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200 ans de légendes (12/52) : un règlement inventé en pleine finale

Par Jérôme Prévot
  • La finale de 1947 entre Toulouse et Agen fut l’une des plus controversées de l’Histoire.
    La finale de 1947 entre Toulouse et Agen fut l’une des plus controversées de l’Histoire. Icon Sport - Icon Sport
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La finale de 1947 entre Toulouse et Agen fut l’une des plus controversées de l’Histoire. On vit des joueurs oser résister à l’arbitre et aux autorités au mépris de toutes les lois du jeu. Que de palabres sur le bord de la touche.

On aurait pu seulement parler de ce match comme d’une finale énorme entre deux écuries phares pleines de pur-sang. Il fut bien plus que ça, une vitrine d’un rugby encore soumis aux passions de toutes sortes. Au stade des Ponts-Jumeaux de Toulouse, le Stade toulousain, invaincu et surarmé de talents, affrontait le SU Agen. Le duel s’annonçait très chaud déjà, parce que les deux clubs se sentaient en rivalité, parce que les Toulousains jouaient à domicile, ce qui avait entraîné des protestations des Agenais. Mais la FFR était demeurée inflexible.
Les deux équipes affichaient une collection de talents et de personnalités impressionnantes. Toulouse pouvait compter sur le romantique Yves Bergougnan à la mêlée, le docteur André Brouat au centre, le capitaine Robert Barran en troisième ligne, futur grand journaliste sportif (« Miroir du rugby » c’était lui). Trois pointures de l’après-guerre. Le numéro 8, Yves Noé, serait, un jour, un truculent manager du XV de France… Le trois-quarts aile Henri Dutrain avait aussi du gaz. On disait que les Rouge et Noir n’avaient jamais été aussi bien outillés depuis au moins vingt ans, depuis leur dernier titre en 1927.

À Agen, le rude et autoritaire Guy Basquet officiait en troisième ligne. Albert Ferrasse, futur président de la FFR, poussait en deuxième ligne tout en assumant les tirs au but. Le grand Mick Pomathios, résistant à 16 ans, sprintait sur son aile, avec ses mensurations de décathlonien. Il serait le premier Français sélectionné avec les Barbarians. L’autre deuxième ligne, Robert Landes, n’était pas un plaisantin. Ce SUA ne faisait vraiment pas rire.

30 000 spectateurs médusés

Il était dit que ce match danserait sur un volcan avec des éruptions en série. Dans les jours précédents, l’ailier international toulousain Jean Lassègue, « le french buffalo » avait vu une couveuse électrique lui exploser au visage dans sa ferme de Rieumes. Forfait ! Jamais on avait vu un tel engouement aux Pont-Jumeaux, les spectateurs se perchent sur les murs, sur le tableau d’affichage, ou s’assoient à même le gazon à vingt centimètres des lignes. Les 30 000 amateurs de sensations fortes ne furent pas déçus : Agen marque rapidement par Fernand Ferria puis la partie vire vite à l’aigre avec un pugilat entre Robert Landes et le flanker Albert Caraguel. Puis, soudain, le coup de théâtre : sur une relance, l’ailier toulousain Pincho Sanchez tente de s’infiltrer au milieu des lourds avants agenais. Il est sévèrement séché, d’un coup de pied à la hanche, croit voir l’arbitre Maurice Delmas. Il expulse illico Guy Basquet. Les Agenais protestent avec la dernière énergie, M. Delmas semble un instant revenir sur sa décision. Erreur fatale ! C’est au tour de Robert Barran, capitaine toulousain, de voir rouge et d’exiger le départ du présumé coupable. Les Agenais en rajoutent et menacent de quitte le terrain. Les dirigeants de la FFR s’en mêlent. Sur le bord de touche, on voit Marcel Laurent, l’entraîneur du SUA, parlementer avec les Crabos, Bru, Rougean, Piteu descendus jouer les messieurs bons offices sous le regard d’une foule impatiente et incrédule.

On consulte le président Alfred Eluère, présent en tribune officielle. La situation est ahurissante, les négociations durent 25 minutes, puis Monsieur Bru dirigeant fédéral tente un coup de poker. Il propose un compromis aux Agenais si remontés : Guy Basquet va sortir, d’accord, mais reviendra après la pause. Les Toulousains ne s’y opposent pas. C’est extravagant, la FFR invente en direct un nouveau règlement, l’expulsion temporaire de seize minutes pour sauver la finale du naufrage. Basquet s’exécute, et le match reprend. Toulouse s’impose sans en faire trop, en gérant avec autorité : Yves Bergougnan ajoute deux coups de pied, un drop classique et un drop sur coup franc. Albert Caraguel, chien de berger, marque un essai final. Un Stade toulousain superbe soulève le Brennus, le dernier avant 38 ans et le sacre de la génération Bonneval-Charvet (le neveu de l’arrière André Mélet).
Le fameux incident de la 24e minute fit évidemment couler beaucoup d’encre. Jamais plus la FFR ne déjugerait ainsi un arbitre. Jamais plus, elle ne céderait ainsi devant un club de grandes gueules. Basquet méritait-il sa vraie fausse expulsion ? Trente ans après, sur son corps, Pincho Sanchez, artisan plâtrier de métier, montrait encore le coup.

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