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Antoine Dupont, la saga : le phénomène physique (5/9)

Par Simon Valzer
  • Antoine Dupont possède des capacités physiques enviées de tous.
    Antoine Dupont possède des capacités physiques enviées de tous. Icon Sport
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Après nous être intéressés à l’enfance d’Antoine Dupont, son éclosion au plus haut niveau et à ses mentors, il est temps d’évoquer l’athlète qu’il est devenu, à force de travail et surtout de passion. Car vous allez le voir, Antoine Dupont n’avait rien d’un extra-terrestre. Mais il l’est devenu. Et il sublime ses qualités athlétiques par son intelligence de jeu rare.

On ne compte plus le nombre de séquences de match qui ont mis en valeur les incroyables capacités physiques d’Antoine Dupont. Accélérations fulgurantes, raffûts dévastateurs administrés à des adversaires qui font le double de son gabarit (1,74 m, 85 kg), sprints effrénés déclenchés après 78 minutes de jeu… Dupont n’a pas son pareil pour nous laisser (ainsi que ses adversaires) bouche bée. Juste pour le plaisir, on ne résiste pas à l’envie de vous remémorer quelques souvenirs. Commençons par la saison tout juste écoulée, et ce match aller de Champions Cup disputé au Munster le 11 décembre dernier. Aux alentours de la 72e minute, son coéquipier Thomas Ramos tape un long dégagement de ses 22 mètres. Le ballon arrive à hauteur des 22 mètres adverses et… devinez qui traverse le terrain en diagonale pour aller plaquer le Munstermen et le contraindre à garder le ballon au sol ? Antoine Dupont. La semaine suivante, contre les Anglais de Sale, il frappe encore. Cette fois, il est à la conclusion d’un contre totalement fou initié par un nouveau long coup de pied de Ramos en profondeur. Derrière au départ du sprint, Dupont rattrape Romain Ntamack, Dimitri Delibes et deux joueurs anglais pour aplatir au nez et à la barbe des Sharks.

Mais le potentiel physique d’Antoine Dupont ne se résume pas à l’endurance, la vitesse ou l’explosivité, même si ces trois composantes représentent une grande partie de la performance athlétique d’un sportif ! Dupont possède aussi une force rare. En mars 2022, à Ernest-Wallon contre le Lou, on avait vu le demi de mêlée toulousain courir avec trois défenseurs lyonnais sur le râble, gagner vingt mètres avant de finir par s’en débarasser pour écarter le ballon sur la gauche du terrain. On se souvient aussi de son raffût monstrueux donné dans le Tournoi 2021 sur le deuxième ligne irlandais Tadgh Beirne, le géant qui culmine à 1,98 m pour 115 kg, ou encore son sauvetage miraculeux réalisé sur l’ailier irlandais Mac Hansen dans le Tournoi des 6 Nations 2023.

Mac Hansen : "L’action montre sa force brute, mais surtout à quel point il est intelligent"

Souvenez-vous : à la 37e minute de l’explosif Irlande-France, les Verts sont tout proches de marquer par Hugo Keenan, qui est finalement bousculé par Gaël Fickou. Le ballon est ramassé par l’ailier Mac Hansen (1,88 m, 92 kg) qui n’est plus qu’à un mètre cinquante de la ligne… sauf qu’Antoine Dupont l’enserre au niveau du bassin, place ses appuis en opposition et traîne l’Irlandais pourtant complètement penché en avant vers la touche, finissant par le jeter au sol. Une semaine après le match, l’ailier d’origine australienne en parlait encore : « Croyez-moi ou non, mais je me suis fait sacrément chambrer toute la semaine par mes coéquipiers. Que vouliez-vous que je fasse ? Cette action a montré sa force brute, mais aussi à quel point il est un joueur intelligent. J’ai vu des tas de défenseurs dans ces situations : ils essaient de pousser l’attaquant en touche, et souvent ils échouent parce qu’il est trop près de la ligne. Antoine a eu l’intelligence de m’attraper au bassin, de baisser son centre de gravité et de me soulever, le tout en une fraction de seconde. Je ne pouvais rien faire. Peut-être qu’un joueur plus grand ou costaud aurait pu marquer, mais moi je n’avais aucune chance. Si c’était à refaire, j’essaierais sûrement de plonger par-dessus lui. »

Une dernière pour finir, cette fois racontée par la légende des Harlequins, Danny Care. Elle remonte à janvier 2015, quand Dupont connaissait sa toute première titularisation en Coupe d’Europe avec Castres, à tout juste 18 ans : « Chris Robshaw nous a dit avant le match : « Les gars, ce gars sort tout juste de l’école, on va se le faire ». J’étais là : « Ok, on lui met la pression ». Et au bout de dix minutes, il joue vite une pénalité à la main. Il rebondit sur Chris Robshaw, raffûte Nick Easter et déborde Nick Evans. L’action se termine par un essai castrais entre les poteaux. Et Robshaw nous dit sous les poteaux : « Oh les mecs, il faut le surveiller ce petit neuf, il est pas mal en fait ! » Pendant un moment je me suis dit : « Mais c’est qui ce mec ? » Et c’était Antoine Dupont, voilà tout. »

La passion, premier moteur

Pour comprendre les origines de ces performances, nous sommes remonté aux débuts d’Antoine Dupont, et à l’époque de son arrivée à Auch, en cadets première année. Julien Sarraute, actuel manager de Colomiers et son entraîneur de l’époque, se souvient : « Physiquement, Antoine était et est toujours plus petit que la moyenne, mais il présentait des capacités d’endurance remarquables. Ce qui m’a frappé, c’est son amour pour le jeu : c’est grâce à lui qu’Antoine collait en permanence au ballon. Il avait envie de jouer, tout le temps. Il avait déjà cette capacité à tenir les séquences. C’est son amour pour le jeu et son plaisir de jouer qui lui ont permis de construire ses compétences physiques. »

De toute évidence, le natif de Lannemezan ne possédait pas encore la force qui fait aujourd’hui des ravages sur le terrain : « C’était un petit physique, et il s’est construit en étant très souvent le plus petit, poursuit Sarraute. Il devait gérer ce petit gabarit. Mais in fine, ça l’a fait progresser. Comme il n’était pas dominant par son physique, il s’est structuré autrement. Il avait déjà de sacrés appuis et il était efficace techniquement. Cela donnait l’impression qu’il était facile dans tout ce qu’il faisait. » Sur le terrain, le mini-Auscitain causait déjà quelques dégâts : « Il a toujours eu du rebond, un gainage dynamique… il gagnait toujours ses duels. Après, Antoine est doué dans tous les sports : vous lui donnez une raquette de tennis, un ballon de basket, etc. il est multi-sports. Ses habiletés lui ont permis d’avoir de l’avance sur tout le monde. »

Même écho du côté de Cédric Jalabert, qui dirige toujours le centre de formation de Castres et qui a vu débarquer Dupont à 17 ans : « Antoine n’était pas en avance sur la densité physique. Après, il travaillait déjà très bien, tout en étant efficient. Il était en avance sur les autres en terme d’explosivité, qu’il s’agisse du haut ou du bas du corps. C’est ce qui lui permettait de se sortir de n’importe quelle situation difficile. » Jalabert avait aussi constaté son impressionnante endurance : « J’ai le souvenir d’un match Crabos à Biarritz où il nous fait gagner le match dans les cinq dernières minutes. Il était déjà performant sur 80 minutes. Son style de jeu n’est pourtant pas dans l’économie… Mais il a cette capacité à être constant, à traverser les 80 minutes sans connaître le moindre trou d’air. Il ne gâche pas d’énergie sur les tâches inutiles, il est très efficace dans sa gestion des efforts. C’est en ce sens que je le qualifie d’efficient. » Vous l’aurez compris, Antoine Dupont n’était pas un phénomène physique avant de le devenir : « Ce n’était pas un extra-terrestre. Attention, il n’était pas en retard hein ! Mais parfois, on a des garçons très grands, ou très rapides, ou très forts. En revanche, il cumulait beaucoup de qualités et très peu de carences. Encore une fois, il ne jetait pas les barres au plafond. »

"Stiffness" et explosivité

Du propre aveu de Jalabert, Dupont n‘est pas resté bien longtemps au centre de formation : « Il a été très vite absorbé par l’équipe première… il a dû faire une dizaine d’entraînements si je mélange les Crabos, le centre de formation et les Espoirs. » Il est rapidement passé sous les ordres de Vincent Giacobbi, qui est toujours l’actuel directeur de la performance du CO. Dupont avait alors 20 ans, et présentait des qualités d’explosivité impressionnantes : « Il avait des indices de réactivité musculaire très élevés. La pliométrie, c’est l’explosivité. C’est la capacité à développer beaucoup de force en très peu de temps. Idem pour le haut du corps : c’est grâce à cela qu’il peut raffûter des joueurs plus grands ou plus gros que lui. » Giacobbi développe : « Antoine, il a ce que les Anglais appellent le « stiffness » (la « rigidité », en français). Elle a été remise en question pendant des années, mais on la voit quand Antoine marche : il a les pieds légèrement en dedans, les épaules roulées… Ces mecs-là, ils sont tendus comme des arcs. C’est cette raideur qui leur permet d’être aussi efficace dans tous ces efforts explosifs ou à haute vélocité. Il a une chaîne postérieure très raide, mais c’est qui lui permet d’être aussi réactif et d’avoir cette capacité d’accélération, de décélération et de changement de rythme, soit tous les efforts qui composent le rugby. Si l’on prend un autre exemple, on peut citer l’arrière anglais Jason Robinson. Quand il courait, il était raide comme un bout de bois. Tous les sprinteurs ont cette qualité. »

Antoine Dupont a été, de l‘avis de tous, été façonné par son amour pour le jeu. Et c’est ce même amour qui a développé la plus précieuse de ses qualités, laquelle ne se cultive pas dans une salle de sport : l’intelligence. Giacobbi reprend : « Des joueurs qui ont les même qualités physiques qu’Antoine, ça existe. Par exemple, Santiago Arata a des qualités hors-norme. Seulement, les qualités brutes ne font pas tout. Et ce qui fait la différence entre Antoine et les autres, c’est qu’il connaît son sport, son poste et les systèmes de jeu à la perfection. Il anticipe tout, il analyse tout. Je suis sûr qu’il serait un super entraîneur. Il sait aussi gérer ses efforts, il connaît le rugby et maîtrise à la perfection son rôle sur un terrain. Du coup, il gagne une fraction de seconde sur les autres qui lui permet de les devancer. Encore une fois, c’est quelqu’un de très intelligent, et qui connaît le rugby mieux que personne. » Comme quoi, dans ce sport, ce n‘est pas toujours la force du corps qui compte, mais aussi la force de l’esprit.
 

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