Abonnés

Finale Top 14 : La Rochelle, même les robots ont des failles

Par Vincent BISSONNET
  • Toute la détresse de Romain Sazy et Uini Atonio (ci-dessus). Les guerriers rochelais comprennent qu’ils viennent de laisser passer leur chance de réaliser un incroyable doublé coupe d’Europe - championnat en s’inclinant sur une percée magistrale de Romain Ntamack. Il fallait bien ce coup de poignard de l’ouvreur toulousain pour mettre le colosse Will Skelton (en bas à droite) au sol. Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
    Toute la détresse de Romain Sazy et Uini Atonio (ci-dessus). Les guerriers rochelais comprennent qu’ils viennent de laisser passer leur chance de réaliser un incroyable doublé coupe d’Europe - championnat en s’inclinant sur une percée magistrale de Romain Ntamack. Il fallait bien ce coup de poignard de l’ouvreur toulousain pour mettre le colosse Will Skelton (en bas à droite) au sol. Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
  • Même les robots ont des failles
    Même les robots ont des failles
  • Même les robots ont des failles
    Même les robots ont des failles
Publié le
Partager :

À 180 secondes d’un doublé qui leur tendait les bras, les Maritimes ont craqué. Pour une fois, la fin de match n’a pas basculé en leur faveur. Un dénouement inattendu qui trouve pourtant des ramifications dans le film de leur saison. Et qui, face à Toulouse, a une résonance particulière.

La 78e, minute bénie, minute maudite. Le 20 mai, à quelque 200 secondes de l’ultime coup de sifflet d’une finale de Champions Cup amenée à entrer dans la légende, les Rochelais avaient enterré les espoirs du Leinster en récupérant une pénalité en or. Quatre semaines plus tard, au même moment de la partie, ils ont vu Romain Ntamack et leur rêve de doublé leur filer inexplicablement entre les mains. Deux dénouements aux frontières du réel, aux confins de la folie. "C’est ce qui fait la beauté et la cruauté de ce sport" : les mots de Gary Ringrose, extraits d’un Aviva transi d’effroi, résonnaient tout autrement, un mois plus tard, dans les coursives du Stade de France.

Une bonne heure après avoir basculé du mauvais côté de la gloire, Ronan O’Gara en était encore étourdi : "Imaginez, le doublé était là, il était dans la poche…" Le passage dans l’ascenseur émotionnel venait de plonger tout un vestiaire dans l’incrédulité : "C’est vrai que c’est dur de perdre ainsi, soufflait Grégory Alldritt, aussi grand dans la victoire que dans la défaite. Mais on avait gagné deux finales de cette façon. Il faut aussi savoir être de l’autre côté. On peut se trouver toutes les excuses du monde mais ça, c’est une mentalité de perdant." Jusqu’à 180 secondes du coup de sifflet final, l’exemplaire capitaine et ses partenaires avaient une fière allure de gagnants. Dans les nuits tourmentées qui les attendent, les Rochelais, joueurs et supporters confondus, auront la tentation d’arrêter le souvenir à cette satanée 78e minute. Ou d’en réécrire le dénouement en coupant, au préalable, le sifflet de Tual Traini sur la confuse situation de contre-ruck (76e), énième tournant d’une rencontre déroutante. Les Jaune et Noir, impitoyables en mêlée, plus avisés dans la gestion, dominateurs dans l’occupation, s’étaient jusqu’alors ouvert la voie de la consécration ultime : le doublé Champions Cup-Top 14 avec, en prime, deux succès de prestige face à ce qui se fait de mieux à l’heure actuelle – mis à part eux : le Leinster et Toulouse. Mais pour la première fois en un an, les Maritimes allaient craquer dans les derniers instants. Au pire moment. Ça arrive même aux plus grands… Ronan O’Gara le constatait amèrement : "On va vraiment avoir des difficultés pour digérer cette défaite car je pense que nous étions meilleurs que Toulouse dans de nombreux secteurs. Mais c’est le sport." Beau et cruel, à la fois… Avec son lot de rebonds imprévisibles, de coups du sort et d’éclat aussi.

Une nervosité coupable

L’image de la montée de UJ Seuteni et de la désorganisation globale sur la chevauchée fantastique de Romain Ntamack traumatisera les Charentais pour une durée indéterminée. "Tout le monde va parler de cette action car elle est cruciale. Mais regardez ce qu’on a fait avant ?", questionnait "ROG". Au-delà de la volonté de défendre son centre, le technicien irlandais posait une véritable question. Dont la réponse est toute trouvée, à condition de prendre un tant soit peu de hauteur au-dessus de l’arène dionysienne. Si les doubles champions d’Europe ont perdu le titre à la 78e, c’est aussi et surtout parce qu’ils ne l’avaient pas gagné avant. "Ce qui est dommage, c’est que c’est la première fois que je perds une finale en contrôlant le match", résumait, avec à-propos, Brice Dulin. Au vu de leur domination en conquête et dans l’occupation, Grégory Alldritt et ses partenaires auraient pu, dû même, clore les débats bien avant. Mais la mécanique rochelaise a beau être impressionnante et bien calibrée, elle n’en reste pas moins perfectible. "Une fois que l’on rentre sur le terrain, il n’y a plus d’émotions, il n’y a que des machines", avait professé le capitaine, vendredi, dans nos colonnes. Derrière la carapace et l’apparente fiabilité des robots jaunes et noirs, il reste des hommes, sujets à la nervosité et aux approximations. Ronan O’Gara listait, avec dépit, leurs erreurs du jour. "Regardez : on a parlé à l’arbitre et on a pris dix mètres, ce qui leur a donné trois points ; il y a une mauvaise contre-attaque qui donne ballon gratté et pénalité ; et leurs deux essais arrivent d’une faute bête par nous et d’une mauvaise décision par UJ et deux plaquages manqués derrière." Pour une fois, la force mentale et la confiance collective de son armada n’ont pas permis d’écrire le dénouement espéré. Comme ça avait été le cas face à l’Ulster, contre Gloucester ou à Dublin ces derniers mois. C’était la fois de trop, sûrement…

Ronan O’Gara avait en un sens prédit le dénouement, au début du mois, en livrant une analyse froide du triomphe de Dublin : "Ronan est revenu sur la finale de Coupe d’Europe, il nous a montré que l’on n’avait pas réalisé un très grand match en laissant beaucoup d’opportunités en route", avait révélé Grégory Alldritt à Saint-Sébastien. Passé l’euphorie du moment, le constat s’imposait : La Rochelle aurait pu l’emporter plus largement à l’Aviva et s’éviter les frayeurs des derniers instants. Le pointilleux manager irlandais avait relevé 21 fautes à cette occasion. À Dublin, elles n’avaient pas prêté à conséquence. Son exigence était un avertissement et non un caprice. Au Stade de France, dans un contexte proche et tout aussi tendu, les erreurs de ses joueurs se sont retournées contre eux-mêmes. Le cerveau de Cork avait de nouveau eu raison à la veille de cet affrontement : "Si nous jouons notre jeu, aucune équipe ne peut nous battre." La Rochelle, un tantinet fébrile, un chouïa fatiguée, un tant soit peu trop prévisible, n’a pas "joué son jeu" comme il l’aurait voulu. Alors, oui, le Stade rochelais a dominé, a plutôt maîtrisé, aurait sûrement mérité de l’emporter… Mais l’histoire oubliera tout ça. Car Toulouse, avec ce petit truc d’irrationnel, avec son éternelle magie, s’est infiltré dans la faille du système pour terrasser la machine. Et priver la bande à Sazy d’un Brennus, pour la deuxième fois en trois saisons.

"Se forcer à regarder le match"

L’histoire s’est répétée sur le papier. Pour Ronan O’Gara, le parallèle ne va pas plus loin : "Tout le monde va encore dire : c’est une autre défaite contre Toulouse. Mais quand tu cherches un peu plus profondément, ce n’est pas la vraie histoire." Si le manager se refusait à évoquer un quelconque syndrome toulousain, l’identité de l’adversaire revenait inévitablement dans le fil de l’échange. Rivalité, quand tu nous tiens… La dynastie s’écrit pour l’heure avec deux rois : "Ça va être dur maintenant, car nous allons avoir le grand Stade toulousain qui va expliquer le rugby à tout le monde, que nous ne sommes pas capables de gagner une finale. C’est malheureusement l’histoire que nous devons accepter. Mais quand on regarde le match, ce n’est pas la vérité." La vérité est que La Rochelle avait tous les atouts en main et dans les têtes pour réaliser un magnifique doublé ; qu’elle a conforté son statut de grande équipe et qu’elle frappe de plus en plus fort aux portes d’un Panthéon si dur d’accès ; qu’elle a réalisé la plus belle saison de l’histoire du club et a, à n’en pas douter, de beaux jours devant elle. Samedi soir, aucun mot ni souvenir ne pouvait évidemment consoler les vaincus du jour : "C’est énormément de déception, on a le sentiment de foutre en l’air tout le travail fait depuis juillet dernier, déplorait le capitaine. Dans les mois qui arriveront, peut-être que l’on relativisera et que l’on se satisfera de la deuxième étoile qui est tout de même énorme pour le club et le groupe." Dans les mois qui arriveront, l’ambition maritime se nourrira de tout ça : de la sensation persistante d’avoir soulevé la Coupe argentée à Dublin comme de la rage d’avoir vu le Bout de Bois être encore brandie par d’autres mains à Saint-Denis : "C’est important de le regarder, de l’ancrer dans la mémoire pour que ça serve plus tard. Il faudra aussi se forcer à regarder le match, ça va être dur mais il faut le faire. C’est ce qui va nous rendre meilleurs. Comme je l’ai dit dans le vestiaire, c’est loin d’être la fin d’un cycle. Par respect pour les joueurs qui arrêtent ou qui partent, il faut que l’on continue. On est loin d’être rassasié."

Plus qu’une promesse, le message résonnait comme une profession de foi dans la bouche du capitaine : "On reviendra plus forts, on l’a déjà fait. On va rejouer des finales, on va gagner, des titres, j’en suis persuadé." La machine est programmée pour revenir à ce stade de la compétition. La date du voyage dans le temps est déjà entrée : 29 juin 2024. La destination : Marseille. Là où l’épopée a débuté.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
realdoc Il y a 10 mois Le 19/06/2023 à 20:49

Greg a raison : l'avenir les consacrera.