Abonnés

Francis Cabrel : « Sous les ballons hauts, ça ferait un bon titre de chanson ! »

Par Baptiste Barbat
Publié le Mis à jour
Partager :

Le temps d’une matinée, Françis Cabrel nous a accueilli sur ses terres d’Astaffort, en Lot-et-Garonne, où il a vécu depuis toujours. Et plus justement au Square, l’hôtel-restaurant désormais tenu par sa fille, posé au cœur du village. Le lieu est chaleureux, prestigieux même. Il est marqué par la musique, avec d’innombrables photos pour décorer les murs. Celui qui reste l’un des chanteurs préférés des français, est un vrai passionné de rugby. Et un fervent supporter d’Agen, club phare du département et de son cœur. C’est d’ailleurs grâce à l’une des plus illustres figures du SUA que la rencontre fut organisée : Philippe Sella. Entre deux cafés, au gré de quelques passes échangées avec l’ancien recordman de sélections (111), Francis Cabrel a ainsi déroulé le fil de sa passion pour le rugby. 

Francis, «Je l’aime à mourir», «Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerais»… Pour dire vrai, le rugby était-il la cible de ces textes ?
Oui, elles sont écrites pour Franco Zani ou Pierre Lacroix… (rires)

Plus sérieusement, que représente pour vous le rugby ?
Je crois que les Agenais ont la fibre «rugby» dans le sang. On naît avec. Mon père m’amenait au stade dès mon plus jeune âge ; la première fois, je devais avoir neuf ou dix ans. C’était à l’occasion des grands Agen – Lourdes. Je me souviens de Michel Crauste, terrible combattant. Et la génération d’après avec justement les Zani, Pierre Lacroix, Sitjar, Biémouret. J’allais voir ces gens qui ont marqué ma jeunesse et j’ai ensuite continué d’aller au stade parce que c’est comme une religion, une ferveur qui te prend de plus en plus fort. Ça ne m’a pas lâché et j’y vais encore.

Vous avez toujours vécu en Lot-et-Garonne ?
J’ai été Agenais le temps de 8 jours à la maternité ; ensuite, j’ai toujours vécu à Astaffort. Il n’y a pas d’équipe de rugby dans le village, mais il y a un bon club à Layrac, tout proche. Quand j’ai fait mes études au lycée Bernard Palissy d’Agen, les séances de sport se déroulaient à Armandie et, donc, on jouait au rugby à l’occasion ; surtout que j’avais René Bénésis comme prof de sport... Armandie, c’est donc un stade que je connais bienxis de sport.
Vous n’avez jamais voulu prendre une licence pour pratiquer le rugby en club ?
Non, parce que c’est un sport qui nécessite de la préparation physique, et je n’avais pas le temps. Surtout, il faut être dur au mal et même bagarreur pour être rugbyman, et moi je suis assez douillet dans le genre. Quand vous voyez les joueurs, qui sortent du terrain en grimaçant avec le doigt à l’envers, le médecin qui leur tire un grand coup dessus et ça repart... Quand vous êtes guitariste, ce n’est pas possible... Mais, j’adore regarder les matchs.

Qu’est-ce que vous évoque le vestiaire de rugby ?
Pas grand-chose parce que je n’y suis jamais véritablement rentré. Mais, justement, j’aime cette part de mystère. Quand je vois les caméras dans les vestiaires, ça me dérange toujours. C’est une place intime, un sanctuaire dont rien ne doit transpirer. C’est la petite cuisine entre un entraîneur et ses joueurs, là où s’élaborent les stratégies. Du moins, c’est que j’imagine depuis que les caméras s’y sont introduites... Mais, encore une fois, je n’aime pas ces images ; j’ai l’impression de regarder par le trou de la serrure.

Et le ballon ?
C’est la particularité de ce sport. Un modèle d’intelligence, qui amène un aspect subtil. Le rebond du ballon est si capricieux, si imprévisible, qu’il peut faire «bisquer» tout le monde. C’est une belle particularité. 
Je pense aux buteurs aussi, qui arrivent à être aussi précis avec quelque chose d’ovale. Je me souviens qu’avec mon frère nous jouions à gagne-terrain sur la place du village ou sur le terrain de foot d’Astaffort pendant tout l’après-midi. On se prenait pour Jean-Pierre Razat et on s’envoyait de grands coups de tatanes.

L’expression «Rugby, école de la vie », pour vous c’est une réalité ou un cliché ?
Une équipe de rugby, c’est juste une photo de la société. On a besoin des petits, des gros, des grands, des maigres, bref de tout le monde pour atteindre ensemble le même but. Oui, c’est un bon résumé de la vie de groupe.

À quel poste auriez-vous aimé jouer ?
Depuis les tribunes, j’ai l’impression de bien voir le jeu, et de sentir les coups. C’est dans les intervalles qu’il y a le moins de monde et c’est donc là que, par nature, je me serai faufilé. Avec un peu de vista, je pense que j’aurais pu faire un bon numéro 10. Le rugby aussi c’est du courage.

On dit d’ailleurs qu’il faut avoir « des couilles pour jouer ! ». Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai, il faut du courage mais pas seulement. Il faut être sanguin et avec en même temps de la retenue, savoir où et quand s’arrêter. Parce que c’est un sport qui est très encadré aujourd’hui. N’empêche, il faut toujours du courage pour se lancer à fond dans deux joueurs qui vous attendent. Un peu d’inconscience aussi...

Claude Nougaro disait qu’il était un joueur de troisième mi-temps. Et vous ?
Non. Je n’aime pas trop quand ça crie, quand ça hurle. Je ne bois pas de bière en plus. Au vrai, je ne suis pas un fêtard. Il me semble que la 3e mi-temps doit appartenir aux joueurs, à ceux qui doivent libérer l’adrénaline emmagasinée. Quand on gagne, je suis heureux et sur le trajet de l’après-match je klaxonne -ce qui ne m’est pas arrivé pendant toute une année quand Agen perdait tous ses matchs en Top 14 (rires). Je klaxonne, mais vous ne me verrez pas debout sur une table, les bras en l’air.

Comprenez-vous que l’on décerne des récompenses individuelles dans un sport aussi éminement collectif ?
C’est certes un sport très collectif mais avec des talents incroyables. Prenez l’exemple de Villière ou Kolbe, ces mecs sont insaisissables. Quand ils reçoivent le ballon à l’aile, c’est certes parce que les avants ont dominé et que les trois-quarts se sont fait de bonnes passes…Mais, parfois, l’essai n’est pas tout cuit et ils doivent accélérer, crocheter, et re-accélérer ; je comprends que certains joueurs attirent ainsi la lumière.

On caricature souvent les valeurs du rugby. Y a-t-il un aspect, selon vous, où elles se révèlent particulièrement ?
En mêlée, je pense. Regardez l’attitude des piliers : les mêlées sont très tendues, entre deux blocs surpuissants et, d’un coup, il se passe quelque chose. Ils se regardent, se défient mais ils se respectent. En quelques secondes, ils passent au summum de leur puissance. 
La tâche est tellement difficile pour tout le monde qu’il y a un grand respect entre les athlètes de la même manière que tous respectent l’arbitre ; tous savent ce qu’il faut endurer pour en arriver là. Voilà ce qui nous épargne des scènes détestables que l’on voit par exemple au foot.

Peut-on faire un parallèle entre un groupe de musique et une équipe de rugby ?
Il y a une fraternité dans un groupe de musique. Nous, nous sommes 7 musiciens, 7 techniciens qui ont tous un rôle spécifique. Donc ça peut s’apparenter à une équipe de rugby, oui. J’ai toujours pensé que j’étais un chanteur de groupe plutôt qu’un chanteur solo, accompagné. J’aimerais d’ailleurs me fondre dans le collectif du groupe qui m’accompagne. Comme je suis l’auteur-compositeur de chansons, lorsqu’il y a des arrangements à faire, j’ai le dernier mot. Pour autant, il n’y a pas de discours d’avant concert !

Philippe Sella (à gauche) et Francis Cabrel (à droite).
Philippe Sella (à gauche) et Francis Cabrel (à droite). Midi Olympique - Derewiany Patrick


Pour faire une bonne musique, on dit qu’il faut les 3 «S». Le «Son», le «Sens» et le «Swing». La recette est-elle la même pour qu’un coach fasse un bon discours ?
Le swing, j’ai des doutes. Par contre, pour le son c’est oui ; c’est essentiel pour la persuasion. De même pour le sens, c’est capital.

À quoi ressemblerait un discours d’avant match de coach Cabrel ?
Je pourrais dire aux joueurs : « En face, ils sont comme nous, ils ont 15 bras et 15 jambes », juste pour détendre l’atmosphère. Il n’y aurait pas de termes fleuris, je leur parlerais de concentration, je leur dirais que chacun est essentiel dans sa petite tâche et, qu’ensemble, il faut faire un bloc. Je serais pointilleux sur certaines choses, en rappelant qu’il faut commettre le moins d’erreurs possibles, en le répétant aux récidivistes. Sur les ballons hauts par exemple... Tiens, ça ferait un bon titre de chanson « Sous les ballons hauts ».

Avez-vous essayé d’écrire des chansons sur le rugby ?
J’ai essayé, oui, mais… (il souffle) Franchement, je n’arrive pas à sortir du folklore, du supporter... Je n’ai jamais réussi à en faire quelque chose de bien. Si je devais vraiment en écrire une chanson aujourd’hui, elle serait champêtre et consacrée au rugby de la campagne. J’adore le rugby professionnel mais il est clair et aujourd’hui on voit tout. Le rugby amateur est plus typique, plus imprudent aussi.

Quel geste de rugby vous fait lever de votre siège ?
Ma marotte, c’est le drop ! Je le valoriserais de 4 points. C’est un geste technique pur, dans une phase de jeu en action. Personne ne s’arrête, il n’y a pas de «tee» pour porter le ballon… C’est un geste utile, technique et malin, qui récompense une avancée mais qui est aujourd’hui un peu tombé en désuétude. C’est surprenant, un drop. Heureusement qu’il y a Camille Lopez.

Quel est votre meilleur souvenir rugbystique ?
Ce serait dur de faire un palmarès. Les matchs de l’équipe de France redeviennent extrêmement agréables à voir. J’ai suivi toute la carrière de Philippe Sella, donc il y en a eu des rencontres internationales. Depuis son arrêt, il y a un homme qui nous a fait vibrer : Rupeni Caucaunibuca (ailier ou centre fidjien passé par Agen de 2004 à 2010 et Toulouse de 2010 à 2012 avant de faire son retour au SUA en 2014, N.D.R.L.). Il faisait se soulever le stade Armandie et la quasi-totalité des supporters ne venait que pour lui. Il se sortait de situations impossibles, c’était de grands moments à vivre.

Suivez l’équipe de France ?
Je regarde les matchs, oui. Jamais au stade, parce qu’il faut monter à Paris et que c’est trop compliqué. Je milite pour plus de matchs en province, surtout dans le rugby. Toulouse me semble être une bonne capitale et les Bleus y joueraient encore mieux.

Et la Marseillaise ?
Je ne suis pas très Marseillaise, malheureusement. Je la respecte. Mais je n’apprécie pas les hymnes, de manière générale. Voir les joueurs alignés comme des piquets… Je ne dénigre pas le symbole, mais ça ne me semble pas indispensable. Pour les joueurs, ça doit être quelque chose de très puissant. Être sur le terrain avec une chanson qui unit tout un stade, certains débordent. Je comprends. La Marseillaise… Certains ont essayé d’y toucher, de la réécrire. Elle est comme elle est. Et se trouve en adéquation, je pense, avec le moment où elle retentit puisqu’elle prépare à un certain combat encadré... Imaginez si les joueurs chantaient Petite Marie ; ce serait plus romantique (rires).

Les joueurs du XV de France célèbrent leurs succès avec vos chansons. Ça vous touche ?
Oui, je suis très fier. Je n’imaginais pas en écrivant Rosie qu’elle serait chantée en chœur par les gens. Je ne l’imaginais pas pour aucune de mes chansons, d’ailleurs. Mais c’est vrai que les gens transportent aujiurd’hui cette chanson, jusque dans les vestiaires de rugby.

Vous avez partagé un moment avec le XV de France lors du dernier Tournoi. Les joueurs sont-ils bons en musique, aussi ?
Je peux citer le Toulousain Peato Mauvaka qui est un excellent chanteur, moins timide que les autres. Il y a un deuxième ligne qui a un sacré coup de guitare, aussi : Thibaud Flament Je lui avais prêté la mienne.

En plus des hymnes, le rugby a une spécificité musicale : le haka. Comment expliquez-vous qu’il soit plus populaire que l’hymne néo-zélandais par exemple ?
C’est vrai, je ne sais pas ce que raconte l’hymne néo-zélandais. Je pense que la force du haka réside dans la gestuelle, dans la chorégraphie, dans la précision car personne ne rate un geste. Ils sont tous dans le même élan, le même mouvement. 
Le visage, le regard jouent énormément aussi. Les bras, les jambes, c’est l’expression qui vient de l’intérieur de soi et qu’ils renvoient vers l’adversaire. Je ne sais pas si l’aspect musical a une importance, car le Haka est plus éructé que chanté, mais c’est un spectacle total.

Vous comprenez sa dimension psychologique ?
Je comprends que ceux qui sont juste en face, parfois très proches, puissent être affectés, impressionnés par l’énergie dégagée. Mais je ne pense pas que ça offre un avantage psychologique aux All Blacks, car ça peut se retourner contre eux. Il y a beaucoup de mise en avant, de fanfaronnade. On montre ses muscles…ils ne font que reproduire ce qui arrive du fond des âges. Il faut prendre le Haka dans sa beauté pure et s’estimer chanceux d’avoir ce témoignage aussi ancien qui remonte jusqu’à nous.

Il pourrait être inspirant pour une chanson ?
Absolument pas ! Il y a tout ce qu’il ne faut pas pour faire une chanson (rires). Dans une chanson, il faut un peu de poésie, un peu de romantisme, enrober un peu la réalité dans quelque chose de plus doux à entendre. Un peu de rêve ! Alors que là, c’est le réel absolu, les deux pieds dans le sol. Un genou à terre, les muscles saillants… Il n’y a rien en commun avec l’idée que je me fais de la chanson.

En Coupe du monde, le XV de France a souvent opposé une réaction face au haka. Que ressentiez-vous dans ces moments-là ?
J’ai un peu de mal avec ceux qui ont une réaction contre le haka. Ça me gêne. Je pense qu’il faut respecter le haka. Rester à sa place, le regarder, s’imprégner, et se servir de toute l’énergie dégagée pour soi-même basculer dans une phase d’affrontement. Il faut l’observer comme un tableau qui vient du fond des âges. C’est magnifique de pureté. Les joueurs nous font ainsi participer à leur histoire, et ils la ramènent jusqu’à nous. Le match n’a pas encore commencé. Ils se présentent, d’où ils viennent… Ils sont des descendants de guerriers. Mais ils vont jouer un match de rugby, où ils vont respecter les règles, comme tout le monde. Imaginez que pendant la Pena Baiona, les adversaires envoient de la musique techno dans les enceintes. Ce n’est pas le bon moment pour répondre. Je trouve que notre jeune équipe de France intériorise un peu plus et sait se lâcher au bon moment.

Vous auriez un message pour les Bleus en vue du mondial ?
Je leur dirais qu’on compte sur eux. Ça ne va pas être facile en Coupe du monde, mais ils ont suffisamment de talent pour l’emporter. À chaque poste, on a un joueur capable d’être meilleur que son vis-à-vis, qu’importe l’adversaire. Ils ont les armes pour être champions du monde.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?