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Antoine Dupont, la saga : le taiseux devenu capitaine (4/9)

Par Jérémy Fadat avec Nicolas Augot
  • Antoine Dupont lors de la demi-finale face au Leinster le 29 avril 2023.
    Antoine Dupont lors de la demi-finale face au Leinster le 29 avril 2023. Sportsfile / Icon Sport - Sportsfile / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Modeste et discret par nature, le demi de mêlée des Bleus n’est pas le joueur le plus expansif qui soit. Pour certains, il n’était donc pas destiné à devenir un leader sur le terrain et en dehors. Mais son exemplarité, sa franchise – et le respect qu’il inspire – l’ont mené logiquement jusqu’aux capitanats du Stade toulousain et du XV de France. Dans un profil très éloigné du cliché du « gueulard ».

C’était en septembre 2021, alors qu’Anthony Jelonch venait de rejoindre son meilleur pote au Stade toulousain. Le troisième ligne se replongeait dans ses souvenirs d’adolescence à Auch et disait à propos d’Antoine Dupont : « Je le voyais déjà traverser tout le temps le terrain. Il fallait le suivre ! » Anodine, cette phrase résume tout de ce qu’est Dupont aujourd’hui.  Sur la pelouse, et dans le vestiaire. Là où il faut « le suivre » justement… Joueur exceptionnel, le Magnoacais s’est aussi mué en un grand capitaine. Alors qu’il partageait la fonction en club cette saison avec Julien Marchand, le Top 14 pour le talonneur et la Champions Cup pour le demi de mêlée, c’est néanmoins lui qui assumait la responsabilité lors des dernières phases finales du championnat de France, jusqu’à présenter ses troupes au président de la République Emmanuel Macron sur le tapis vert du Stade de France puis à les mener au Bouclier de Brennus dans les tribunes. La première raison ? Laisser Marchand se concentrer sur le jeu, lui qui revenait récemment de blessure. L’autre ? Dupont est incontournable, tout simplement. Avec le XV de France, c’est aussi lui qui a endossé la charge à l’automne 2021, quand Charles Ollivon – premier capitaine de l’ère Galthié – était absent. Question de légitimité. Un succès historique face aux All Blacks et un grand chelem plus tard, l’ancien Castrais fut maintenu dans les fonctions malgré le retour du flanker toulonnais. Dupont sera définitivement le guide du XV de France pour sa Coupe du monde à domicile.Tellement logique.Mais c’était loin d’être évident, quelques années en arrière…

Montagnard jusqu’au bout des doigts, Antoine Dupont est par nature un garçon modeste, pudique et souvent silencieux.C’est ainsi qu’il était perçu par beaucoup dans sa jeunesse. Jean-Marc Béderède, qui fut son manager à Auch, se rappelle : « Ce n’était pas un grand causeur. » Et le technicien gersois Serge Milhas, qui l’avait fait signer à Castres en 2014, de renchérir : « Toto est très discret. Il ne se livre pas comme ça. » Mais Dupont, et c’est important de souligner la nuance, n’a jamais été pour autant un mec effacé ou absent. Bien au contraire, selon Pierre-Henry Broncan, dont il est un intime depuis de longues années et qui avait participé à son recrutement au Stade toulousain en 2017 : «Antoine, c’est un discret mais pas un timide. C’est un garçon qui a ses convictions et qui garde ce vrai côté pyrénéen. Disons que, lorsqu’il a une idée en tête, c’est dur de le faire changer (rires). C’est une personne très franche. Quand il en a besoin, il est capable de venir te dire les quatre vérités en face. Il a toujours eu ce tempérament-là. On aime ou pas mais, avec lui, on sait où on va au moins. » Parce qu’il sait ce qu’il veut.

Mola : « Antoine est un exemple, un moteur »

Reste que cela n’en faisait pas non plus un leader naturel à l’aube de sa carrière. Même s’il présentait déjà certaines qualités, même cachées. « Antoine était réservé mais très bien avec ses copains, qu’il suivait partout, même dans la fête, alors qu’il était plus dans l’observation, explique Béderède. Je ne sais pas s’il avait besoin d’être rassuré, mais il aimait être avec eux, même s’il n’était pas le plus expansif. Il apprécie de vivre avec les autres. » C’était effectivement le cas, déjà, dans ses années cadet et crabos. « On avait un groupe de potes dans la vie avec notamment Anthony (Jelonch) ou Greg (Alldritt), raconte Paul Graou, qui l’a aussi rejoint à Ernest-Wallon aujourd’hui. On a de sacrés souvenirs, notamment en soirée. Même si Toto a toujours été le plus sage de la bande. Encore aujourd’hui, heureusement qu’il est là parfois (rires). » Toto et sa bande. Lui, plus raisonnable et réfléchi, mais bien là. « C’est marrant, tu as envie de protéger ce petit en taille, rigole Broncan. Pourtant, il n’a besoin d’aucune protection, il se démerde seul. Mais il a toujours eu des mecs autour de lui. À commencer par Anthony qui est à ses côtés depuis les cadets. Il l’a suivi alors qu’Antoine n’est pas un bavard, ni un fêtard comme il peut l’être. Mais il est toujours présent. »

Bref, le genre de gars sur qui on peut compter. De la graine de capitaine, sûrement. « C’était une dimension qu’il devait travailler en dehors du terrain mais aussi dessus en raison de son poste, analyse Béderède. Ce n’est pas quelqu’un qui prend la place tout de suite, qui va monopoliser la parole et l’attention. Il est à l’écoute et ouvert avec les autres, sans se prendre la tête avec son statut. » Des vertus humaines, quasiment cardinales chez lui, qui imposent le respect de tous. Et c’est bien là, dans la droiture et la fiabilité de l’intéressé, qu’il faut puiser les sources du cadre qu’il est dorénavant. « Autour d’Antoine, il y a avant tout une grande loyauté, assure Broncan. C’est quelqu’un de carré dans sa vie, donc il est suivi parce qu’il n’y a aucune arrière-pensée chez lui. Tous ceux qui le connaissent le savent. On dit qu’il est un leader par l’exemple.C’est vrai, mais parce qu’il est absolument exemplaire en dehors du rugby aussi. »

Son manager au Stade toulousain Ugo Mola insistait récemment sur ce thème : « Pour tout ce qu’il est et ce qu’il représente, Antoine est un exemple pour beaucoup d’entre nous, joueurs, entraîneurs, dirigeants ou supporters. Et c’est aussi un moteur pour le club, pour les jeunes qui sont déjà là et ceux qui viendront nous rejoindre. » Mola, avec qui il entretient une relation transparente et sans concession depuis son arrivée dans la ville rose en 2017, certainement décisif dans la dimension qu’il a prise sur le leadership. Quelques jours après avoir obtenu sa signature, alors que Dupont n’avait pas encore fêté ses premières capes en Bleu (en mars 2017), le technicien nous avait confié : « C’est bon, on tient le nouveau phénomène du rugby français. » Lui croyait déjà dur comme fer en sa capacité à diffuser son talent unique sur son environnement. « Ce qui m’a marqué chez lui, c’est à quel point il s’est rendu indispensable en quelques entraînements et en quelques matchs », nous a un jour avoué Yoann Huget, son ancien coéquipier à Ernest-Wallon. Voilà pourquoi, alors qu’il était pourtant en rééducation après son opération du genou droit quelques mois plus tôt, Mola n’avait pas hésité à le nommer parmi les vice-capitaines du groupe lors de l’été 2018. C’est le 23 décembre suivant, au sein d’une équipe remaniée lors d’un déplacement à Clermont, que lui sera confiée pour la première fois la responsabilité.

Sa relation aux arbitres

Le manque d’influence, notamment sur son pack, fut toutefois sa limite identifée à Castres. Christophe Urios, son manager de 2015 à 2017 qui a toujours reconnu sa classe sportive et humaine, illustrait après son départ : « Il a toutes les qualités mais il lui manque un truc : la relation avec les avants. Si tu joues pilier et que tu la fermes, c’est mieux. Si tu joues ailier, ce n’est pas grave.Mais là… » Il avait à peine plus de 20 ans. Peut-être aussi la conséquence d’avoir grandi dans l’ombre de Rory Kockott, rattrapé par les dirigeants tarnais à l’été 2014 (celui où Dupont a débarqué) alors qu’il avait signé un pré-contrat avec Toulon. Le Sud-Africain, patron du CO à l’époque, laissait peu de place pour s’épanouir dans le leadership. Dupont l’a fait à 80 kilomètres de là, du côté de Toulouse, dans un profil éloigné du cliché du capitaine « gueulard ». « Il doit servir à inspirer les jeunes et en finir avec certaines croyances qui ont existé dans le passé, où l’on avait tendance à dire que le capitaine était celui fort en gueule, qui parle tout le temps, note Béderède. Le capitanat est une chose qui peut se construire. Antoine en est l’incarnation. En donnant des responsabilités, en missionnant, certains parviennent à influer sur leurs partenaires à leur façon, avec leur personnalité. Il avait besoin d’évoluer dans son jeu et sa relation aux autres. Il a toujours été très bon individuellement, capable de faire des coups extraordinaires, mais il a vraiment explosé sur sa gestion du jeu. » Mutation normale, selon Broncan : « être capitaine n’était pas écrit, parce qu’il était plus un joueur individualiste qu’un gros meneur. Mais être fixé en 9 (il a alterné avec le poste d’ouvreur dans sa formation, NDLR) l’a placé au cœur du jeu en permanence. Il est devenu un leader. Antoine a la faculté à fédérer autour de lui sans aboyer. Cela s’explique aussi par son niveau et son intelligence de jeu.Il ne se trompe pas trop. » Milhas poursuit : « Il a réinventé le rôle du numéro 9, par ses courses qui valorisent toutes les initiatives de ses coéquipiers. Ils ne sont pas nombreux à pouvoir faire ça. Alors, c’est quoi un capitaine ? Il existe beaucoup de formes de leadership, et il en avait déjà une par sa façon d’être, de s’entraîner, par sa robustesse aussi. Comme Anthony, il a toujours été un leader de combat et de respect. Je ne suis pas étonné qu’il ait été choisi, il est tellement représentatif de ce que l’on cherche dans le rugby. »

L’ultime bascule ? La finale de Champions Cup 2021 face à La Rochelle lorsque, Marchand suspendu et malgré la présence de Jerome Kaino, Mola avait désigné Dupont capitaine. « Le choix est naturel, justifiait-il. J’ai eu une conversation avec Antoine, et comme il dit, il est là pour ça. Il a un tel rayonnement sur la génération actuelle. Au-delà de la symbolique, c’est la suite logique. » Aussi car son rapport avec les arbitres est encensé. « En club ou en sélection, les arbitres veulent parler avec lui sur le terrain », sourit un de ses coachs. Et Jérôme Jelonch, le papa d’Anthony, de conclure : « Il a toujours été serein, jamais excité. Il transmet aux autres. Antoine capitaine, c’est le calme. Ce n’est pas la folie, à mettre des grands coups de boule à tout le monde. Mais il va avoir le mot juste, le regard qu’il faut pour montrer qu’il maîtrise. » Et, comme l’assure son fils, il suffit de le suivre…

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Les commentaires (1)
Racahout Il y a 9 mois Le 25/07/2023 à 21:50

Bravo pour ces récits