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Top 14 - Matthias Haddad (La Rochelle) : "Pendant deux jours, j'ai été anéanti, six pieds sous terre"

Par Romain Asselin
  • Matthias Haddad, troisième ligne de La Rochelle, contre Montpellier.
    Matthias Haddad, troisième ligne de La Rochelle, contre Montpellier. Icon Sport - Hugo Pfeiffer
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Matthias Haddad - Troisième ligne de La Rochelle Proche d’un retour à la compétition après deux opérations du genou gauche, l’épatant champion d’Europe de 22 ans - il les a fêtés vendredi - porte un regard rafraîchissant sur cette brutale traversée du désert à laquelle il donne du sens. Entre diagnostic alarmant, visite de Fabien Galthié et hommage à Vito, le flanker avide d’émotions et de rebondissements décode sa démente année écoulée.

Comment allez-vous ?

Bien ! Je suis revenu mi-février à La Rochelle, après trois semaines au Cers de Capbreton (Centre européen de rééducation du sportif, N.D.L.R.). Sacrée expérience. Plein de choses m’ont fait grandir en tant que sportif et qu’homme. J’y ai vu des blessures bien plus graves que la mienne, ça m’a permis de relativiser, d’apprendre à écouter mon corps, à se préparer au mieux pour être performant mais aussi pour se protéger. J’avais tendance à négliger cet aspect.

Une référence à votre première opération à l’été 2022 ?

Vouloir toujours faire plus, repousser les limites… Je pensais que ça allait, que je pouvais continuer. Finalement, non.

À quand remonte la première alerte ?

Au début de la finale de Champions Cup. Je charge sur un maul. Puis je reprends un coup et une torsion au genou gauche, plus douloureuse que la première, avant le barrage contre Toulouse où je serre les dents. J’ai une semaine de pause, je n’y pense plus et, là, je le XV de France m’appelle.

En équipe de France, c'est un pacte avec le joueur, une relation de confiance et je me sentais capable de tenir. Mais même si je n'ai pas joué, je ne regrette pas d'avoir vécu cette expérience énorme.

Pour partir en tournée estivale au Japon, votre première convocation en Bleu…

Mon rêve. Tellement émerveillé que j’en oublie complètement mon genou. Ni la maturité ni la décence de me dire "stop !" Par expérience des moins de 20 ans, quand tu portes le maillot tricolore, le supplément d’âme te fait oublier les bobos. Mais je n’ai pas pris conscience de la situation.

Le staff médical n’avait-il pas mis le holà pourtant ?

Si, clairement. C’est de ma responsabilité. En équipe de France, c’est un pacte avec le joueur, une relation de confiance et je me sentais capable de tenir. Mais même si je n’ai pas joué, je ne regrette pas d’avoir vécu cette expérience énorme. J’essaie de tirer le positif de tous les aléas. J’ai changé des choses dans ma routine personnelle pour axer davantage sur l’entraînement invisible, mettre plus de sens à ce que je fais.

Comme quoi ?

Je tanne les préparateurs physiques pour comprendre le pourquoi du comment, comment on construit une réathlétisation, qu’est-ce qu’on fait et pourquoi on le fait. J’ai aussi été accompagné par la diététicienne du club.

Comme Reda Wardi, l’an dernier…

Je m’en suis inspiré. Reda est un peu comme mon grand frère. Il ne m’a pas lâché quand j’étais blessé, il m’a conseillé et quand je vois ce que ça a donné pour lui, je me suis dit que ça devait sûrement être la bonne voie.

Vous disiez plus haut avoir grandi en tant qu’homme…

À Capbreton, je me suis lié d’amitié avec d’autres sportifs, on était sur le même bateau à cravacher pour revenir le mieux possible, on tirait tous du positif de chacun. Le fait de dormir à l’internat, d’avoir les mêmes restrictions, un couvre-feu et de manger à l’heure des poules créent une aventure. Tous les soirs, on rigolait, on jouait aux cartes, à Undercover (un jeu de société)… Une belle expérience humaine et une parenthèse dans une vie. D’habitude, c’est rugby, réunion et match. Pendant trois semaines, tu es coupé de tout, tu kiffes tous les sports. Si tu as besoin d’extérioriser, Capbreton c’est la meilleure des solutions.

Vous en parlez avec des étoiles plein les yeux…

écouter les expériences des uns des autres, je trouve ça incroyable. Tu te dis que tu n’as rien fait, ça te fait relativiser. Première séance, je croise un mec qui a perdu l’usage de ses deux jambes. Il avait la banane, il venait de faire sa séance comme une machine. Ça met un "choc". Toi, à côté, tu te dis que tu ne peux pas te plaindre parce que tu en as repris pour trois mois. Je ne souhaite de blessure à personne mais il y a toujours pire dans la vie, il faut en prendre conscience. C’est, je pense, chose faite pour mon cas.

Hasard du calendrier, le XV de France était à Capbreton au même moment que vous…

J’étais content de retrouver les copains, discuter avec "Nono" (Nolann Le Garrec), revoir le staff. Ça m’a fait passer un bon moment.

Avez-vous échangé avec Fabien Galthié ?

Il est venu me voir, je ne m’y attendais pas ! Il n’était pas obligé de le faire. On a discuté, ça m’a donné un coup de boost supplémentaire. Ça s’est vu, après, sur mes journées de travail. Je me suis dit : "Matthias, personne ne t’abandonne. Ce n’est pas parce que tu es blessé que tu es mis au placard."

Matthias Haddad à l'entraînement avec le XV de France à Marcoussis en juin 2022.
Matthias Haddad à l'entraînement avec le XV de France à Marcoussis en juin 2022. Icon Sport - Johnny Fidelin

Craigniez-vous d’avoir disparu du paysage ?

C’est la crainte de tout sportif de haut niveau. Tu joues dans des stades pleins, tu vis des émotions très fortes et, du jour au lendemain, tout s’arrête. Je ne veux pas faire ma brebis galeuse car on gagne très bien notre vie mais parfois, la transition entre ombre et lumière peut être rude. J’estime avoir la tête sur les épaules et un environnement stable mais j’ai traversé un moment de doute. Je me suis dit : "Purée, récidive et si ça se passe mal ?" Tu cogites. Surtout qu’au début, on m’avait diagnostiqué plateau tibial et ligament croisé donc un an d’absence ! Puis juste le croisé et finalement "que" le ligament latéral interne.

Pour recontextualiser, vous parlez-là de votre seconde blessure, début novembre 2022, à votre éphémère retour en Top 14…

Ma jambe est en porte à faux, quelqu’un me tombe dessus, ça casse. La faute à pas de chance… J’avais un bout de ménisque externe en moins, ça avait gonflé. Or, un ligament latéral interne ne peut pas gonfler à l’extérieur, donc c’était soit un croisé, soit le plateau tibial…

Le plateau tibial, ça fait aussitôt penser à…

[Il coupe] à Gaby… (Gabriel Lacroix, dont une fracture du plateau tibial signifiera la fin de carrière). J’ai fondu en larmes quand j’ai entendu ça.

C’était panique à bord ?

C’était le feu pendant deux jours, j’étais anéanti, six pieds sous terre. Mais le staff médical, d’un précieux soutien, a été très réactif pour trouver des rendez-vous. Une fois le bon diagnostic posé, j’ai directement basculé en mode verre à moitié plein. L’équipe était aussi là pour moi, ça m’a donné beaucoup de force. Je suis un privilégié.

Une fin de saison du tonnerre, le Graal puis un début de cauchemar : de sacrées montagnes russes émotionnelles…

C’est parti dans tous les sens, à 100 à l’heure. Mais j’aime bien ! C’est la vie. Tu ne peux rien contrôler. Quelque part, c’est génial. Ça donne des émotions. Mon histoire, si elle est toute belle, toute rose, ce n’est pas… J’adore regarder des films. Et j’aime bien quand il y a des galères.

Ça vaut bien une série à rebondissements, votre année 2022 !

J’aurai dû faire acteur (rires). Après, c’est bien aussi de ne pas avoir trop de lumière sur soi pour cravacher, revenir et tout péter. Je garde des objectifs élevés.

Le Mondial 2023 en fait-il toujours partie ?

Je le classerai plus en tant que rêve. Tant que je me donne à fond, je n’aurai pas de regrets. Mon but, aujourd’hui, c’est de m’éclater. Advienne que pourra.

Où en êtes-vous ? Il était question d’un retour à la compétition fin février-début mars…

Je n’étais pas à 100 %. Trois mois avant, j’aurai dit : "C’est bon, je peux jouer !" On m’aurait proposé vingt minutes, j’aurai demandé de jouer tout le match (rires). Je voulais terminer le processus à 100 %, en faisant même ce qui est facultatif. Comme dans un jeu vidéo, quand tu veux le finir. J’ai fait mon jeu du genou (rires). J’espère retrouver l’entraînement collectif à la reprise. J’ai hâte. Maintenant, il faut avoir la légitimité d’être sur le terrain. Il y a une belle concurrence.

La troisième ligne rochelais a bien évolué d’ailleurs…

Il n’y a plus "Vic" (Victor Vito), Wiaan (Liebenberg) ni Kéké (Kévin Gourdon). Des personnes en or, très importantes pour moi.

Donnacha Ryan nous narrait récemment une anecdote pré-finale européenne vous concernant, vous et Vito, forfait. Vous voyez laquelle ?

J’avais une chambre individuelle. L’avant-veille de la finale, "Vic" vient me voir : "ça te dit que je dorme avec toi ?" Là, je me dis, stupéfait : "Attends, Victor Vito veut dormir dans ta chambre ! Mais viens, gros (rires)". On a discuté au taquet. Je peux vous dire qu’il m’a bien préparé.

Racontez-nous…

On a parlé de sa préparation avant sa finale du Mondial 2011. Il a dû m’hypnotiser (rires). Il me répétait que le stress, ça ne servait à rien. Je ne ressentais que de l’excitation. C’est comme vous si vous allez interviewer Dan Carter ou une légende, vous allez être excité. Si vous êtes stressé, vous allez poser des questions de m… (rires). Si vous êtes excité, passionné, il va le voir, il va y avoir une flamme. Cette excitation m’a donné envie de jouer ce match, de ne pas le subir.

Parait-il, même, que c’est lui qui n’arrivait pas à trouver le sommeil !

Alors que moi, ça va, j’ai très bien dormi (rires). "Vic" et Tawera (Kerr-Barlow, lui aussi blessé) avaient conditionné tout le groupe.

Comment ?

Il y a eu une intervention avec une diapo. Et puis cet achat de gâteaux. Ils ont commandé cent cinquante cupcakes à l’autre bout de Marseille, ils ont pris une voiture, ils ont ramené ça pile à l’heure de la fin de la mise en place du capitaine ! Les mecs étaient encore plus en sueurs que nous. Des malades (rires). "Vic" a joué sa finale avec moi. C’est comme s’il m’avait transmis un peu de lui.

Le sentiment d’être "habité" ?

De dire ça, ça fait un peu film. Le mec se prend pour… (rires). Mais c’est vrai que d’avoir discuté de plein de détails, d’anecdotes. Il voulait jouer ce match, il était prêt plus que tout à le remporter. Il faisait partie de mon pourquoi.

Vous sortez une finale de rêve…

On gagne et il y a une photo sur laquelle on pose ensemble, que j’ai gardée. Ça va nous lier à jamais. Ce moment très privilégié passé à préparer ce match, je m’en servirai pour plus tard. J’essaierai de rendre à un jeune joueur ce qu’on m’a donné.

Matthias Haddad face à la défense du Leinster lors de la finale de la Champions Cup au Vélodrome.
Matthias Haddad face à la défense du Leinster lors de la finale de la Champions Cup au Vélodrome. Icon Sport - Hugo Pfeiffer

Vous dégagez une maturité assez folle pour votre âge, non ?

C’est gentil (sourire). Peut-être en raison des expériences vécues au-delà du rugby. J’ai traversé des moments difficiles, sur le plan personnel. Ça forge. Je prends une image : demain, votre maison brûle, ce n’est pas en vous apitoyant sur votre sort qu’elle va revenir. Quand tu es dans le dur, il y a toujours ce "retour de karma". C’est une philosophie de vie, les beaux jours reviennent toujours.

La preuve au printemps 2022. Vous êtes titulaire face au Leinster pour votre huitième titularisation en pro…

En début d’année, j’étais blessé, je n’étais pas au niveau. Et en quelques mois, je passe à une finale. J’avais connu pareille situation avant de remporter la Coupe du monde moins de 20 ans.

En 2019, donc. Vous étiez double surclassé…

En tout début d’année, je disais à un professeur : " Je veux faire comme Jordan Joseph, champion du monde !" Têtu comme une mule, j’ai mal pris le fait qu’il me parle d’objectifs réalisables. Et là je passe d’une année de galère - avec des blessures, à faire un peu n’importe quoi - à une finale de Coupe du monde ! Moi, j’étais en Crabos et les Carbonel et autres, je les voyais à la télé (rires). C’est incroyable ce que réserve la vie, parfois.

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