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Top 14 - Zack Henry (Pau) : "La période la plus difficile de ma vie"

Par Nicolas Augot
  • Zack Henry sous le maillot palois
    Zack Henry sous le maillot palois MIDI OLYMPIQUE - PATRICK DEREWIANY
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Très attendu en début de saison, l’ouvreur anglais a vu son père, atteint de la maladie de Charcot, partir en six mois. Malgré cette épreuve, il a toujours voulu répondre sur le terrain.

Vous avez manqué quelques matchs depuis le mois de janvier pour des problèmes physiques, avant d'en réaliser un bon face à La Rochelle. Êtes-vous prêt pour ce sprint final ?

Dans une saison très longue, avec beaucoup de matchs, c’est normal de connaître quelques petites blessures. J’ai été touché à une épaule lors d’un choc contre Lyon, mais maintenant ça va beaucoup mieux. Mais la vérité me concernant… J’ai connu la période la plus difficile de ma vie avant Noël car j’ai perdu mon père en fin d’année. Il nous a quittés un lundi matin mais j’ai voulu jouer contre le Stade français le samedi (le 15 octobre, N.D.L.R.). Je suis ensuite rentré en Angleterre en début de semaine avant de revenir à Pau pour jouer le week-end suivant. C’était une période… (il marque une pause) Toute ma famille était en Angleterre et j’étais seul dans le sud de la France. J’ai perdu mon plus grand supporter en raison de la maladie de Charcot. Je suis quelqu’un qui essaie d’être tout le temps à 100 %, de faire les meilleurs matchs à chaque fois, mais je suis aussi humain. C’est peut-être normal de ne pas avoir réalisé mes meilleures performances dans cette période-là, j’étais vraiment dans le dur. Je sais que ça ne va pas être facile pendant longtemps. J’ai perdu mon père. C’est dur, mais je commence à me sentir un peu mieux, capable de faire des performances comme contre La Rochelle.

Vous aviez appris la maladie de Charcot de votre père en avril 2022…

Ce qui a été difficile, c’est que je vivais vraiment une très bonne période. Je n’avais jamais été aussi heureux que depuis mon arrivée à Pau. Je vivais les meilleurs moments de ma carrière. J’arrivais chaque matin à l’entraînement avec le sourire. Je me sentais parfaitement bien dans un groupe extraordinaire et personnellement, j’avais du temps de jeu. Je profitais de la ville, du soleil du sud. Mon père était aussi très heureux que je vive à Pau. Il était venu plusieurs fois. Il adorait la ville, le stade. Avoir chopé cette maladie-là, comme ça, d’un coup, c’est quelque chose que je n’ai toujours pas compris. C’est une maladie difficile à comprendre. Tu peux être vivant pendant trois ans, cinq ans mais là, la maladie a empiré en six mois. Mon père était si fort, si vivant et son état s’est dégradé rapidement, comme ça, en quelques mois. Le voir mourir, c’était horrible. Les mois de maladie ont été horribles à vivre. Après, il a fallu faire le deuil. Continuer à jouer pendant toute cette période, être concentré sur le rugby et enchaîner les matchs… Cela m’a certainement permis de ne pas voir la réalité en face mais elle m’a rattrapé dans les trois derniers mois. J’avais vraiment mal.

Est-ce que cette période vous a fait réfléchir sur votre avenir ?

Je ne veux pas parler de la prochaine saison. C’est vrai que je suis seul dans le sud de la France. Avec tout ce qui s’est passé, c’était vraiment difficile de ne pas être en Angleterre, avec ma famille. La vérité, c’est que j’adore la Section paloise. J’adore ce groupe et à Pau, je me suis fait des amis pour la vie. Je suis totalement concentré pour maintenir l’équipe en Top 14. C’est un club et un groupe très spécial. Ici, c’est ma famille loin des miens. J’ai la chance d’être entouré de ces mecs donc je suis totalement concentré sur nos six derniers matchs, sur ces trois derniers mois. Je veux tout donner pour ce club.

Le match face à La Rochelle est-il un nouveau départ pour vous ?

Ça va prendre du temps. Je ne vais pas oublier mon père parce que j’ai fait un bon match contre La Rochelle. C’est un chemin. C’est toujours dur, mais je pense que le plus dur est derrière moi. J’espère continuer à gravir un peu cette montagne, pour montrer mon talent et faire les matchs dont je suis capable. Je sais que j’ai beaucoup plus à donner pour cette équipe, plus à montrer. C’est mon but pour les six derniers matchs.

Était-ce dur de ne rien montrer de votre souffrance personnelle dans cette période ?

C’était dur… Pendant la maladie de mon père, beaucoup de journaux ont demandé des interviews mais j’ai tout refusé. Je ne voulais pas parler. Je vivais au jour le jour. Franchement, chaque jour était une bataille. Je n’avais pas d’énergie, je ne me sentais pas bien mais je savais que j’avais des matchs à jouer. Je me levais en me concentrant sur ma séance de préparation physique, sur ma séance de musculation, sur le boulot collectif, les réunions et puis je rentrais chez moi. Et ainsi de suite, en ne pensant qu’à faire ça. J’ai fait ça pendant de longues semaines… Dix, douze, treize semaines sans penser à autre chose. Mais je suis un humain, ça a fini par me rattraper. J’espère que c’est derrière moi. Je considère que j’ai eu de la chance avec ce groupe. Je me sentais loin de ma famille mais j’ai pu compter sur le soutien de mes potes, dans l’équipe.

Pensez-vous avoir trop caché votre souffrance pendant cette période…

Seb (Piqueronies, N.D.L.R.) et les coachs ont été très gentils avec moi. Ils étaient conscients de la situation. Sébastien a vraiment été à l’écoute. J’ai certainement fait un peu trop semblant. Je cachais deux ou trois choses. Je ne vais pas dire quel match, mais il y en a un dont je ne me rappelle pas. J’ai vu la vidéo et les photos mais je ne me souviens pas de ce match. Je sais que j’étais sur le terrain mais mon esprit était ailleurs. J’espère que c’est derrière moi. Maintenant, ma mentalité est de penser qu’il faut être reconnaissant envers les moments difficiles car ils permettent de construire un meilleur futur. Si je peux sortir de la pire période de ma vie et être toujours cinquième meilleur marqueur en Top 14, être sur le terrain en faisant des matchs pas trop mauvais, je sais que je peux être très fort quand tout va bien. C’est mon père qui m’a insufflé cette mentalité. Il m’a toujours expliqué que les périodes difficiles étaient les fondations d’un bel avenir. Je suis dans cet état d’esprit maintenant.

Étiez-vous partagé entre l’envie de passer du temps auprès de votre père en Angleterre et rester à Pau pour jouer ?

J’avais déjà connu des périodes difficiles. La vie ne peut pas être parfaite tout le temps. Sinon, c’est qu’on se ment. Mais il faut toujours essayer de donner le meilleur de soi. Pendant cette période où j’étais dans le dur, même si je n’étais qu’à 50 %, je donnais les 50 % que j’avais. Si j’étais à 30 %, je donnais ces 30 %. J’ai toujours donné tout ce que j’avais même si je n’étais pas à 100 %. J’ai joué pour ma famille, pour mon père pendant sa maladie. J’avais envie de rentrer en Angleterre pour être à ses côtés, mais il m’avait demandé de continuer à jouer. Il m’a fait comprendre que la seule chose positive qu’il lui restait était de me voir sur le terrain. Ma mère me racontait qu’il regardait le match, puis le résumé, puis il regardait encore deux fois le match dans la semaine. Être sur le terrain me permettait de savoir que j’offrais quelques bons moments à ma famille. Je me rappelle le match contre Toulouse au Hameau. J’étais vraiment au plus mal mais nous avons gagné. Ma mère m’a dit que mon père avait souri pour la première fois depuis trois semaines. Je suis fier d’avoir pu lui donner ces quelques petits moments de bonheur. Mais ça m’a coûté cher, aussi, de jouer dans cet état mental. Il est décédé une semaine avant le match à La Rochelle où nous avons gagné. C’est un des moments les plus forts de ma carrière. Il n’était plus là pour le voir et toute ma famille en Angleterre était en train d’organiser ses funérailles. Tout le monde était très déprimé, mais toute ma famille a regardé le match. Ils ont vécu quelque chose de fort ensemble. Ils ont pleuré, ils étaient vraiment fiers. De mon côté, je n’arrivais pas à être heureux. Je voyais mes partenaires communier avec les supporters, c’était génial. J’étais en retrait, simplement content d’avoir pu donner ce petit moment de bonheur à ma famille.

"Mon père m’avait dit qu’il ne voulait pas que je change ma carrière en raison de sa maladie."

Quel a été le message du staff de la Section ?

J’avais de bonnes discussions avec Sébastien (Piqueronies). Il me demandait si j’étais capable de jouer les matchs. Mon père m’avait dit qu’il ne voulait pas que je change ma carrière en raison de sa maladie. Il m’a dit : "On n’a pas fait tout ça depuis que tu es jeune pour que tu arrêtes de jouer quand je tombe malade. Rends-moi fier." J’avais bien compris que j’allais être déprimé, que je joue ou que je ne joue pas. J’ai senti que je serais mieux auprès de l’équipe, en jouant des matchs plutôt que d’être en Angleterre en regardant les matchs sans rien faire.

Il était important pour vous d’en parler aujourd’hui…

Je ne vais pas lire ce qui se dit sur les réseaux sociaux. Je m’en fous. Mais j’entendais qu’il y avait vraiment beaucoup de bruits autour de moi, sur mon départ à la fin de la saison, sur le fait que je ne faisais pas mes meilleurs matchs. Des gens se demandaient ce qui se passait avec moi. Est-ce que j’étais toujours mentalement à la Section ? Est-ce que j’étais blessé ? Si tu demandes à tous mes coéquipiers, ils diront que j’ai toujours bossé très dur pour l’équipe. Malgré tout ce qui a pu se passer, j’étais présent tous les matins aux réunions, à chercher des solutions, à penser à notre système offensif, à être bien positionné. J’ai toujours été concentré sur la Section mais j’ai traversé une période vraiment difficile. En perdant mon père de cette manière-là, il m’était difficile d’être tout le temps à 100 %. J’ai entendu que j’étais nul. O.-K., mais j’ai toujours tout donné. Mon caractère fait que je suis toujours investi dans ce que je fais. J’ai senti cette pression autour de moi car je ne pouvais pas expliquer ce qui m’arrivait. Maintenant, je me sens un peu mieux pour pouvoir parler de cette période. Avant, je n’avais pas la force de le faire. Maintenant, je veux passer à autre chose et réaliser une grande fin de saison. Je commence à sortir la tête de l’eau. Je me sens un peu plus présent. Je commence à être un peu plus relâché, un peu plus tranquille. Mais dans cette période-là, j’allais à gauche, à droite. La semaine des funérailles de mon père, je suis rentré en Angleterre le lundi soir après l’entraînement. J’ai enterré mon père le mardi et j’étais à l’entraînement le mercredi en France. Après la cérémonie, alors que tout le monde était à la maison, je suis allé dans ma chambre pour faire un peu d’exercice physique pour être certain de ne pas me blesser le lendemain à l’entraînement. J’ai fait des allers-retours, j’ai passé des moments en famille, mais je suis toujours resté concentré sur le match du week-end.

Votre père avait-il compris votre départ pour la France, à Rouen à l’époque ?

J’ai vite compris que le rugby anglais ne me correspondait pas trop. J’avais eu de bonnes discussions avec Richard Hill mais mes parents n’ont pas bien compris, au départ. Mon père me répétait que ce n’était pas une bonne opportunité mais dès qu’il a pu venir à Rouen, il a adoré. Nous en rigolons en famille car on le revoit avec ses jetons, pour prendre des bières à la buvette. Il avait toujours ses jetons. Il parlait tout le temps de ses jetons. Après, il est venu à Nevers, à Leicester et à Pau. Il était vraiment fier de mon parcours. Il a fait ce que je suis. C’était quelqu’un d’exemplaire. Il était toujours positif, avec l’envie de toujours progresser en travaillant dur, en gardant le sourire. Mon père était mon idole. Ma motivation pour le reste de ma carrière est de jouer pour lui et ma famille. Le match contre Toulouse est certainement le moment où il a été le plus fier, en raison du score mais aussi parce que nous avions fait un match plein avec une ambiance incroyable dans le stade. Il savait que je voulais rentrer en Angleterre, que je n’allais pas bien. Mais son mantra dans la vie était de montrer son caractère quand on est dans le dur. Il était fier que je fasse un bon match, ce jour-là, dans ce contexte.

Vous êtes maintenant investi pour lutter contre la maladie de Charcot. Parlez-nous de votre engagement.

J’ai un groupe de très bons potes en Angleterre. Ils ont voulu faire quelque chose pendant la maladie de mon père. Ils ont organisé une journée caritative à Brighton. Ils ont nagé sur deux kilomètres dans la mer, avec d’autres animations pendant la journée. Il y avait beaucoup de monde, des médias et nous sommes parvenus à récupérer 15 000 livres pour lutter contre la maladie de Charcot. Maintenant, nous avons décidé de répéter cet événement chaque année. Je m’investis dans les opérations pour lutter contre cette maladie. Je discute avec des jeunes qui en sont atteints. C’est quelque chose qui m’a touché. Je veux que l’on trouve une solution. En ce moment, ça n’existe pas. Quand tu chopes cette maladie, tu ne peux rien faire. Tu vas mourir, que ce soit au bout de trois mois, trois ans ou cinq ans. Tu sais que tu vas mourir. C’est horrible car tu perds quelque chose chaque jour, sans aucun retour en arrière possible. Il a perdu sa voix, après ses bras, puis ses jambes et ainsi de suite. C’était juste horrible de voir son état se dégrader ainsi, aussi vite pendant six mois. Il a souffert. Je sens donc que mon rôle est d’aider des gens à éviter une telle souffrance dans le futur.

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