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Histoire - Armand Vacquerin, pilier pour l’éternité

Par Bruno Fabioux
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Pour les 30 ans de la mort d’Armand Vaquerin, nous avons choisi de rediffuser ce reportage paru dans notre édition du 29 juillet 2002, neuf ans après la mort du joueur. Retour sur la destinée hors du commun d’un homme qui brûlait la vie par les deux bouts.

À midi et des poussières, le 10 juillet 1993. Presque un an après que le gratin du rugby hexagonal eut célébré son jubilé au stade de la Mediterranée, Armand Vaquerin a rejoint, à 42 ans, le paradis des piliers. Au bout d’une ultime bravade, au sortir d’une énième nuit blanche comme il les aimait et où il entretenait le mystère de sa face cachée. Nul n’ignorait, en effet, qu’il y avait deux Armand, deux piliers : celui de la mêlée du "Grand Béziers" - onze fois finaliste (1971, 1972, 1974, 1975, 1976, 1977, 1978, 1980, 1981, 1983 et 1984), dix fois titré (une seule défaite, en 1976, contre Agen), un record - et celui des mêlées interlopes.

Armand va creuser sa tombe où il a brûlé sa vie : dans un bar. Celui des "Amis", en l’occurrence (aujourd’hui rebaptisé le "Why Not ?"), place Garibaldi, à Béziers, où il prolonge naturellement sa nuit, un samedi d’été. Agacé après un accrochage nocturne dans un autre établissement, il est derrière le bar où il chahute avec Nadine, la serveuse, quand il propose un coup à boire à Jacques, un habitué qui prend l’apéro au zinc (et dont nous avons recueilli le témoignage après qu’on l’a rencontré par hasard au "Tropicana", le bar d’Henri Cabrol, situé face au "Why Not ?"), son cabas à provisions dans la main droite, sa chienne fox-terrier bâtarde couchée à ses pieds.

Un pan de l’histoire du rugby et de Béziers s’écroule

Jacques refuse, au prétexte qu’il n’est plus tout jeune (70 ans à l’époque). Il connaît bien Armand – qu’il vouvoie néanmoins - ils trinquent fréquemment ensemble. Armand se fâche, s’emporte. Va à sa voiture. Revient avec un 357 Magnum. Propose à brûle-pourpoint à Jacques d’engager une partie de roulette russe. Un défi insensé mais le rationnel dans ces moments-là…

- "Je lui dis : "Arrêtez Armand ! C’est idiot."

- Tu as peur ?

- Non, Armand, j’ai fait l’Indochine.

- Alors vas-y, commence.

- Je n’ai pas peur, mais je ne veux pas."

Jacques se souvient du barillet ouvert, des balles qu’Armand jette sur le comptoir, qui roulent et tombent derrière, à part deux. Jacques pense qu’elles ont toutes été éjectées : "C’était des balles de 38, sauf une, au bout coupé, pour le tir sur cible. Cette p…-là était restée coincée, je ne le savais pas." Quelques secondes plus tard, c’est un pan de l’histoire du rugby et de Béziers qui s’écroule. Qui plonge une famille - Hilaria, la maman, Rose-Marie, la "petite sœur", François, Manu, Daniel et Elie, les frères aînés, Éric, le fils - dans un profond désarroi. Le pire vient d’arriver.

Si Armand a beaucoup donné, on lui a beaucoup prêté. Sa générosité, sur le terrain, dans la vie, n’était pas la moindre de ses vertus. Sa vie, son "œuvre", ont tant fait couler, d’encre, de salive, que sa mort, violente, ne pouvait que prêter le flanc à toues les affabulations. Tout le monde savait : ses fréquentations - Demi-sels ? Petites frappes ? qu’importe - qui l’"ont perdu". Son entourage, famille, amis, anciens coéquipiers, ne dit rien mais sous-entend. Elie, quand il évoque la mort d’Armand, parle du "problème", Rose-Marie de "l’accident".

Henri Cabrol, son aîné de l’ASB, six fois champion de France : "Le problème, c’est qu’Armand a toujours vécu sur le fil du rasoir. Il est tombé du mauvais côté. De toute façon, il ne pouvait pas mourir dans son lit." Malgré tout, ses frasques, ses absences soudaines, de durée variable, Armand est respecté de tous. Aux entraînements, en match, il est irréprochable. Raoul Barrière, son entraîneur qui l’a fait débuter en équipe première à peine âgé de 18 ans, se souvient : "C’était un "petit" adorable, généreux en tout. Un cœur en or. On ne pouvait que l’aimer. Il n’avait rien à lui, donnait tout. Il possédait une qualité essentielle : il adorait s’entraîner, ne rechignait jamais, en faisait même trop parfois. Je me souviens de l’avoir sermonné parfois, à ses débuts, dans le bureau de Jojo Mas, le président d’alors, parce qu’il avait fait une connerie. Il se mettait à pleurer et je l’embrassais pour le consoler. Aujourd’hui, avec le rugby professionnel, il serait encore plus fort. Outre ses qualités d’adresse, de vitesse, de perforation, il avait un mental à toute épreuve, ne craignait personne. Un vrai guerrier. Armand devrait avoir 50 ou 60 sélections internationales (il en compte 26, N.D.L.R.)."

Raoul Barrière : "Armand, on lui passait beaucoup de choses"

"Mais il aimait la vie, subissait l’influence de certains parasites qui lui faisaient plus de mal que de bien. Et personne n’était capable de lui dire : "Ne va pas avec eux !" C’est vrai que je n’ai pas eu le même comportement avec lui qu’avec les autres. Armand, on lui passait beaucoup de choses. C’était le seul pour qui on avait des excuses. Sa mort m’a bouleversé. Elle a été un vrai désespoir pour tout le monde. Il serait mal venu de dire du mal de lui."

Gringalet jusqu’à 12 ans, Armand a explosé ensuite physiquement. Dans la maison familiale de l’avenue Jean-Moulin, il se "tire la bourre" avec les frangins en soulevant une barre d’acier lestée d’un galet de bulldozer. Dans le quartier du Champ de Mars, il se forge le caractère et la réputation auprès des bandes rivales du Faubourg, des Allées, des Fours à Chaux… La famille est soudée derrière Daniel, le père (disparu en 1991), respecté mais qui ne donne jamais d’ordres, qui a fui l’Espagne franquiste pour se réfugier à Séverac-le-Château, dans l’Aveyron, où naissent les six garçons (Floréal, le quatrième, est décédé à 23 ans dans un accident d’auto) et Hilaria, la maman.

Rose-Marie, la petite dernière, naîtra à Béziers. D’Armand - "mon préféré. S’il n’avait pas été mon frère, il aurait été mon mari" - elle sait parler des heures, le trouble à fleur de peau. Les années n’ont rien emporté du souvenir de celui qu’elle suivait partout, en totale sécurité. "J’étais la reine, j’ai eu les meilleurs amis du monde. J’ai tout connu avec lui : les palaces comme les fonds de cour. Il m’a offert mon voyage de noces au Mexique, où il vivait alors. Armand marquait les gens par sa tolérance ; il ne portait de jugement sur personne, riche ou clodo. Il était passionné par la mer, plongeait en apnée au milieu des requins, casse-cou, toujours à la limite, en défi constant. Il vendait le poisson qu’il pêchait s’il avait besoin de fric, le donnait sinon. J’ai été gâtée, aimée, je n’aurais donné ma place à personne. Je me souviens qu’il rendait fou Raoul Barrière en arrivant aux matchs au dernier moment et en disparaissant dès la fin. Quand il faisait une bêtise, qu’il partait des jours sans rien dire, il envoyait un bouquet de fleurs et un petit mot à ma mère, pour se faire pardonner. J’ai très mal vécu l’après-Armand à cause de tous les ragots qu’on a colportés à son sujet : qu’il se camait, qu’il était dépressif… C’est faux : Armand a joué, il a perdu."

En virée, seul, dans le Bronx

Après Armand, Rose-Marie a perdu Marc, son second fils, décédé à 15 ans, le jour de la finale de la Coupe du monde 1999, d’un accident de scooter, une semaine après sa grand-mère. Depuis ce jour-là, elle a "refait surface". Elle qui n’allait plus à la feria, fuyait les bodegas des Allées Paul-Riquet, par peur, sûrement, d’y croiser le fantôme d’Armand, a conscience aujourd’hui de l’intérêt de perpétuer son souvenir. Comme à Camarès, en Aveyron, où le challenge Armand-Vaquerin, en août, grâce au dévouement de Bernard Bouzat, cheville ouvrière du Rugby Club du Rougier, et de Franck Vaquerin, le fils de François, salue depuis 1994 la mémoire d’un pilier et d’un homme hors-norme, qui n’est jamais rentré dans aucun moule.

D’un pilier, d’un homme, qu’on peut résumer (et encore !) en une poignée d’anecdotes que nous a contées Henri Cabrol. En finale 1975, face à Brive, lorsqu’il a tenu une mi-temps entière avec le genou "en vrac" car l’arbitre avait refusé de le laisser sortir, après avis médical, hurlant de douleur à chaque mêlée quand Georges Senal, son deuxième ligne, devait lui tenir l’articulation. En 1974, À Saint-Jean-de-Luz, quand Laplace, un deuxième ligne basque, a voulu "chausser" Henri, à quatre pattes après avoir glissé. "Armand a plongé entre moi et Laplace et il a pris en pleine figure le coup de pied qui m’était destiné, se souvient Henri. Il avait le nez derrière la tête. Quant à Laplace, on ne l’a plus revu, je ne sais pas ce qu’il est devenu."

Le vendredi 29 novembre 1974, Henri monte à Paris en voiture pour jouer contre l’Afrique du Sud le lendemain avec le XV de France. Le dimanche, Armand lui demande s’il peut le ramener à Béziers, apparemment pressé. "On est rentré le samedi suivant. On a passé trois jours à Valence, à boire et à manger chez une famille arménienne et on a fini au Papagayo, à Sète, chez André Lubrano. On ne pouvait rien refuser à Armand. Mais quand on y était…"

Ces broches qu’on lui avait posées après qu’il se fut sectionné un doigt, à 17 ans, quand il travaillait à la menuiserie Bolzan, et qu’il arracha avec une paire de tenailles. Ce zézaiement qui accompagnait singulièrement son phrasé et dont personne, évidemment, n’osait se moquer. "En déplacement, continue Henri, on jouait à un jeu de cartes qui s’appelait la "Bourre". Quand Armand abattait ses cartes et s’écriait "Ze bourre", il levait en même temps la tête à l’affût du moindre ricanement. S’il commençait à plisser les yeux, c’était mauvais signe."

Cette virée dans le Bronx, encore, seul, au retour d’une tournée, ou dans l’immense Sao Paulo, quand sa mère s’inquiétait au téléphone depuis la France – "il est où le petit ?" - et que les copains inventaient un mensonge pour ne pas l’alarmer.

Lorsque nous l’avons laissée, Rose-Marie nous a montré une photo qui ne quitte jamais son portefeuille. On la voit danser avec Armand, au "Cardiff", son second bar, qui a succédé au "Mondial". Se souriant l’un et l’autre. Pour l’éternité.

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