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200 ans d'histoire (26/52) : la métamorphose du pays de Galles en 1968

Par Jérôme Prêvot
  • 1968 reste une date très importante pour le rugby gallois.
    1968 reste une date très importante pour le rugby gallois. Midi Olympique
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La fin des années 60, le pays de Galles métamorphosa son rugby via une série de mesures extrêmement modernes, dont le célèbre squad system. Le début d’un âge d’or.

Il en fallait du talent pour transformer en lieu de pèlerinage la sombre cité de Cardiff, jadis premier port charbonnier du monde. À la charnière des années 60 et 70, un pays fut littéralement sanctifié par la magie d’un sport, lui-même magnifié par un moyen de communication, la télévision en couleur. Il y avait déjà eu des équipes galloises performantes dans le passé, évidemment, mais cette génération-là explosa littéralement à la face du monde, avec les éclats d’insolence des farfadets.

On ne dira pas ici que les Gallois des années 70 ont inventé quelque chose, les All Blacks de 1967 l’avaient fait avant eux. On parle ici du "rugby total". Mais les Gallois bénéficiaient de l’exposition du Tournoi pour montrer tout leur savoir-faire, le génie d’un Gareth Edwards, la justesse de Barry John, l’inspiration d’un Phil Bennett ou le courage et l’engagement d’un JPR Williams, l’intelligence d’un John Dawes ou les crochets d’un Gerald Davies.

Qu’avait-elle de spécial, cette génération ? Un talent inné qui ne s’achète pas. Mais dans nos lectures, on entendait parler du "squad system". Ce terme renvoyait à une arme secrète, utilisée par la Fédération. On pourrait la résumer à une idée très simple : les internationaux gallois s’entraînaient… ensemble. La formule peut faire sourire et pourtant, à cette époque, le rugby était soumis à des règles strictes. On ne pouvait pas se réunir avant le jeudi 15 heures qui précédait un match prévu le samedi, sous peine d’être accusé de professionnalisme.

"On se pointait, on jouait et on rentrait chez nous, c’était aussi simple que ça", expliquait Barry John, demi d’ouverture impeccable. "On avait bien une séance le vendredi, mais c‘était de la rigolade. On se était comme jetés à l’eau pour le match" ajouta John Taylor, troisième ligne à la tignasse ébouriffée. Les Fédérations britanniques et la FFR respectaient cette loi de fer alors que les Sudistes de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du sud s’en affranchissaient allègrement. pour de multiples raisons comme autant de passe-droits.

Se donner des rendez-vous sauvages

En cette fin des années 60, les Gallois prirent le taureau par les cornes. Ils avaient conscience de former des joueurs de classe, mais sans tirer la quintessence de ce potentiel. Tout a commencé en juin 1967 avec la nomination de Ray Williams au poste de Coaching Organizer for Wales (lire ci-dessous), il s’appuyait sur les directives d’un groupe de travail créé dès 1964. Il s’appuie aussi sur son adjoint Cliff Jones, ancien international des années 30. Lui est nommé président d’un Coaching Comitee. Ces deux hommes vont révolutionner le rugby gallois d’Élite. Le squad system en fut la démonstration la plus frappante, il consistait en une série de rendez-vous de l’équipe nationale… hors match. Une vraie transgression. Alors, pour rester du côté de la légalité, ces entraînements à moitié sauvages ne se déroulaient pas sur des terrains de la Fédération ni même d’un club, mais… sur des plages, celle d’Aberavon notamment. Le but : que les meilleurs se concertent pour rendre le collectif plus performant.

Dans ce sillage, le rugby gallois s’organise. La méthode de jeu qui naît de ces rendez-vous sur la plage est diffusée jusque dans les collèges et les clubs les plus modestes. Chaque année, l’ensemble des clubs du pays améliore un point bien précis : la touche, la mêlée, l’organisation défensive... En janvier 1968, le Comité d’entraînement définit le principe du jeu gallois, la continuité avec une réflexion sur le rôle de la troisième ligne : "Back Row Forward Play". Le soutien des numéros 6, 7 et 8 devient une composante essentielle au percement des défenses adverses.

Les autres avants aussi sont priés de se consacrer à cette tâche aussi noble que la conquête. Les deux techniciens demandent formellement à tous les clubs de ne plus aligner des avant-ailes pour leur aptitude à défendre côté fermé ou côté ouvert, ou en fonction de leur poids. Ils demandent des joueurs polyvalents, justement aptes à soutenir tous les lancements possibles. On connaît le résultat : trois grands chelems en 1971, 1976 et 1978, ainsi trois triples couronnes, une tournée magnifique en Nouvelle-Zélande des Lions à forte coloration galloise (1971). Et puis, évidemment, le chef d’œuvre de 1973 entre les Barbarians et les All Blacks.

  • Ray Williams, le grand architecte

Dans ces colonnes et dans bien d’autres, on a souvent rendu hommage aux personnalités les plus flamboyantes de l’âge d’or gallois : ces sortes de lutins tout droit sortis des légendes celtes : le demi de mêlée Gareth Edwards est communément décrit comme plus fort de tous, l’arrière aux rouflaquettes JPR Williams le plus télégénique. On s’arrête là (lire ci-dessus), Clive Rowlands, demi de mêlée de la génération précédente joua aussi un rôle comme entraîneur motivateur. Mais l’apport de Ray Williams, figure méconnue en France, fut proprement colossal. Il avait 40 ans en 1967 quand il devint le premier entraîneur de rugby de l’Histoire payé à plein temps, sous l’autorité de la WRU, il s’attacha à former tout une génération d’entraîneurs qualifiés dans tous les coins du pays, la base de son œuvre, la montée en game du rugby gallois.

Il était né à Wrexham dans le nord du pays et joua surtout en Angleterre à Northampton, Moseley et aux London Welsh. Bon demi d’ouverture, il ne put jamais décrocher la moindre sélection sous le maillot rouge. Pour servir son pays, il se rattrapa donc comme éducateur en chef. Quand il est mort en 2014, la presse galloise parlée de son « apport colossal ». Elle a aussi rappelé qu’il avait été ignoré par l’Angleterre qui l’avait pourtant sous la main. Il avait travaillé au prestigieux collège de Loughborough, vrai conservatoire du rugby anglais, mais la RFU avait rejeté un de ses rapports. Il s’était donc fait la main avec le comté des East Midlands. Le plus drôle, c’est qu’il n’avait pas le droit en tant que cadre rétribué de s’occuper de l’équipe nationale, toujours ces satanées règles de l’amateurisme. On le voyait donc naviguer en survêtement rouge et en polo blanc, en marge des entraînements des Gallois, comme s’il passait là par hasard. Il laissait à Clive Rowlands le soin de donner de la voix : « Calon ! » (cœur) . Lui distillait quelques analyses tactiques bien pesées.

  • Pas de championnat d’Élite

Les résultats du pays de Galles des années d’or ont été d’autant plus remarquables qu’ils ont été obtenus alors que le pays ne connaissait officiellement pas de compétition d’Élite. La WRU n’organisait pas de championnat, mais les grands clubs gallois disputaient par tradition une série de matchs. Le bilan donnait lieu une compétition «officieuse», tenue à jour par les journaux, avec un club qui se considérait comme champion en revendiquant un total final de points. Mais toutes les équipes n’avaient pas le même programme, certaines affrontaient des grands clubs anglais (Bristol, Leicester, Bath, Northampton), d’autre pas. En 1972, la WRU innova en organisant une vraie compétition, la coupe galloise qui donnait lieu à une finale en bonne et due forme. Enfin en 1990, la WRU mit sur pied un vrai championnat classique pour ses clubs d’élite.

  • Le cas Carwyn James

On ne peut consacrer une page sur la révolution du rugby gallois sans évoquer la figure mythique de Carwyn James, international à deux reprises à la fin des années 50. Ce personnage singulier, presque énigmatique, n’entraîna jamais le pays de Galles. Mais il s’occupa de Llanelli, club majeur de l’ouest du pays. Il fut notamment le mentor d’un jeune ouvreur nommé Phil Bennett.
Carwyn James créa une forme d’autogestion à Llanelli et prôna un jeu offensif avec un recours aux allers-retours sur la largeur du terrain pour créer de couloirs pour les ailiers.
Sous son autorité, Llanelli remporta quatre Coupes du pays de Galles consécutives et battit les All Blacks en tournée en 1972. Après seulement deux saisons d’entraînement au plus haut niveau, Carwyn James fut nommé directement entraîneur des Lions pour la tournée triomphale de 1971 en Nouvelle-Zélande. Il fut en plus le sélectionneur des Barbarians à l’occasion du célèbre match de 1973, toujours face aux All Blacks. Homme cultivé, secret mais capable de se présenter aux élections législatives, il trouva la mort brutalement en 1983, à 53 ans.

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