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200 ans d'histoire (25/52) : les règles qui ont dépoussiéré le jeu

Par Jérôme Prévot
  • La réforme du coup de pied direct en touche a changé le jeu.
    La réforme du coup de pied direct en touche a changé le jeu. Fabien Agran-Védille
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En 1968, une règle a fondamentalement changé le jeu. La réforme du coup de pied direct en touche. On a vraiment changé d’époque.

Si entre William Webb Ellis et disons 1995, il y eut un moment clé, c’est bien celui-là. En 1968, l’International Board décida de limiter le recours au coup de pied en touche. Plus question de taper directement de n’importe où. Il fallait se trouver dans ses propres 22, sinon, on ne pouvait aller en touche que via des coups de pied indirects (après rebond). Ce fut un changement colossal de perspective car notre sport s’appelait ne l’oublions pas "football rugby". L’utilisation des pieds avait toujours été naturelle, dans le jeu et via les pénalités. D’ailleurs, au tout début, les points marqués au pied valaient plus que les essais. Il faut faire un effort pour s’imaginer ce qu’était le rugby jusqu’aux années 60, des demis d’ouverture qui "balançaient" le ballon en touche pour faire avancer leur équipe, même à 30-35 mètres des poteaux adverses.

Certes, l’adversaire récupérait le lancer, mais une équipe qui se sentait limitée offensivement ou plus armée au niveau du pack pouvait user et abuser de cette solution de facilité. Il en avait résulté une expression de la vie courante. Le fait de "taper en touche" est encore utilisé pour décrire une "non-réponse" empreinte de lâcheté. "Et quand on le faisait, le public applaudissait", se souvient Jean-Claude Roques, demi d’ouverture international de Brive : "Quand je revois nos matchs, je me dis presque que c’était nul, qu’il y avait très peu d’offensives, très peu de combinaisons. Même en équipe de France où j’ai joué quatre fois en 1966, je me rends compte qu’on attaquait très peu. Mais il y avait des clubs précurseurs, Mont-de-Marsan avec les Boniface, Narbonne aussi." Franchement, on trouve Roques trop modeste sur ce coup. Sa ligne de trois-quarts briviste était surnommée "l’attaque mitraillette", il aurait pu juste parler d’Agen et de Lourdes pour la décennie précédente.

Le spectre du match de 1963

En 1968, les législateurs avaient réagi à une certaine tendance du rugby que la télé accentuait, et notamment cet Écosse - Galles de 1963 haché par les incessants coups de pied de Clive Rowlands (lire Midi Olympique "vert" du 2 juin 2023). Ce changement de règle témoigne aussi d’une nouvelle conception du sport, conçu au moins en partie comme un "spectacle" accessible au plus grand nombre. C’était aussi l’idée des deux techniciens néo-zélandais Charlie Saxton et Dave Allen, gourous de la tournée mythique des All Blacks de 1967.

Jo Maso avait 24 ans à cette époque, il était déjà international. "Ce fut un événement capital. Cette règle a totalement changé le jeu, surtout celui des demis d’ouverture. Certains ne faisaient que taper. Je me souviens de matchs où l’on cherchait à investir le camp adverse pour se mettre en position de drop. Mais certains attaquaient quand même, par plaisir, par choix. Nous à Narbonne, notre entraîneur nous laissait carte blanche. Ceci dit, quand on décidait de se passer le ballon au large on avait affaire à des défenses moins renforcées qu’aujourd’hui, à l’intérieur du porteur du ballon notamment, il y avait des espaces." Mais il fallait une sacrée dose de confiance en soi pour se lancer dans l’aventure, à la moindre sensation d’infériorité, à la naissance du moindre complexe, les équipes se recroquevillaient.

Pierre Villepreux aussi a vécu 1968 : "Personnellement, ça ne m’a pas perturbé plus que ça car j’ai toujours préféré maîtriser le ballon à la main, aussi bien à Brive qu’à Toulouse. Ce fut un moment capital évidemment, ça a tellement enrichi le jeu, fini la solution de facilité. Ça a demandé soudain des habiletés techniques différentes et surtout une lecture du jeu plus acérée, il fallait trouver les espaces." Pour lui, la règle avait provoqué une double amélioration : "Les équipes avaient toujours la tentation de taper… indirectement en touche. Alors les adversaires mettaient un ailier en position de deuxième arrière. Pour les attaquants, ça faisait un défenseur de moins dans la ligne." La règle de 1968 a fait passer un cap décisif au rugby à XV, peut-être sous l’influence de la télévision qui ne pouvait se satisfaire des débats trop confus. Il fallait séduire non plus les mordus mais le grand public : "Le spectacle a toujours été lié à l’évolution des règles", poursuit Villepreux.

  • La question des remplacements

Parallèlement au règne du coup de pied en touche, l’International Board a instauré une autre règle très importante. Elle autorisait les remplacements d’un joueur en cours de partie, sur blessure. Jusque-là, on voyait des équipes finir les matchs. en infériorité numérique ou avec des joueurs blessés qui restaient sur le terrain pour faire de la figuration, ce fut le cas de l’ailier Christian Darrouy, lors de la finale 1963 Mont-de-Marsan-Dax puis avec l’équipe de France face à l’Afrique du Sud à Springs en 1964. François Moncla connut le même sort lors de la finale 1959, Racing-Mont-de-Marsan. Il passa de la troisième ligne à l’aile. Le premier remplaçant entré en jeu sous le maillot tricolore fut le Grenoblois Christian Boujet qui prit la place de Pierre Villepreux lors de l’Australie-France de 1968. Le premier de l’Histoire fut l’Irlandais Mike Gibson qui avec les Lions entra à la place du gallois Barry John face à l’Afrique du Sud.

  • Une règle et ses contournements

Le grand changement de 1968 a modifié la pratique du rugby, sur le long terme. Mais comme tous les règlements, il a généré aussi ses contournements. "Je me souviens de Jacky Crampagne, de Bègles, se reculant pour repasser derrière sa ligne des 22 mètres", évoque Jo Maso. La règle du coup de pied direct s’est durcie au fil des ans. Un jour on n’a plus eu le droit de repasser derrière sa ligne des 22, puis ensuite, il fallut le faire après une fixation (touche, mêlée, regroupement) opérée elle-même dans ses 22. Mais il ne faudrait pas croire que dans les années 70, toutes les équipes se sont mises à jouer un rugby fandango, beaucoup optèrent pour la solution des "chandelles" avec pression sur le réceptionneur. Les Britanniques adoraient faire ça face aux Français dans les années 1970-1980. D’autres optèrent pour le coup de pied… en ballon mort depuis leur propre camp (c’était radical, on pouvait gagner plus de quarante mètres facilement. Ca abutissait à un renvoi aux 22 pour l’adversaire, les équipes les plus faibles remontaient le ballon ainsi). On développa aussi les coups de pied rasant de pression pour obliger l’arrière ou l’ailier à se retourner. Puis vint le rugby ping-pong, le jeu d’occupation. Une autre façon d’avancer sans se servir des mains avec un duel de longs dégagements jusqu’à ce que le dernier rempart recule trop et préfère assurer directement en touche ou tente une relance dangereuse. Mais l’été dernier, on a vécu une curieuse innovation le 50:22, forme de réhabilitation du coup de pied en touche dans le jeu courant, pour éviter ce rugby ou deux lignes se rentrent dedans en force. C’est la rançon de l’évolution du rugby : même joué à la main, les joueurs de plus en plus athlétiques laissent désormais très peu de trous. Le législateur a imaginé que les défenseurs extérieurs allaient moins se livrer en défense avec cette menace. "Oui, ça ouvre des espaces, mais les utilise-t-on ?", analyse Pierre Villepreux.

  • L’essai passe à quatre points

Dans la foulée de la réforme de 1968, l’International Board a décidé d’augmenter la valeur de l’essai. En 1971, il passa à quatre points dans l’Hémisphère Nord à titre expérimental, une autre façon de favoriser le jeu offensif. C’était la première fois de l’histoire que le fait de pointer dans l’en-but à la main devenait plus payant que le fait de marquer des points avec ses pieds, sur pénalité, transformation ou drop-goal. La valeur de l’essai est passée de zéro (au début) à 1 point en 1886, deux points en 1891, trois points en 1894. En 1973, la valeur de quatre points sera confirmée pour tous les pays. Il passera à cinq points en 1992. À noter que de 1891 à 1948, le drop valait quatre points. La valeur de la pénalité n’a pas bougé depuis 1888, la transformation depuis 1894.

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Les commentaires (3)
abacolon Il y a 10 mois Le 20/06/2023 à 15:17

Merci !

SquerlQC Il y a 10 mois Le 20/06/2023 à 02:18

J'adore ce genre d'article, un gros merci

CasimirLeYeti Il y a 10 mois Le 21/06/2023 à 00:22

Oui, on en redemande !