce jour-là, l’Irlande surclassa la France (25-6) pour fêter les adieux d’un monument.
Ce jour-là, l’Irlande surclassa la France (25-6) pour fêter les adieux d’un monument. PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport

En Grande-Bretagne, Ian Paisley était une figure emblématique et très célèbre, surnommé « l’hmme qui dit non ». « No, no, no ! Never, never, Never ! » Il sera néanmoins Premier ministre de l’Irlande du Nord après les accords du vendredi saint dans les années 2000. Un rapprochement historique avec les catholiques de l’Ulster.

Mais McBride confia aussi que, dans l’autre sens, il avait entendu des réflexions vachardes quand on lui confia le capitanat de l’équipe nationale. Des paroles saillantes : « Que vient foutre un maudit gars de l’Ulster au capitanat de l’Irlande ?! » Sa carrière avait correspondu aux années les plus sombres du conflit irlandais, le Bloody Sunday et divers faits de guerre civile. Il fut lui-même témoin direct d’un attentat.

Plus tard, en 1991, devenu un banquier prospère, il se sentit à nouveau menacé après que John Haldane, un de ses amis chef d’entreprise fut, lui, assassiné par l’IRA qui lui reprochait de vendre du matériel à la police.

Des années plus tard, à l’aéroport de Heathrow, Willie-John McBride passa au si stressant contrôle de sécurité. Alors qu’il retirait ses chaussures, il vit un quidam se planter devant lui, le regard un peu fiévreux. L’inconnu lui tendit la main : « Comment allez-vous ? » Willie-John sourit poliment, habitué à être encore reconnu de-ci, de-là. Puis le citoyen poursuivit : « Vous ne me connaissez pas, je ne vous ai plus croisé depuis 1975. J’étais collégien à Dublin, Old Belvedere. C’est moi qui vous ai mis le drapeau autour des épaules. » Willie-John McBride sourit en lui tapant sur l’épaule : « Ian Paisley vous cherche depuis des années… »

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