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Marty, Percilier, Moro... Ces jeunes qui disent stop au rugby professionnel

Par Pablo Ordas
  • Maxime Marty sous les couleurs du Stade toulousain.
    Maxime Marty sous les couleurs du Stade toulousain. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Cette saison, pas moins de sept joueurs entre 22 ans et 26 ans, évoluant dans des clubs de Top 14 ou Pro D2, ont décidé de raccrocher les crampons. Ils expliquent, ici, les raisons de ce choix radical.

Le rugby professionnel fait-il toujours rêver les jeunes joueurs ? La question mérite d’être posée. En cette fin de saison propice aux annonces de transferts et autres fins de carrières, plusieurs joueurs, pourtant dans la force de l’âge, ont décidé de raccrocher les crampons. Ils s’appellent Maxime Marty, Quentin Dubreuil, William Percillier, Rémi Leroux, Jules Bertry, Thibault Tauleigne ou Victor Moro. Ils sont tous JIFF, ont entre 22 et 26 ans et après plusieurs saisons passées dans le monde professionnel, ils ont fait le choix de tirer un trait sur leur carrière pro, voire d’arrêter définitivement le rugby et ce, souvent, pour les mêmes raisons.

"Il y a une forme de burn out"

Chez la plupart de ceux que nous avons contactés, il y a d’abord un manque de temps de jeu qui mine le moral, décourage au quotidien et peut, parfois, conduire jusqu’à l’écœurement. Quentin Dubreuil (25 ans) évoluait au RC Vannes depuis 2019. Peu utilisé ces trois dernières saisons (16matchs au total), pas dans les plans de l’encadrement technique breton qui lui avait notifié en mai 2022 qu’il ne comptait plus sur lui, alors que son contrat courait jusqu’en juin 2023, il n’a pas joué la moindre rencontre cette année. "J’ai essayé de me rapprocher de chez moi pour un prêt à Nice, qui n’a pas abouti. À partir de ce moment, je n’ai pas eu envie de redémarrer à zéro dans une autre région. Mon temps de jeu n’était pas une belle vitrine. Il y a une forme de burn out. Malgré tous les efforts que tu fais, tu n’es pas récompensé. Il y a une perte d’envie. Tu fais des sacrifices, tu es loin de chez toi, tu donnes tout chaque jour et ça ne sourit pas. Ça joue, mentalement. J’ai préféré stopper les dégâts." Le garçon, formé sur la Côte d’Azur, a alors décidé de rentrer chez lui et de poursuivre des études déjà bien entamées. Il entrera en Master Manager Immobilier à la rentrée prochaine. Pour garder le plaisir du rugby, il jouera désormais à 7, avec l’équipe de Monaco.

Champion du monde avec les U20, Maxime Marty n’a pas connu une saison blanche à Carcassonne, mais il a été éloigné des terrains pendant près de cinq mois. "J’aspirais à mieux à ce niveau-là. Dans le sport de haut niveau, des fois, tu t’entraînes, tu bosses comme un âne, tu peux être très en forme et malheureusement, les choix du coach font que tu n’es pas sur le terrain le samedi. C’est quelque chose qui a fini par me peser énormément." Comme Dubreuil, Marty évoque les sacrifices faits depuis le plus jeune âge, son départ de Toulouse, les différents déménagements (il a connu quatre clubs en cinq ans). "Je n’ai pas eu le retour espéré et je pense que je me suis un peu lassé." Il aurait pu chercher des opportunités pour continuer à vivre du rugby, mais a préféré tourner la page. Il va intégrer une école de kinésithérapie à Barcelone, cet automne. "Dans mes études, si je rate un examen, ce sera ma faute, car je n’ai pas assez bossé. Je veux être maître de mon destin et ne pas dépendre des choix du coach."

Will Percillier avec le Stade français.
Will Percillier avec le Stade français. Icon Sport

International canadien, William Percillier (24ans) a mis sa carrière entre parenthèses. "J’ai eu très peu de temps de jeu ces deux dernières années. L’équilibre entre le plaisir, la charge mentale, le stress et l’anxiété des résultats n’était pas rentable, raconte l’ancien joueur du Stade français. Je ne jouais pas autant que ce que je voulais et ça a pesé. Si j’avais eu plus de temps de jeu et donc pris plus de plaisir, je serais peut-être resté plus dans le rugby." Écœuré par le ballon ovale, il a récemment eu une opportunité pour se relancer avec l’équipe du Canada à sept. "C’est un rêve de gosse, dans une année avant les JO, de pouvoir voyager dans le monde, d’autant que mon frère et mes meilleurs potes y jouent. Mais même là, je n’arrive pas à me projeter dessus. Je suis en overdose de rugby. C’est douloureux, car c’était ma passion, mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, j’ai besoin d’une pause." Pour se changer les idées, il compte valider, en cette fin d’année scolaire, sa quatrième et dernière année d’école de commerce. "Les notions de plaisir et de jeu sont très importantes. Le jour où tu prends le rugby comme un travail, il faut arrêter", nous avait dit, il y a plusieurs années, Olivier Roumat. Ces jeunes-là ont opté pour cette décision radicale.

Des corps (déjà) usés

D’autres, à cause de blessures à répétition, ont préféré s’éloigner des terrains. C’est le cas du Montpelliérain Jules Bertry (22 ans, quatre matchs en Top 14 sur la saison 2020-2021). "Je me suis fait deux fois les croisés. Au deuxième, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase." Comme les joueurs ayant témoigné précédemment, Bertry aurait pu "forcer" et "accrocher" un club de Pro D2. "Joan Caudullo (directeur du centre de formation du MHR, NDLR) me disait que j’allais y arriver, mais je n’avais pas envie de tirer, d’aller jouer dans des villes pourries juste pour que le rugby devienne le sujet principal de ma vie, alors qu’il y a plein de trucs autour."

Au moment de faire un bilan de sa vie de rugbyman, le trois-quarts centre ne manque pas de lister les différents pépins qu’il a eus. "Je me suis fait opérer dix fois. Deux genoux, deux fois du pied, deux fois de l’épaule, deux fois du doigt… J’ai l’impression d’être brisé physiquement. Je veux pouvoir courir à 40 ans. Quand je vois comment des gars finissent, avec moins de blessures que moi, je me dis que les sacrifices sont énormes. Il y a une autre vie après le rugby, il faut pouvoir la vivre normalement." Il confie, aussi, avoir fini sous antidépresseurs et anxiolytiques. "C’était usant, je me posais la question de savoir quand est-ce que j’allais revenir. À 22 ans, je me mettais une pression de malade, alors que c’était censé être du plaisir. Il n’y en avait plus. Ce qui m’a fait mal, c’est que j’avais les capacités pour le faire, mais je me suis fait une raison. Il n’y a pas que le rugby dans la vie. On peut s’épanouir dans plein d’autres choses." 

Poussé par ses parents à faire des études (il a déjà un Bac +3 en management du sport), c’est en démarrant un master management et business développement dans les prochains mois, qu’il va entamer le second chapitre de sa vie.

Rémi Leroux (24 ans), a aussi décidé de quitter le rugby professionnel. Après un début de carrière prometteur (23 matchs à La Rochelle), il a porté les couleurs du RC Vannes les deux dernières saisons avec moins de réussite. C’est avant tout pour des raisons familiales qu’il a décidé de se rapprocher des siens, qui se trouvent en Normandie. "Je me suis fait aider, j’ai vu un psychologue, pour que je me rende compte que le rugby, ce n’est plus ce que je voulais faire dans ma vie." Si un décès dans sa famille a été l’élément déclencheur, il avoue que son corps, déjà usé, l’a conforté dans cette décision. "Je suis jeune, se péter et à 40 ans ne plus pouvoir marcher, ça n’en vaut pas la peine. Mes chevilles ont commencé à couiner, j’ai eu deux ruptures des ligaments, mes tendons d’Achille me font mal tous les matins. Quand je me lève, j’ai de l’arthrose aux chevilles. Un corps, on en a qu’un. Il faut le préserver. Lorsque tu en prends conscience, tu te dis qu’il est peut-être temps d’arrêter. Après, pour moi, c’est un tout qui m’a fait dire que c’était simplement le moment." 

Rémi Leroux avec le Stade rochelais en 2020.
Rémi Leroux avec le Stade rochelais en 2020. Icon Sport

Il avait la possibilité de poursuivre sa carrière en Pro D2 ou Nationale, mais n’a pas donné suite. Le deuxième ligne a préféré entamer un bachelor en commercialisation vins et spiritueux.

Une décision, aussi, liée au salaire

Thibault Tauleigne (26 ans) a également décidé de quitter le rugby pro, miné par les pépins. Après un début de carrière du côté d’Oyonnax, sa progression a été freinée par une grosse blessure en 2019. Au Stade montois, qu’il a rejoint il y a deux ans, le petit frère de Marco Tauleigne a passé pas mal de temps à l’infirmerie, et en janvier les dirigeants landais lui ont signifié que son contrat ne serait pas prolongé. "Un club m’a alors contacté au mois de mars. J’aurais dû avoir, très rapidement, un retour sur une proposition, mais ils ont fait les morts, avant de contacter mon agent quatre semaines plus tard, pour dire qu’ils avaient pris quelqu’un d’autre. Ça m’a mis un coup derrière la tête. Je me suis dit qu’on était vraiment du bétail. On te réserve et, si on a mieux, on prend autre chose. J’ai eu des appels d’autres clubs, mais le fait d’avoir pris ce coup derrière la tête a provoqué chez moi une remise en question. Je me suis demandé ce que je voulais faire par la suite."

De retour dans l’Hérault, il rêve d’ouvrir sa brasserie. Il ne s’interdit pas de reprendre le rugby chez les amateurs, avec ses amis, mais ne veut plus du rugby pro. "Les gens qui ne sont pas dedans ne voient que le bon côté : la télévision, le bon salaire, mais ils ne voient pas le reste. Cet été, par exemple, j’ai quatre mariages et je vais pouvoir y assister, car le rugby n’est plus ma priorité. Le week-end, lorsque les gens sont à un repas de famille avec leurs neveux ou enfants, moi, je fais douze heures de bus aller et retour. Le rugby, ça prend plus de temps qu’on ne peut le croire."

Lorsque les joueurs prennent ce type de décision, la question du salaire rentre, évidemment, en compte. Ceux que nous avons interrogés percevaient, grosso modo, entre 1 500 € et 4 000 € par mois. Une rémunération avec laquelle on peut commencer à vivre aisément, mais qui reste loin de certains salaires, ceux qui permettent d’épargner. "Je ne voulais pas arriver à 30 ou 32 ans, en ayant gagné ma vie grâce au rugby, sans avoir mis assez de côté pour l’après. Au lieu de faire un pari sur huit ou dix ans, j’ai préféré assurer 40 années derrière", explique Quentin Dubreuil. "Si j’avais touché 10 000 ou 15 000 euros par mois et que je ne m’étais pas fait les croisés, bien sûr que j’aurais tiré. Mais je ne touchais même pas 1 500 €, à 22 ans, pour une carrière qui n’allait certainement pas avoir lieu. Ça n’avait pas d’intérêt", estime Jules Bertry, "dans un centre de formation, si cinq ou six mecs finissent professionnels, c’est bien. Pour les autres, ils doivent tirer en Nationale ou Nationale 2. Il y a une part d’illusion, on se dit qu’on gagne beaucoup d’argent très vite, car on peut facilement gagner 2 000€ ou 2 500 €, à 22 ou 23 ans. Mais le problème, c’est que quand ça s’arrête, à 30 ans, si on a que le Bac, ça devient très dur, car tu n’as pas forcément pu mettre beaucoup de côté… Je trouve qu’on ment un peu trop aux jeunes." William Percillier enchaîne : "Je sais que je vais me retrouver sans salaire, ça fait un peu peur, mais soit je me lance maintenant, soit je sacrifie mon bien-être, je pousse et je me retrouve dans la même situation à 30 ou 32 ans. Je préfère me lancer maintenant. J’accepte mon destin", glisse le Canadien.

Victor Moro, le cas à part

(24 ans) n’entre dans aucune des "cases" évoquées plus haut. Joueur de Colomiers depuis son plus jeune âge, il a fait ses débuts en Pro D2 en 2019. Depuis, il a disputé 50 rencontres et a tourné à quinze matchs en moyenne sur les trois dernières saisons. Il a, pourtant, décidé de mettre un terme à sa carrière. "Je suis content d’avoir joué au rugby, mais ma personnalité fait que j’ai fait le tour de tout ça assez rapidement, explique le trois-quarts aile. D’autres arrivent à ce point à 32 ou 33 ans, moi, c’est à 24 ans. Je vois ce que le rugby m’apporte et je vois aussi les sacrifices qu’il faut faire pour pouvoir continuer. Je les ai faits étant jeune. Le rapport coût/bénéfice, je l’ai bien analysé. Il n’y avait pas de gros avantages, pour moi, à continuer."

Victor Moro a disputé 50 matchs de Pro D2.
Victor Moro a disputé 50 matchs de Pro D2. Icon Sport

Peu blessé, en bons termes avec son manager et apprécié du côté de Michel Bendichou, Victor Moro a vu son club formateur lui proposer une prolongation de contrat, qu’il a déclinée. Il aurait pu, aussi, embrasser un autre projet ailleurs, en seconde division. "Mais j’ai eu la possibilité de basculer sur un stage à Paris, en gestion du patrimoine. Ma reconversion était déjà préparée, car j’avais fait des études. Pendant ma carrière, le fait de faire autre chose que du rugby m’a permis de continuer à jouer sans me prendre la tête et si j’ai fait ce choix, c’est car je sais que je vais être plus heureux comme ça." Avant de dire définitivement au revoir au petit monde du rugby, qu’il quitte sans rancune, le Columérin se souvient de ces mots qui lui ont été soufflés alors qu’il n’était qu’un jeune joueur au centre de formation de l’USC : "On m’avait dit que pour ne pas arriver au point de dégoût, il fallait faire autre chose que du rugby. C’est vachement important que les jeunes trouvent une chose qui leur plaît. J’ai vu plein de mecs pour qui c’est vachement dur d’arrêter et j’espère vraiment qu’ils comprendront que c’est important de voir autre chose."

Un conseil que les champions de demain feraient bien de suivre. Pour tous les jeunes qui ont décidé de raccrocher les crampons en cette fin de saison, une tête bien faite et un double projet suivi avec sérieux leur ont permis de facilement tourner la page du rugby pro, pour se lancer, plus tôt que les autres, dans la vie d’après.

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