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Coupe du monde 2023 - "En 2007, les Français avaient l’air terrifiés" se souvient David Campese, ancien ailier de l'Australie

Par Marc DUZAN
  • L'ailier David Campese (Australie) contre l'Argentine en avril 1995 L'ailier David Campese (Australie) contre l'Argentine en avril 1995
    L'ailier David Campese (Australie) contre l'Argentine en avril 1995 Icon Sport - Sbi
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Champion du monde avec les Wallabies en 1991, David Campese (64 essais marqués dans sa carrière internationale) est indéniablement l’un des plus grands ailiers de tous les temps. Aujourd’hui très agacé par l’évolution actuelle de son sport, l'Australien regrette l’importance prise par les arbitres dans le rugby mondial, les lacunes observées dans les centres de formation australiens et la lente dérive du rugby à XV vers son cousin treiziste… C’est à vous, "Campo"…

Vous êtes l’un des prestigieux invités de la cérémonie des Oscars Midi Olympique. À quoi vous attendez-vous, à Paris ?

À passer quelques moments inoubliables auprès de très grands joueurs… J’ai déjà hâte de parler rugby avec Kieran Read, Dan Carter, Jason Robinson et tous ceux qui ont tant marqué l’histoire de ce sport. C’est un immense honneur pour moi que d’être convié à cette cérémonie.

Quelle opinion avez-vous de l’équipe de France actuelle ?

Pendant des années, les Français se sont trompés : ils ont tellement essayé de copier les All Blacks qu’ils en avaient oublié l’essence même de leur jeu. Je constate que Fabien Galthié a néanmoins ressuscité le french flair et pour illustrer mon propos, je vous rappellerai le match des Français face à l’Irlande, en février 2023 : tous leurs essais ont été marqués sur de magnifiques contre-attaques. C’est ça, le rugby français ! C’est ça, le rugby de Serge Blanco, Franck Mesnel, Didier Codorniou et Jean-Baptiste Lafond !

Selon vous, qui sont les joueurs clés du XV de France ?

Pour être champion du monde, il faut posséder quelques-uns des meilleurs joueurs de la planète à leur poste et c’est aujourd’hui le cas, en France : Antoine Dupont, Romain Ntamack ou Grégory Alldritt n’ont probablement pas d’équivalent dans le monde. C’est un bon début, n’est-ce pas ? Plus ces gens-là joueront ensemble et mieux ce sera pour l’équipe de Galthié. Parce qu’après trois finales de Coupe du monde perdues (1987, 1999 et 2011, N.D.L.R.), il est temps pour le rugby français de remporter le plus grand de tous les titres…

Les Bleus sont-ils les grands favoris du Mondial ?

S’ils jouent leur jeu, oui ! Mais à mon sens, ils doivent avant tout éviter de commettre les mêmes erreurs qu’en 2007…

C’est-à-dire ?

Se retrancher dans un camp d’entraînement (à Marcoussis, N.D.L.R.) pendant toute la compétition ! C’est ridicule, quand on y pense… Cet évènement planétaire, il faut plonger dedans et se servir de son incroyable énergie. En 2007, lorsque les Tricolores sont enfin sortis de leur bunker pour disputer le match d’ouverture, ils avaient l’air terrifiés. Je le sais, je les ai vus : je commentais ce France - Argentine pour une radio anglaise.

Et en Australie, alors ? Le retour d’Eddie Jones peut-il changer la donne ?

Qui sait… Mais pour l’instant, je ne sais même pas quel style de jeu il veut pratiquer. Il y a deux mois, il me disait que tous les gamins d’Australie devaient jouer comme les frères Ella et plus récemment, il lâchait aux journalistes : "Le rugby de mouvement est mort. On va tout jouer au pied." Que voulez-vous que je vous dise ? Le rugby australien n’est pas dans sa meilleure forme… Il faudrait chez nous changer beaucoup de choses, à commencer par l’éducation de nos rugbymen.

Pourquoi ne le faites-vous pas ?

Quand j’étais à la fédération (de 2017 à 2021, N.D.L.R.), on ne m’a laissé rien faire… Alors, j’en suis parti…

Comment imaginez-vous la prochaine Coupe du monde ?

Plombée par les humeurs des arbitres !

C’est-à-dire ?

Les arbitres pensent qu’ils sont les personnes les plus importantes sur un terrain. Ils pensent que tout tourne autour d’eux mais ce n’est pas le cas : le plus important, c’est le jeu, les joueurs et les supporters. Les gens ne paient pas pour voir un arbitre siffler. Ils viennent voir un match. Ils veulent voir des essais, non des pénalités. C’est triste. […] L’évolution des choses aujourd’hui, c’est une grosse blague : les arbitres sont obsédés par les plaquages hauts et ne cherchent qu’à pénaliser, sermonner, sanctionner… Ils vont détruire la Coupe du monde comme ils l’ont fait en 2019…

David Campese dit tout ce qu'il pense sur le rugby moderne
David Campese dit tout ce qu'il pense sur le rugby moderne Icon Sport - PA Images

Vous êtes particulièrement remonté…

Le rugby a considérablement évolué, la société aussi. Les dirigeants du rugby ? Non. Ce sont les mêmes depuis quarante ans et ils ne savent pas comment amuser les gens… […] Imaginez-vous une seule seconde s’il y avait eu ces arbitrages vidéos incessants dans les années 80 ? Il n’y aurait plus eu personne sur le terrain, mon Dieu ! Quand va-t-on comprendre que le rugby est un sport de contact pouvant parfois être sauvage ? Et puis…

Quoi ?

Il y a des joueurs fantastiques sur la planète rugby mais ils n’ont aucune liberté… Ils sont la plupart du temps enfermés par les discours de leurs coachs et les sermons des arbitres…

On vous suit.

Des fois, je n’ai même plus envie de regarder les matchs… Mark Ella (ancien attaquant des Wallabies, N.D.L.R.) est comme moi, d’ailleurs. On devient un ersatz de rugby à XIII : on court tout droit pour péter dans le défenseur… Pourquoi, d’ailleurs, notre jeu est-il jalonné de coachs venus du XIII ? Parce que tout le monde ne jure plus que par la défense, tiens… […] Alors, voir l’Irlande coachée par Andy Farrell (un ancien treiziste anglais) m’interroge un peu, oui…

Les ailiers modernes sont scotchés sur leur aile et font des rucks. Vous m'auriez vu faire des rucks ? Je ne suis pas flanker !

À ce point ?

Oui. Mais j’ai l’impression que ma bataille est vaine. […] Un jour, je croise mon pote Philippe Saint-André à Dubaï. Ses Bleus étaient alors en route pour une tournée en Nouvelle-Zélande. Je lui ai dit : "Philippe, ne tapez pas au pied ! Jouez tous vos ballons !" Il m’a dit : "Oui, Campo, ne t’inquiète pas." Et là-bas, ils n’ont fait que jouer au pied, ont pris vingt relances et ont perdu leurs trois tests… Comment veux-tu marquer des essais si tu n’as jamais le ballon dans les mains, bon sang ?

Auriez-vous aimé jouer au rugby, aujourd’hui ?

Je ne sais pas… Ce que j’aimais, de mon temps, c’était prendre le ballon aux quatre coins du terrain et attaquer, attaquer et attaquer encore ! Aujourd’hui, les ailiers sont scotchés sur leur aile et font des rucks ! Vous m’auriez vu faire des rucks, moi ? Mais ce n’est pas mon boulot ! Je ne suis pas troisième ligne !

Quid de la formation, à présent ? Pourquoi souhaitiez-vous la faire évoluer en Australie ?

Parce que les centres de formation et les académies sont la pire invention du rugby moderne. Pour éduquer les jeunes, il faut les meilleurs entraîneurs : parce que c’est là que leur savoir sera le plus précieux ! Or, nous avons des coachs dans les académies australiennes que je ne connais même pas. Mais ils ont un bon réseau, j’imagine…

Auriez-vous aimé coacher en France ?

J’ai 60 ans maintenant, camarade… Mais j’aurais beaucoup aimé m’occuper des "skills" (technique individuelle) dans un club de Top 14 ou de Pro D2. Un copain français (le journaliste David Dybman, N.D.L.R.) avait d’ailleurs sondé le marché il y a quelque temps mais personne n’était vraiment intéressé par mon profil : les coachs français avaient un trop gros ego et pensaient que je leur ferai de l’ombre… Mais je veux juste faire les skills, moi, pas devenir manager !

Quel souvenir vous laisse la demi-finale de Coupe du monde 1987, perdue par vos Wallabies face au XV de France à Sydney ?

Je me souviens que nous n’en étions alors qu’aux prémices de cette immense compétition qu’est la Coupe du monde. Cette demi-finale, nous l’avions d’ailleurs jouée devant à peine 17 000 personnes… Au Concord Oval (le stade de Sydney, N.D.L.R.), les Français avaient donné le plus beau visage de leur rugby, attaquant tous les ballons, relançant dès qu’ils le pouvaient… Le problème, c’est qu’ils ont probablement joué leur finale une semaine trop tôt. Tout ça me fait d’ailleurs un peu penser aux Anglais de 2019, qui avaient livré un match sensationnel contre les All Blacks en demi-finale avant de s’effondrer face aux Springboks… Ils ne pouvaient pas aller plus haut, en fait…

Vous avez, quatre ans plus tard, été sacré champion du monde. Pourquoi l’Australie était-elle alors la meilleure équipe de la compétition ?

Si vous prenez l’équipe type des meilleurs joueurs du monde de l’époque, je pense que nous en avions probablement neuf, dedans… Chez les Wallabies de l’époque, tout le monde connaissait son rôle : c’était fluide, spectaculaire… Surtout, nous jouions loin de nos terres et étions quasiment sans pression. Ça a beaucoup aidé, je crois.

Et vous ?

Après avoir été très critiqué pendant la tournée des Lions britanniques et irlandais de 1989 (disputée en Australie, N.DL.R.), je me suis largement remis en question. Ça a payé puisque je pense avoir joué, sur cette Coupe du monde 1991, le meilleur rugby de ma vie…

Gardez-vous des contacts avec vos anciens coéquipiers ou adversaires de l’époque ?

Bien sûr, même si les aléas de la vie nous ont quelque peu éloignés : personnellement, j’ai passé plusieurs années en Afrique du Sud (il y entraînait les Sharks, N.DL.R.) et Michaël Lynagh (ancien demi d’ouverture des Wallabies, N.D.L.R.) vit à Londres depuis très longtemps… Mais j’ai récemment croisé Nick Farr-Jones (ancien demi de mêlée, N.D.L.R.) et Tim Horan (ancien trois-quarts centre, N.D.L.R.) au pays et j’appelle mes vieux potes d’Europe dès que je le peux : Philippe Saint-André, Will Carling (ancien capitaine du XV de la Rose, N.DL.R.), Andy Nicol (ancien demi de mêlée écossais, N.D.L.R.) ou Jonathan Davies (ancien ouvreur gallois, N.D.L.R.)…

Vous êtes hors-jeu !

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