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Portrait - Ultan Dillane (La Rochelle) : le plus Français des Irlandais

Par Romain Asselin
  • Arrivé à l'intersaison, Ultan Dillane s'est déjà imposé au sein de l'effectif rochelais.
    Arrivé à l'intersaison, Ultan Dillane s'est déjà imposé au sein de l'effectif rochelais. Sportsfile / Icon Sport - Sportsfile / Icon Sport
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Entre son enfance parisienne et son actuelle escale maritime, l’international du Trèfle a vécu deux décennies outre-manche, où s’est tissée sa passion de l’ovalie. Le parcours - riche en anecdotes - du plus français des Irlandais est intimement lié à ses mentors Donnacha Ryan et Ronan O’Gara. Mais aussi et surtout à l’amour inconditionnel porté à sa maman, Ellen, décédée en février 2018.

"Tant que c’est un très bon match, que les deux équipes jouent bien, qu’il n’y a pas de carton rouge, ça va, je serai content !" Un brin tiraillé, Ultan Dillane, en cette semaine de l’alléchant Irlande-France. Et comment ne pas l’être ? S’il consent à mots choisis - dans sa langue maternelle - prendre plaisir à l’idée de voir ses anciens coéquipiers du XV du Trèfle "faire leur meilleur match et gagner", figurez-vous que le robuste avant du champion d’Europe rochelais s’est longtemps senti "plus Français qu’Irlandais". Ce n’est pas pour rien si son "french accent" a fait plusieurs semestres de résistance avant de s’estomper quand, à partir de 7 ans, conséquence d’un déménagement soudain, il lui a fallu laisser au placard la grammaire de Molière. Pour celle de Shakespeare.

Ultan a grandi à Paris, où il est né, il y a bientôt trente ans. Où sa famille l’a fait baptiser. Où ses cousins et son père, d’origine ivoirienne, vivent toujours, d’ailleurs. Où, enfin, dès son plus jeune âge, avec son frère Cian, d’un an son aîné, il a commencé à revisiter l’heptathlon. Jugez-plutôt : foot, shorinji kempo, catch, natation, patinage, taekwondo, foot gaélique ! Pas de place pour le rugby. Le virus ovale, la fratrie l’attrapera à l’adolescence. Dans le sud-ouest de l’Eire si cher à la maman, Ellen, originaire du comté de Kerry où elle décide de rentrer, au début du siècle, suite à la disparition d’un proche. Son petit frère. L’oncle d’Ultan.

Nous sommes en 2006. Cian brille alors sur les terrains gaéliques, pas Ultan. Bienvenue au Tralee RFC, l’un des plus anciens clubs de la province du Munster et même d’Irlande. "On voulait essayer le rugby mais on était timides, introvertis, rembobine le cadet. Un jour, ma mère nous a dit : "Je vous donne 5€ si vous allez essayer avec le voisin." Deux heures plus tard, en rentrant, on était trop contents. C’était le sport fait pour nous !" Ballon ovale en mains, les Dillane font, parait-il, des étincelles. Si Cian voit son désir de professionnalisme anéanti par une sérieuse blessure, son petit frère gravit tous les échelons. "À 15 ans, je participe, parmi quarante autres joueurs, à une épreuve nationale appelée "équipe de talent". Si tu étais pris, tu avais une grande chance de jouer pour le Munster, en moins de 18 ans. J’ai fait partie des sélectionnés. Mes amis ont rigolé quand je leur ai dit que j’avais décidé d’être pro. Mais c’est là que le rêve a commencé pour moi." Le rêve, déjà, d’apercevoir d’un peu plus près ses idoles du moment. Il est ici question de Paul O’Connell, David Wallace ou encore un certain… Ronan O’Gara ! Qui, jusqu’ici, habille, en posters, les murs de la résidence familiale.

Un hommage déroutant dans les couloirs de Twickenham

Certes, plus jeune, la "Red Army" et Thomond Park ne lui avaient pas laissé un impérieux souvenir - "les supporters criaient trop derrière moi, ils racontaient n’importe quoi, je préférais voir les matchs à la maison", en rigole aujourd’hui le Rochelais - mais Ultan Dillane sait qu’il vient de mettre un sacré pied dans la porte en évoluant sous les maillots U18 et U19 d’une province alors sur le toit de l’Europe, de par ses titres continentaux glanés en 2006 et 2008. D’autant que les catégories de jeunes de l’équipe nationale emboîtent le pas.

Pourtant, c’est l’académie du Connacht qu’il décide d’intégrer. Pour des raisons principalement extra-sportives. Familiales. "À 18 ans, j’avais vraiment envie d’aider à la maison. Je ne voulais pas mettre la pression sur ma mère, glisse le Franco-Irlandais qui fêtera son trentième anniversaire juste après la Coupe du monde. Or, le Munster a commencé à changer certains critères. La première année en espoirs était sans paie. J’ai donc choisi le Connacht. Bon, en même temps, c’était 300 € par mois. Ce n’était pas assez pour vivre... (rires) Mais c’était quand même le bon choix. Le coach des avants de l’Irlande U18 et celui des arrières U19 y entraînaient les espoirs. Les deux m’ont proposé un contrat de trois ans à Galway. Trois années plus tard, j’ai fait mon premier match en pro. Et un an après, c’était l’équipe d’Irlande." Pile-poil une décennie après sa toute première séance de découverte du rugby, le voilà sur le banc du XV du Trèfle, face à celui de la Rose, dans le temple de Twickenham.

Devinez qui Ultan Dillane, 22 ans, remplace ce jour-là lorsqu’il entre en jeu en deuxième ligne pour disputer le dernier quart d’heure ? Une légende du Munster, vouée à prendre une place de choix dans la carrière du jeune protégé : Donnacha Ryan. "J’ai souvent joué contre lui mais jamais avec lui, je crois bien. En fait, Ultan était tout le temps mon remplaçant", se marre aujourd’hui l’ancienne tour de contrôle de la touche irlandaise, pas prêt d’oublier le baptême du feu de son compatriote et ami, ce 27 février 2016. "Après le match, normalement, tu chantes et tu reçois ta cape pour ta première. Lui a fait un discours d’une minute sur l’importance de sa mère dans sa vie", raconte, ému, Ryan. "Je n’oublierai jamais ce moment de ma vie. Il y avait cent mecs en face de lui, les joueurs des deux équipes et les staffs ! Ça a touché tout le monde dans la salle."

"Attendez, une autre anecdote me revient", poursuit l’homme aux 47 sélections avec le XV du Trèfle, dont Dillane avait déjà tapé dans l’œil, au Munster, alors qu’il n’était pas encore majeur. "Aujourd’hui, Ultan est chauve. Avant, il avait une grosse, grosse touffe ! (Il explose de rire) En Irlande, on est tous comme moi (les cheveux courts, N.D.L.R.). Je me suis dit "c’est quoi ce mec ?". Impossible de ne pas le remarquer. En plus, il était très "fit" (affûté), agile et rapide." Si on avait soufflé, ce jour-là, à Donnacha Ryan qu’il deviendrait son entraîneur des avants au Stade rochelais dix ans plus tard… "Les planètes alignées, le hasard de la vie", sourit le bras droit de Ronan O’Gara, à qui il a recommandé, la saison passée, le profil de Dillane, "deuxième ligne capable de jouer troisième ligne".

O’Gara entend parler de lui à… l’église !

Ryan prêche alors un convaincu. Si le manager de l’équipe maritime n’est pas un intime du joueur du Connacht, il lui porte un œil particulièrement attentif. Conséquence d’une rencontre fortuite, lorsque "ROG" débarqua dans le staff du Racing, en 2013. Savoureuse anecdote racontée par Ultan. " Il y a une église irlandaise à Paris, celle dans laquelle j’ai été baptisé. Comme par hasard, quand Ronan a déménagé à Paris avec sa famille, ils sont allés à la même église et sont tombés sur des amis de ma mère. L’un deux leur a dit : "Il y a un jeune, Ultan Dillane, en Irlande. Il va bientôt jouer, il va être bon !" J’étais alors en espoirs. Quand, en 2016, j’ai gagné le Pro 12 contre le Leinster après avoir battu la Nouvelle-Zélande avec l’Irlande, je crois que c’était devenu intéressant pour Ronan, ce que James lui avait dit (rires). De temps en temps, il m’envoyait "bon match !" par texto."

28 mai 2022. La Rochelle s’offre le scalp du Leinster en finale de Champions Cup. Incommensurable exploit. Cette fois, c’est Ultan qui dégaine son téléphone en premier, depuis son canapé irlandais où la famille Dillane s’est agglutinée pour supporter son futur club. "J’ai envoyé des SMS aux coachs : "Wow, c’est le rêve !" En face, il y avait mes amis. Je les adore, mais… j’étais pour La Rochelle, comme la plupart des Irlandais ! Les supporters du Leinster ne sont qu’au Leinster. La semaine suivante, je suis allé à La Rochelle pour signer mon contrat, c’était la folie, revit le Parisien d’enfance. J’ai été approché par d’autres clubs mais je voulais absolument venir ici, devant ce public énorme et dans cette très jolie ville, avec des coachs qui comprennent davantage mes forces et faiblesses. J’adore être ici, c’est trop cool."

Orphelin de sa maman, Ellen, décédée en février 2018, Ultan Dillane sait d’ailleurs qu’elle serait fière de le savoir évoluer en France. Qui plus est dans un club en vogue, où le fiston aimerait "bien écrire son futur" et, dès cette saison, "aider l’équipe à ajouter une étoile au maillot". Difficile d’être plus impliqué que le polyvalent avant, en tout cas, jusqu’ici, dans le projet maritime. Dix-neuf feuilles de match sur vingt-et-une possibles. Ce qui fait de lui le Rochelais le plus mobilisé de la saison avec Romain Sazy et Pierre Boudehent. Dix-neuf, d’ailleurs, comme son nombre de sélections nationales, dont trois face au XV de France que celui du Trèfle reçoit ce samedi à l’Aviva. Son bilan personnel face aux Bleus ? Une victoire en 2019, deux défaites en 2020 et 2021. Mais avant tout, trois moments à part. Avec ses deux patries de cœur réunies.

Digest

Né le : 9 novembre 1993 à Paris (France)

Mensurations : 1,98 m, 115 kg

Poste : deuxième ou troisième ligne

Clubs successifs : Tralee RFC (2001-2012), Galway Corinthians RFC (2012-2022), Connacht (2012-2022), La Rochelle (depuis 2022)

Sélections nationales : 19 avec l’Irlande (depuis 2016)

1er match en sélection : à Twickenham, le 27 février 2016, Angleterre-Irlande (21-10)

Points en sélection : 5 (1 essai)

Palmarès : vainqueur de la Ligue celte (2016)

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