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200 ans d'histoire (8/52) : 1892, la France découvre sa première finale

Par Jerome Prêvot
  • En 1892, le Racing et le Stade français se disputaient le titre de champion de France.
    En 1892, le Racing et le Stade français se disputaient le titre de champion de France.
Publié le Mis à jour
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En ce mois de mars 1892, en plein bois de Boulogne, le Racing et le Stade français s'escriment pour conquérir un nouveau titre, celui de Champion de France de rugby. 

En cet après-midi d’hiver 1892, au cœur du bois de Boulogne, se déroula la première finale du championnat de France, en soi une anomalie. On aurait pu imaginer que le rugby resterait à jamais confiné dans le giron anglo-saxon, à peu près comme le cricket, son cousin. Mais pourtant, dès les années 1870, une terre non-coloniale lui ouvrit petit à petit ses bras : la France. La puissance voisine comptait des admirateurs du système éducatif anglais, avec notamment Pierre de Coubertin. Cette période de gestation aboutit donc à cet événement historique du 20 mars 1892 sur la pelouse de Bagatelle. Avec ce premier titre, les Français dépassaient même les maîtres anglais puisque la nation fondatrice récusait toute forme de compétition d’élite.

Si cette finale eut lieu le 20 mars, date incongrue, c’est parce que ce championnat 1892 ne connaît pas de poules, pas de phase finale, un simple appel à candidature de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), et de son magazine, Les Sports Athlétiques. Seuls deux clubs se firent connaître. Ce championnat 1892 (et non 1891-1892) se résume donc à une seule rencontre. Elle oppose deux clubs franciliens qui, treize décennies plus tard, sont encore en course pour le même trophée : le Racing Club de France (devenu Racing 92) et le Stade français. Ils ne sont pas encore des "machines de guerre" mais la quintessence du Paris "bon chic bon genre" entre deux bandes de rejetons élevés dans la soie. Le Racing est l’émanation du lycée Condorcet, le Stade français, une extension du lycée Saint-Louis, deux belles fabriques de l’élite de cette fin de siècle. Le pedigree du capitaine du Racing dit tout : Carlos Gonzalez de Candamo, 21 ans, fils de l’ambassadeur du Pérou en France, futur ambassadeur lui-même. Il joue avec son frère Gaspar, âgé seulement de seize ans.

Un arbitre nommé Pierre de Coubertin

Sur les trente finalistes, six portent un nom à particule. Le pilier Pujol joue sous pseudonyme. Il s’appelle en réalité Robert Pellevé de la Motte-Ango, marquis de Flers, et siégera plus tard à l’Académie française. Le capitaine du Stade se nomme Courtney Haywood, 34 ans, né à Bath, professeur d’anglais au lycée Buffon. Il est aussi président du club. Au Racing, le poste de demi d’ouverture est occupé par un nom qui restera ; Frantz Reichel, journaliste et dirigeant d’envergure. Au fait, qui dirige la rencontre ? Un homme hors du commun, encore jeune mais qui s’est fait un nom à travers sa passion pour l’éducation à l’anglaise et le sport comme moteur du redressement national : Pierre de Coubertin. Le succès ultérieur des jeux Olympiques en fera l’acteur le plus célèbre de cette finale. Elle n’a pas été filmée bien sûr, mais on en connaît assez bien le déroulement par le compte rendu de Pierre Cartier, journaliste à Les Sports athlétiques. On comprend que le Racing avait la vitesse pour lui avec De Candamo senior, Frantz Reichel et Ferdinand Wiet, l’ailier diplômé de "Langues O" futur diplomate. On comprend aussi que le Stade français, avait de bons plaqueurs : Louis Dedet, Pierre Garcet de Vaurémont et un certain Munier, qui se permit quelques plaquages cathédrales rabroués par le public, déjà… Mais sur un dégagement vendangé du Racing, Dedet marque le premier essai de l’histoire des finales, 3-0 à la pause avec la transformation de George Dobree, 18 ans, fils d’un pasteur de Guernesey, futur diplômé de Cambridge.

On comprend aussi que Reichel, stratège des Ciel et Blanc, prend une décision décisive à la mi-temps. La permutation du pilier droit (René Cavally)… et de l’arrière (l’Anglais James Thorndike), passeport pour une mêlée triomphante et une domination inexorable. À la 70e minute, Pujol tape à suivre et Adolphe de Palisseaux marque en coin (1-3). Le "minot" Gaspar de Candamo respire longuement, son frère lui tient le ballon, couture vers le but. Les Stadistes montent comme des fous mais il ajuste une transformation totalement décalée (3-3). Aimé Giral ou Frédéric Michalak n’ont donc rien inventé. 79e, l’action du match, le Stade est sous pression devant sa ligne avec un duel entre les deux ouvreurs Reichel et Amand, corps à corps dans l’en-but. Pierre de Coubertin applique alors une règle nébuleuse et disparue, le "tenu en-but". Sorte d’essai sans transformation. 4-3 pour le Racing, des hommes en canotiers et chapeau melon trépignent d’enthousiasme mais se retiennent d’envahir le terrain.

Il reste quatre minutes, le Racing joue la montre mais de Coubertin offre une ultime chance aux Stade français. Pénalité au centre, George Dobree prend sa chance mais le ballon passe à droite. Les Ciel et Blanc sont les premiers champions de France et la finale a tenu ses promesses. On peut donc jouer un bon rugby de club en France, l’histoire est en marche, les Britanniques ne pourront l’ignorer.

Le Bouclier de Brennus était déjà là

Il était donc déjà là en ce 20 mars 1892. Il porte le patronyme d’un ancien chef gaulois mais on doit son nom à un graveur parisien. Dès 1892, le Bouclier de Brennus, ce trophée de bois et de cuivre incarne la force du championnat de France.

Il mesure 1 mètre de haut, 75 centimètres de large et 2,5 centimètres d’épaisseur. Ce « bout de bois » porte un nom chargé d’histoire : Brennus. Pour les amateurs d’histoire antique, il évoque des souvenirs épiques : quand Brennus le chef gaulois avait envahi et saccagé Rome, quatre siècles avant Vercingétorix ! Brennus avait obtenu une rançon des assiégés et, au moment de la pesée des mille livres d’or, avait jeté son épée dans la balance en s’écriant : "Vae Victis". Malheur aux vaincus !

Puisqu’il avait une épée, il semblait normal qu’il eut aussi un bouclier. Mais le nom du trophée de champion de France de rugby ne repose que sur une homonymie. Le Brennus en question s’appelait Charles, c’était un maître graveur installé à Paris. Il appartenait à cette génération qui, dans les années 1880-90, découvrit le sport de compétition, son code de valeurs et son esprit particulier importé d’Angleterre. Charles Brennus fonda même son propre club, le Scuf (Sporting Club Universitaire de France) qui existe toujours. Pour la première finale entre le Racing et le Stade français, Pierre de Coubertin lui avait commandé un trophée à partir d’un dessin qu’il avait réalisé lui-même.

La presse de l’époque décrit "un magnifique bouclier damasquiné, au centre les armes de l’Union, deux anneaux enlacés et la devise "Ludus pro Patria"*. Monté sur un magnifique cadre de peluche rouge, cet objet d’art fait le plus grand honneur à celui qui l’a conçu. Nous croyons savoir que l’auteur n’est autre que le dévoué et sympathique secrétaire de l’Union […]" pouvait-on lire dans Sports Athlétique, le journal de l’USFSA. Ironie de l’Histoire, le Scuf n’a jamais gagné ce trophée. Il a juste perdu deux finales en 1911 et en 1913 face au Stade bordelais et à l’Aviron bayonnais. Mais la tradition veut que ce soit deux jeunes joueurs du club qui l’amènent chaque année sur la pelouse qui accueille la finale.

La consécration des clubs

Cette finale 1892 a amorcé la montée en puissance du rugby de clubs en France. A la surprise générale, 2000 personnes s’étaient pressées pour la voir, et le coup d’envoi avait été retardé d’une demi-heure à cause de l’arrivée d’une dizaine de photographes qui devaient déployer leur matériel encombrant. Jusqu’ici, le rugby français se pratiquait surtout dans les lycées. La première embellie du rugby tricolore eut pour cadre les tournois scolaires parisiens entre Condorcet, Jeanson-de-Sailly, Buffon, L’Ecole alsacienne ou Saint-Louis. Comme en Angleterre, il parut naturel aux jeunes étudiants de 18 ou 19 ans de continuer à pratiquer le rugby dans des clubs civils. Le Racing fondé dès 1882 devint vite l’un des plus attractifs. Pourquoi ? Sans doute par l’influence de certaines personnalités comme Frantz Reichel ou les frères Gonzalez de Candamo. Le Stade Français s’affirma aussi très vite, il deviendra le premier club de notre pays à rencontrer seul une équipe anglaise puis à la battre (Rosslyn Park en 1894). Ses hommes forts s’appelaient Louis Dedet ou Henri Amand.

C’est au Havre que tout a commencé

Le rugby français est né assez loin de Paris et très loin du Sud-Ouest. Le premier club tricolore a été fondé au Havre en 1872 quand de jeunes Anglais exilés se sont retrouvés pour jouer sur un terrain vague entre la rue Augustin-Normand et la rue François 1er. Dans l’année, le Football Club Havrais prit très vite une forme institutionnelle avec un président, des dirigeants et un organigramme. Il a même disputé le premier match international d’une équipe française le 19 février 1873 à Southampton contre le Porstwood Park Club. La presse de l’époque le relate clairement. Auparavant, dès les années 1860, il y a eu certainement quelques matches franco-anglais du côté de Boulogne ou de Calais, mais ils opposaient des équipes formées sur le tas pour l’occasion qui n’ont pas survécu. Le rugby a mis cinq ans pour rejoindre la capitale avec l’apparition des English Taylors en 1877, mais il ne concernait que des négociants anglais émigrés. Le premier club vraiment français, fut le Paris Football Club créé en 1879, mais dissous en 1886. Le prestigieux Racing Club de France n’a vu le jour qu’en 1882.

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