Abonnés

Des légendes se retrouvent à Paris : la confession de Bismarck, le cadeau de Mesnel...

Par Marc Duzan
  • Des légendes du rugby mondiale sur la Seine.
    Des légendes du rugby mondiale sur la Seine.
Publié le
Partager :

La semaine dernière, à Paris, quelques-uns des champions du monde les plus marquants de l’histoire ont navigué sur la Seine. L’occasion, pour eux, de découvrir la capitale par voie fluviale, de conter leur histoire et globalement refaire le monde. Nous y étions…

C’est un soir d’été comme tant d’autres, à Paris. En quais de Seine, la foulée des joggers bat le pavé, des adolescents se bécotent sous le pont Mirabeau et, à un jet de pierre de là, les guinguettes du port de Javel ont déployé des terrasses où le tango argentin de Gotan Project cadence les prémices de l’after-work parisien, vénérable exutoire des cols blancs de la capitale. La péniche Mississippi, où Franck Mesnel accueille le temps d’un voyage quelques-uns des protagonistes de la 70e cérémonie des Oscars Midol, s’ébranle quant à elle aux abords de 21 heures, le ventre plein d’un hectolitre de champagne, de plusieurs plateaux de charcutaille, d’un bon millier de caps et d’une poignée d’hommes ayant pour point commun d’avoir tous, un jour, soulevé la Coupe du monde. Il y a donc, sur le pont du bateau, les Wallabies David Campese, Nick Farr-Jones et John Eales, les All Blacks Kieran Read et Conrad Smith, les Boks Bismarck du Plessis, Bryan Habana, Tendai Mtawarira et François Pienaar, l’Anglais Jason Robinson. Le nez au vent, une flûte entre les pognes, Bismarck fixe d’abord un bronze de l’île aux Cygnes, puis les courbes du pont Bir-Hakeim et lance, ironique : "La vie est dure, en France…" On aurait alors voulu lui dire que la veille, 480 kilomètres de bouchons et un ciel chargé comme un culturiste congestionnaient la capitale et qu’alors, l’impression globale n’avait rien à voir. Mais on s’est abstenu, le talonneur des Boks semblant à cet instant sous hypnose. Ou tout comme…

Un peu plus loin, David Campese (60 ans) pointait du doigt les bulbes dorés qui surmontaient le quai d’Orsay, se demandant si l’édifice était en réalité un château, un temple ou une mosquée. On lui répondait que ce qu’il voyait était la cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité, financée par Poutine et Sarko. Campo souriait, dégainait son appareil photo et partant à présent sur tout à fait autre chose, nous contait que le match en France l’ayant le plus marqué fut disputé à Toulon en 1983, entre les Wallabies et les Baa-Baas. "L’arbitre avantageait tellement les Français, il les laissait tellement faire que notre capitaine Mark Ella dut le prendre par le col et lui dire : "Réveille-toi, ref ! Sanctionne-les et protège-nous, bon sang !". L’ultimatum avait bien fonctionné et on avait fini par gagner…" On abandonnait l’ancien ailier à son éclat de rire et rejoignait Jason Robinson (48 ans), appuyé à la rambarde. Au vrai, "Billy Whizz" n’avait pas énormément changé, depuis ce jour de 2007 où il avait mis un terme à a carrière. Mais que devenez-vous, Jason ? "J’ai arrêté à 33 ans après avoir disputé 560 matchs de rugby. La seule blessure que j’ai eue, c’est un claquage en ouverture de la Coupe du monde 2007 en France. J’aurais pu jouer quatre ans de plus, sans problème… Aujourd’hui, je vis toujours dans le Nord de l’Angleterre. J’ai deux petits-enfants, sept enfants dont le plus jeune, Noah, est au centre de formation de Manchester City. Personnellement, je pense pourtant qu’il est encore meilleur au rugby." Et possiblement plus fort que son paternel ? Il se marre : "Moi, j’ai commencé à une autre époque, avec Andy Farrell et Shaun Edwards dans notre bon vieux championnat à XIII. Après ça, j’ai basculé en 2000 chez le cousin quinziste sans même en connaître toutes les règles… Trois mois plus tard, j’étais sélectionné en équipe d’Angleterre. Dans la foulée, nous étions champions du monde". Well done *, Jason. "Un titre de champion du monde, il n’y a rien de plus puissant. Je n’ai plus jamais été le même, après." Il s’interrompait, nous fixait bizarrement et posait une question : "Combien y a-t-il de grands joueurs de rugby français ?" Un certain nombre, sans doute. "Mais à quel point auraient-ils été plus grands encore s’ils avaient été champions du monde ? Je vous laisse réfléchir à ça…"

Quand la bête torturait Dan Cole

Sur les eaux de la Seine, le Mississippi poursuivait son paisible voyage quand, au moment où il dépassait l’île Saint-Louis, Tendai Mtawarira, l’un des piliers gauches les plus puissants que le rugby ait jamais connu, nous racontait sa carrière, ponctuée il y a quatre ans sur une finale de Coupe du monde : "Au Zimbabwe, mon père Felix bossait dans l’agroalimentaire. Il n’avait pas grand-chose mais il s’est battu toute sa vie pour que j’obtienne une bourse au Peterhouse Boys, un établissement privé de Harare (la capitale du pays, N.D.L.R.) : il savait que ma réussite passerait par l’instruction. C’est dans cette école que l’on m’a mis au rugby, à 14 ans. Les coachs de l’équipe avaient entendu parler d’un mec qui était plus grand et plus large que tout le monde, que ses coéquipiers avaient surnommé "la bête". Mais ça ne m’intéressait pas, au départ : même si j’étais le pire des gardiens de but, je pensais avoir un avenir dans le foot." Recruté par une académie sud-africaine un an plus tard, The Beast quittait alors son Zimbabwe natal : "La mêlée, au départ, fut une vraie souffrance. Petit à petit et après avoir failli me briser le dos dix fois, j’ai néanmoins appris le métier." Et plutôt bien, d’ailleurs. "J’ai connu quelque temps forts, dans ma carrière. En finale de Coupe du monde, j’ai par exemple donné quelques sueurs froides à Dan Cole (le pilier anglais). Après le match, je lui ai simplement dit : "Désolé, mec… Je ne voulais pas quitter la scène sur une défaite !" Mais il était assez fâché…" Rejoint à table par Jason Robinson, "la bête" se risquait alors à un pronostic qu’il nous demandait de garder secret, histoire de ne pas porter la guigne aux Springboks. On l’écoutait d’une oreille et on lançait alors l’Anglais sur le sujet du Mondial : "Ce qui m’inquiète, c’est la discrétion néo-zélandaise, répondait Robinson. Des All Blacks ne peuvent être outsiders. Cela n’existe pas. C’est impossible".

Aux abords de 22 h 30, le Mississippi amorçait son demi-tour peu après avoir dépassé la Bibliothèque François Mitterrand et fonçait alors vers le Nord-Ouest, escorté par des bateaux mouches pleins jusqu’aux cales. Bismarck du Plessis, les bras chargés de bières qu’il distribuait volontiers à quiconque croisait son regard, était d’humeur mélancolique et reprenait, à rebours, une vie démarrée dans la ferme familiale de Bethlehem, un bled situé à 250 kilomètres de Bloemfontein, le fief des Boers : "Mes parents, François et Jo-Helene, ont toujours pensé que leurs enfants devaient apprendre la langue des gens avec qui nous partagions cette terre." Bismarck, deux ans avant d’acquérir ses premières bases d’anglais ou d’afrikaan, apprit donc le Sotho, le dialecte des noirs du Free State, la langue de son meilleur ami Seun, fils d’un garçon de ferme. "Mon frère noir", précise-t-il dans un sourire. L’apartheid, la famille du Plessis l’a donc vécue sans larmes, ni violence. L’un des plus beaux souvenirs de Bismarck a même pour cadre le salon de la ferme, où s’étaient regroupés, ce jour de juin 1995, les propriétaires terriens et leurs trente employés. "C’était la finale du Mondial. Chez nous, ça hurlait, ça chantait. On rêvait d’un monde meilleur. Avec Jannie (son frère aîné, le pilier droit des Springboks) et Seun, on a rejoué la passe de Van der Westhuizen et le drop de Stransky un bon milliard de fois." Il marque une pause, observe le revers de sa main droite, sombre et épaisse : "Vous savez, je n’ai que rarement été confronté à l’intolérance. Dans ma vie, je ne me suis même battu qu’une seule fois pour faire entendre mes idées." Les deux blanc-becs qui lui avaient ce jour-là demandé si, en plus de parler Sotho, il mangeait aussi avec les doigts "comme ses potes cafards", ont bouffé des yaourts pendant des semaines…

La confession de Bismarck, le cadeau de Mesnel…

À 39 ans, l’ancien joueur de Montpellier est toujours gaulé comme un flanker international. Sensible, touchant, Bismarck nous apprend désormais qu’il a tout au long de sa carrière tenu un journal intime au sein duquel il avait couché de courts debriefings : "Après le quart de finale de Coupe du monde 2007 face aux Fidji, ce match dingue et que nous aurions probablement dû perdre, j’avais par exemple écrit : "Chanceux, chanceux, chanceux Springboks…" Les Fidjiens sont les plus grands athlètes du rugby contemporain. Quand je jouais à Montpellier, Nemani Nadolo et Jim Nagusa n’avaient pas d’équivalent balle en mains. Qui a donc inventé des gens de 110 kg pouvant courir à cette vitesse-là ?" C’est d’évidence meurtrier et puisque le petit frère de Jannie avait visiblement envie de causer, on l’interrogea sur un moment incongru de sa carrière sur lequel il ne s’était pourtant jamais expliqué. Pourquoi diable s’était-il donc battu en 2018 avec son coéquipier Mohamed Haouas, alors que les deux colosses participaient là à un simple échauffement de leur même équipe ? Il éclatait de rire, reprenait : "Vous savez, nous sommes toujours en contacts avec Momo. Mes enfants jouaient au rugby avec les siens, à Montpellier. Récemment, il m’a même envoyé quelques photos. Ce qui s’est passé avec lui ce jour-là n’eut aucune importance car ça fait aussi partie du rugby. Notre amitié n’en a jamais souffert." Notre élan de curiosité rassasié, on accompagnait Bismarck du Plessis à l’intérieur où Franck Mesnel, le grand ordonnateur de la soirée, offrait des cadeaux pour le moins cocasses à ses invités. Une fois la dizaine de boîtes ouvertes par l’ancien ouvreur des Bleus, on découvrit ainsi que chacun des champions du monde tenait en mains un morceau des poteaux de l’Eden Park d’Auckland, démontés en 2011 pour être revendus aux enchères et soutenir l’effort de guerre endossé par la population de Christchurch, frappée cette année-là par un séisme assassin. L’enchère en question avait été remportée par Mesnel qui, après avoir rapatrié les poteaux par bateau, en avaient fait près de 300 œuvres d’art… La belle idée…

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
Gcone1 Il y a 10 mois Le 28/06/2023 à 14:05

Mesnel ! Largement sur-coté ! Peu creatif. Sans imagination. Ultra prévisible. Un régal pour la defense adverse. Mais très doué en business !