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Entretien. Romain Sazy : "En vidant mon casier, j’ai pris une claque…"

Par Marc Duzan
  • Romain Sazy, deuxième ligne du Stade rochelais lors de la finale de Top 14.
    Romain Sazy, deuxième ligne du Stade rochelais lors de la finale de Top 14. Patrick Derewiany - Patrick Derewiany
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Le 17 juin, soit au soir de la dernière finale du Top 14, le deuxième ligne a mis un terme à dix-sept ans de rugby pro. à la fois soldat de l’ombre et monument, il revient aujourd’hui sur les faits marquants d’une carrière comme il en existe peu…

Qu’avez-vous ressenti au moment de quitter la pelouse du Stade de France, à la 50e minute de la dernière finale du Top 14 ?
Bizarrement, je n’y ai pas trop pensé sur le coup… On menait au score et en voyant que le banc m’appelait, je me suis donc juste dit : "Faut que ça tienne, les mecs !" Et puis, en quittant la pelouse, j’ai reçu deux ou trois tapes amicales de la part de mes coéquipiers et là, j’ai pensé : "Merde… C’est la fin…"

Cette fin de match fut sublime pour les Toulousains, abominablement cruelle pour les Rochelais. Et Que vous en reste-t-il ?
Ce fut compliqué à vivre, comme vous pouvez l’imaginer… Ce Bouclier, on ne l’avait jamais aussi longtemps tenu entre les mains… Et puis, il a glissé… (il soupire) Je n’ai pas revu le match mais en ayant la possession à quatre minutes de la fin, on aurait dû garder le ballon, l’enterrer… On leur a laissé une dernière cartouche et aujourd’hui, on connaît tous la suite. Malgré tout le talent de Romain Ntamack, nous n’avions pas le droit de laisser un joueur faire soixante-dix mètres ballon en mains.

Dans quel état de détresse était ce soir-là UJ Seuteni, auteur de la montée en pointe ayant ouvert la porte à Ntamack ?
Sur cette fin de rencontre, nous avons tous fait des bêtises et cette saison, UJ a fait basculer plusieurs matchs en notre faveur. On ne peut pas en vouloir à un mec comme lui. Ce serait injuste, indigne.

Après dix-sept ans de carrière professionnelle, serez-vous vraiment capable d’arrêter le rugby du jour au lendemain ?
Le deuil, il va bien falloir le faire. […] J’ai eu des opportunités pour poursuivre ma carrière. Mais honnêtement, je ne me voyais pas jouer avec, sur les épaules, un autre maillot que celui du Stade rochelais. C’était inconcevable. Et puis, physiquement, cela commençait à devenir difficile : sur la fin, les séances de muscu étaient devenues pour moi plutôt courtes…

Comment fait-on le deuil, au juste ?
La première étape, ce fut le jour où j’ai vidé mon casier dans les vestiaires : là, j’ai vécu un moment difficile ; un moment très bizarre, même… La deuxième étape, ce sera j’imagine le jour où les mecs vont débuter la prépa : à ce moment-là, je prendrai probablement une autre claque…

Comment avez-vous expliqué à vos enfants que leur père ne jouerait plus au rugby ?
Mes plus grands fans, ce sont mes enfants. Le dernier, qui a 4 ans, est d’ailleurs un vrai mordu de rugby : il connaît les noms des joueurs par cœur, passe deux heures dans le jardin à taper des coups de pied… Je ne sais pas s’il sera ou pas un futur prodige mais il s’entraîne déjà beaucoup plus que moi. […] Je crois que ce sera un peu étrange pour lui, au départ ; mais on vivra l’expérience différemment. Je l’emmènerai au stade Deflandre et je regarderai le match à ses côtés, voilà tout…

Est-il à ce point dingue de rugby ?
Oui ! L’autre jour, il regardait la rediffusion de la finale du Top 14 sur le canapé. Là, je lui ai dit : "Tout mais pas ça… Tu changes, s’il te plaît…". Ce match, je pense que je ne le regarderai jamais.

Qu’allez-vous faire, la saison prochaine ?
Le club m’a proposé d’entraîner les Espoirs et comme je l’ai toujours fait, je donnerai tout pour être à la hauteur de la mission. C’est un grand honneur, pour moi.

Vous souvenez-vous de votre premier match en pro ?
Oui. J’avais 18 ans et trois ans de rugby derrière moi. Un jour, Toto Travers (alors entraîneur de Montauban, N.D.L.R.) est venu me voir et m’a dit : "Tu seras remplaçant ce week-end". On affrontait Padoue en Challenge européen, cette semaine-là. C’était quelque chose d’important, pour moi. Je me souviens d’ailleurs que les papas de l’équipe m’avaient beaucoup protégé. Avant le match, Lionel Vaïtanaki avait même dit aux Italiens : "Personne ne touche au gamin, compris ?" […] À Montauban, on devait le respect aux anciens et en échange, on avait interdiction de sortir le porte-monnaie en soirée.

En quoi le rugby professionnel était-il différent ?
Ça allait moins vite, déjà. Et surtout, il y avait dans le championnat moins d’animaux, comme on dit. Des mecs hors-normes, tu en avais un par équipe : nous, on avait Benjamin Sa (ancien pilier d’1,93 m et 135 kg) ; les Catalans, eux, avaient Henry Tuilagi. Aujourd’hui, des animaux, il y en a dix dans chaque équipe et le pire, c’est qu’ils se sont même un peu décalés dans la ligne de trois-quarts…

Puisque vous en parlez : le pack actuel du Stade rochelais possède des dimensions assez irréelles. Aviez-vous déjà évolué au sein d’un tel paquet d’avants ?
Le gros pack, ça a toujours été la marque de fabrique du Stade rochelais. En Pro D2, on dominait déjà les autres équipes dans le combat d’avants.

Et désormais, alors ?
Nous essayons juste de jouer sur nos forces. On a, au club, des systèmes de jeu qui nous permettent de ne pas trop user nos plus gros gabarits et d’en tirer le meilleur profit, sur la durée.

Ronan O’Gara, la semaine dernière, disait que le plus beau trophée reste le Bouclier de Brennus. Avoir tiré un trait sur votre carrière sans avoir pu le toucher est-il pour vous un immense regret ?
On a tous un jour rêvé de le gagner, ce bout de bois. Et voir l’adversaire le toucher à ta place, c’est très dur ; c’est même quelque chose qui te bouffe de l’intérieur. Mais en remportant deux fois la Champions Cup, j’ai aussi réalisé quelque chose que je n’aurais probablement jamais imaginé accomplir à mon arrivée au Stade rochelais, il y a treize ans. […] Derrière ça, voir le trophée sur le vieux port m’a donné une force incroyable : j’ai vu des gamins en larmes, des anciens dans le même état et j’ai compris pourquoi nous faisions tout ça : un titre, ça se partage. Et comme je l’ai dit à mes coéquipiers récemment, ces deux Champions Cup consécutives nous ont tous liés à vie.

Depuis plusieurs saisons, La Rochelle et Toulouse se croisent et se décroisent. Est-ce le début d’une rivalité amenée à perdurer ?
Je lisais récemment dans votre journal qu’on a ces dernières années fait cinq finales sur six possibles. On monte en puissance, on est là. Mais ce serait manquer de respect aux autres équipes du championnat que d’assurer que le Top 14 va désormais se réduire à un duel Toulouse – La Rochelle. L’année dernière, Montpellier et Castres étaient les deux finalistes, que je sache…

Vous êtes-vous épanoui dans l’image de soldat de l’ombre que l’on vous a toujours collée ? Ou est-elle trop réductrice ?
J’ai des mecs à côté de moi qui portent beaucoup la balle. Si je dois de mon côté faire un match à vingt plaquages et trente déblayages sans toucher le moindre ballon, je le ferai. Cette image ne m’a jamais dérangé.

Avez-vous été touché de voir votre portrait accroché dans le bureau du maire de La Rochelle, le lendemain de la finale ?
Monsieur le Maire m’avait déjà offert une écharpe en début de saison pour me remercier des services rendus. Mais voir mon visage juste derrière son bureau, au lendemain de la finale, ça m’a surpris et touché, oui.

Nous avons découvert, dans le dernier documentaire de nos confrères de Canal + sur les demi-finales du Top 14, l’existence de « Choumi », l’un de vos plus fidèles supporters. Comment l’avez-vous rencontré, au juste ?
Choumi, on l’a rencontré en stage de pré-saison, en pleine montagne. L’après-midi, pour tuer le temps, on avait trouvé un petit bar de village qui ne payait pas de mine. Lui en était le serveur et était adorable, drôle, bienveillant… On a tout de suite accroché et à notre retour à La Rochelle, on a décidé de remplacer notre habituel cri de rassemblement par : "Un, deux, trois, Choumi !" Ça nous a suivis toute la saison…

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Les commentaires (2)
CasimirLeYeti Il y a 10 mois Le 02/07/2023 à 17:01

Fantastique carrière de Castelsarrasin à La Rochelle, en passant, bien sûr, par Sapiac... Quand il reviendra, au pays, à la ferme familiale, il y aura des tas de clubs à entraîner à 50 km à la ronde, parce que c'est comme ça, dans le Sud-Ouest, au c½ur de l'Ovalie !

orus33 Il y a 9 mois Le 03/07/2023 à 16:49

pour le moment il a jeté l'ancre pas loin du vieux port -)