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Lénaïg Corson : "Les filles avaient des cocards, le nez en sang... mais ne sortaient pas du terrain"

Par Simon VALZER
  • Internationale à XV et à VII avec l'équipe de France, Lenaïg Corson évolue depuis l'année dernière en Angleterre, où elle défend les couleurs des Harlequins, basés à Londres.
    Internationale à XV et à VII avec l'équipe de France, Lenaïg Corson évolue depuis l'année dernière en Angleterre, où elle défend les couleurs des Harlequins, basés à Londres. Harlequins - Harlequins
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Depuis novembre dernier, l’ex-deuxième ligne aux 30 sélections avec les Bleues joue pour les harlequins. De l’intérieur, Elle décrypte les forces et les faiblesses du rugby féminin anglais, plus brutal, pragmatique mais aussi plus prévisible que son homologue français.

Vous étiez engagée chez les Wasps, comment êtes-vous arrivée chez les Harlequins ?

J’ai joué mon premier match avec les Quins le 11 décembre dernier. Je suis arrivée après l’épisode des Wasps, où le club a déposé le bilan. J’ai passé sept semaines au frigo à la maison en attendant de quoi mon avenir serait fait. C’était vraiment difficile. J’étais dans l’expectative, et puis l’opportunité de rejoindre les Harlequins s’est présentée. J’ai foncé.

Quand vous étiez internationale tricolore, comment expliquiez-vous la supériorité des Anglaises ?

Elles étaient au-dessus du lot, c’est indéniable. Elles étaient nos plus grandes ennemies, mais les quelques Crunchs remportées par les autres équipes de France dans le passé me donnaient de l’espoir. Et puis à chaque fois, j’avais l’impression qu’on perdait de trois fois rien. À chaque fois, c’était des détails… Un coup de pied mal ajusté, le ballon ne sort pas et derrière on prend un contre de quatre-vingts mètres dans les dernières secondes du match. En 2017, à Twickenham, on mène 13 à 0 à la mi-temps. Mais on était peut-être fatiguées, et on a subi en deuxième mi-temps. Je n’ai jamais eu la sensation d’être très loin d’elles. Pour ce 6 Nations, j’ai l’impression que les Françaises peuvent les taper. Les Anglaises ont des blessées et sont dans un nouveau cycle après le Mondial et les retraites de plusieurs joueuses importantes. Pour le voir au quotidien, je me rends compte que certaines joueuses sont très sollicitées entre leur club et la sélection.

Mais comment expliquer leur série de onze victoires consécutives ?

Ce que j’ai réalisé en venant ici, c’est que les Anglaises passent des heures et des heures à travailler deux choses : les sorties de camps, et les zones de marque. L’autre jour, on a fait une heure non-stop de contacts, suivie d’un quart d’heure de pick n’go. Je n’avais jamais fait ça de toute ma vie. On s’est rentrées dedans à pleine intensité, comme si c’était un match de phase finale alors qu’il ne s’agissait que d’un entraînement ordinaire. D’ordinaire, en France, on garde cet engagement pour le match. Pas ici. Les filles avaient des cocards, le nez en sang, mais ne sortaient pas du terrain. Ici, c’est donc jeu au sol, attitudes au contact, sorties de camp et zones de marque. On travaille ces quatre choses en permanence. C’est typiquement anglais.

Quid du jeu courant ?

On n’en fait pas beaucoup. On répète beaucoup les lancements de jeu, mais on ne joue jamais en adaptation à ce qu’il se passe en face de nous. C’est un truc de fou… et ça me manque terriblement ! En Angleterre, on ne fait pas confiance à l’instinct des joueuses, on leur fait répéter des gammes. On m’a même dit ici que j’étais «trop intelligente»… Juste parce que je m’adaptais à ce qu’il y a en face ! J’ai répondu que n’importe qui pouvait faire ça, qu’il suffisait de le travailler ! Je ne vous cache pas que je ne prends pas beaucoup de plaisir à pratiquer ce jeu aussi prévisible... Ce constat est un peu moins vrai pour les Saracens et Exeter, qui me semblent être les meilleures du championnat anglais et où l’on trouve un meilleur équilibre entre le jeu d’avants et celui des trois-quarts.

Racontez-nous le secret des mauls anglais…

On les travaille en permanence ! Sur trois entraînements rugby la semaine dernière, il y avait trois séances de touches. Sur les mauls, chacune sait où elle doit aller, c’est millimétré et il n’y a pas le droit à l’erreur, à l’hésitation, et encore moins à l’initiative ou à l’adaptation. Tout est phasé. Dans le jeu courant, les placements des joueuses sont prévus sur trois ou quatre temps de jeu mais aucune place n’est laissée à l’adaptation. Il suffit de tout retenir, et d’aller sur les positions. L’autre jour, j’ai réceptionné un coup d’envoi : il y avait un espace dans le couloir de touche donc j’y suis allée pour gagner du terrain. Mais on m’a repris en me disant que je devais systématiquement viser le centre du terrain, même s’il y a un espace ailleurs… Le plus drôle, c’est qu’on me dit de rester moi-même et de jouer mon rugby ! (rires) C’est pour ça que les Anglais parlent de «French Flair". Pour eux, c’est presque inconcevable de jouer comme ça. Ici, on préfère les grosses porteuses de balles, qui vont avancer de quelques mètres, aller au sol, et libérer pour envoyer d’autres grosses porteuses.

Combien d’internationales avez-vous chez les Harlequins ?

Nous sommes vingt-sept internationales dont quatre qui jouent actuellement pour l’Angleterre : l’arrière Elie Kildunne, l’ailière Abbie Dow, la centre Lagi Tuima, et la demi de mêlée Lucy Packer. Toutes des trois-quarts… et pourtant, on joue comme ça.

Comment voyez-vous cette finale ?

Si l’on joue comme on l’a fait contre les Galloises, les Anglaises vont nous mettre une pression monstrueuse pour que l’on sorte mal de notre camp. Et dès qu’elles arriveront dans la zone de marque, elles pilonneront sans cesse car les Galloises nous ont mises en difficulté dans ce secteur. Encore une fois, ce sont vraiment les deux zones qu’elles travaillent le plus à l’entraînement. Je trouve qu’on les travaille moins en France, et c’est peut-être pour cela qu’on a plus de mal à garder la tête froide près des lignes. En Angleterre, on insiste sur le fait qu’il n’y a pas de stress à avoir : on a la possession, on est à cinq mètres de la ligne adverse… c’est l’adversaire qui doit être stressé !

On a l’impression que les Anglaises se moquent un peu de ce qu’il se passe entre les deux lignes des vingt-deux mètres…

C’est exactement ça ! En France, on est des esthètes, on veut pratiquer un beau rugby au milieu du terrain. On dit souvent que le rugby anglais est pragmatique… Elles s’en moquent de bien jouer au rugby au milieu du terrain ! Elles veulent arriver près de la ligne adverse et marquer, point. Je me souviens encore de la dernière finale du 6 Nations à Bayonne, c’était un rugby à ch… les Anglaises ont marqué sur quatre mauls.

Travaille-t-on beaucoup le jeu au pied en Angleterre ?

Je n’en ai pas l’impression, non. En revanche il y a plus de technique individuelle, notamment sur le jeu au sol. On a un dojo spécifiquement dédié à travailler les techniques de plaquages, de rucks, de mauls, des doubles poussées près des lignes de marques et les attitudes au contact.

Que vous apporte l’apprentissage de ce rugby anglais ?

Sur le plan du jeu, je suis un peu frustrée parce que j’ai un profil qui ne ressemble pas tout à fait au projet de jeu du club mais cela me fait du bien de m’ouvrir à ces formes de jeu. Et puis c’est moi l’étrangère, donc c’est à moi de m’adapter. Une joueuse anglaise en ferait de même en France.

Avez-vous l’impression que les joueuses anglaises s’entraînent davantage au sein de leurs clubs ?

Je passe plus de temps au centre d’entraînement, mais je n’ai pas l’impression que la charge de travail physique est supérieure. Le jeu n’est pas basé sur le rythme ou le déplacement, donc on ne court pas plus. Sur une journée classique, on commence en début d’entraînement par une séance de skills : vitesse le mardi, et dojo le jeudi où l’on peut faire touches ou ballons portés. On a ensuite une heure de pause, puis une heure trente de musculation avec un protocole médical assez strict. C’est l’une des grandes différences avec la France, le suivi médical est un cran au-dessus. J’ai souvent été blessée sur mes trois dernières saisons en France, alors qu’ici je n’ai connu aucun pépin. Un protocole spécial a été mis en place pour mes tendons, ischio, et mollets. À mon retour de vacances, je ne suis pas revenue directement sur le terrain, j’ai dû passer des tests et ma charge de travail a été aménagée. C’est aussi lié au fait que le staff est bien plus fourni ici qu’en France… On poursuit la journée avec une autre heure de réunion puis une séance terrain d’une heure et demie. En gros, on fait 14 h - 21 h 30 au stade sur les deux grosses journées d’entraînement. Le lundi est plus léger, avec juste musculation et entraînement. On ne s’entraîne pas les mercredis et les vendredis.

Vous dites que les staffs des clubs sont plus fournis ?

Clairement. Aux Harlequins, nous avons deux kinés et demi, deux préparateurs physiques à plein temps, un docteur, un entraîneur des avants, un pour les arrières, un manager, une chargée de logistique, deux personnes pour les GPS, un intendant et une autre qui gère le drone et la vidéo. Ce qui fait quatorze personnes. C’est vraiment épais. Cela explique aussi beaucoup la performance du rugby féminin anglais.

Le championnat est-il plus compétitif ?

Oui, et on le voit sur le terrain. Les passes sont plus précises, les lancements sont millimétrés. Et puis il arrive régulièrement des surprises. Comme en Élite 1, il peut y avoir des écarts au score conséquents, mais les matchs retours ne sont pas gagnés d’avance. On avait largement gagné contre Bristol à l’aller, et elles ont gagné chez nous au retour. Il n’y a pas de vérités comme dans le championnat français.

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